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Sport

Et Animal Chin changea trois fois le skate

J’ai dû voir The Search for Animal Chin un milliard de fois. Je l'ai rematé vendredi soir, et putain, rien n’a changé. Les dialogues sont toujours aussi bizarres, l'interprétation maladroite, et l'intrigue toujours aussi décousue.

J’ai dû voir The Search for Animal Chin un milliard de fois. Je l'ai rematé vendredi soir, et putain, rien n’a changé. Les dialogues sont toujours aussi bizarres, l'interprétation maladroite, et l'intrigue toujours aussi décousue. Mais bon, OK. On ne parle pas de cinéma d’auteur là, c’est une putain de vidéo de skate – et l’une des plus légendaires de tous les temps. Une fois passée sa majorité, on ne devrait plus être autorisé à visionner un truc pareil. Seulement voilà, Powell Peralta l’offre en téléchargement gratuit ces jours-ci, et comme j’en avais ma claque de la L1, j’ai mordu à l'hameçon. Mater Animal Chin en 1987 a été un truc assez déroutant pour moi, parce qu’à l’époque, rien de tel n’existait. Eric Ricks, un ancien pro de chez Powell, le dit lui-même : « Quand j’ai vu Animal Chin pour la première fois, c’était en 1988. Je me suis dit : "Quoi, c'est un vrai film ?" En fait, je pensais que c’était un vrai film d'Hollywood, mais avec des skateurs dedans. Rien à voir avec toutes les vidéos de skate que j’avais pu mater auparavant. » Avant la sortie d’Animal Chin, en terme de vidéos de skate, on comptait, soit des docus sur des contests genre Savannah Animal, soit des vidéos purement promotionnelles destinées à médiatiser telle ou telle équipe de skateurs. Bones Brigade Video Show, la précédente production de Powell Peralta, contenait bien son lot de sketches et de bandes-son débiles, mais il s'agissait d'une vidéo de skate, avec un peu de comédie en plus. The Search for Animal Chin, pour sa part, était un vrai film avec du skate dedans. Enfin, dans son genre, disons. Comment un truc aussi naze peut-il être toujours autant béni par les mecs du skate ? Malgré les répliques lourdes écrites à l'avance, les personnalités des membres de la Bones Brigade étaient clairement lisibles. Elles m’ont même profondément marqué. Lance Moutain était l’imbécile, Tommy Guerrero le kid, Steve Caballero le dude cool, Mike McGill le mec normal, Tony Hawk le chef, et Rodney Mullen le nerd fort en maths – et freestyleur talentueux. Par-delà la médiocrité des dialogues, ces personnages délimitaient, définissaient la Brigade. Quand les journalistes ont demandé à Tommy Guerrero s'il s'était amusé durant le tournage, il a répondu : « On n'a jamais voulu jouer… C’était l’idée de Stacy, et avec le recul, une mauvaise ! Je parie qu’il reste des milliards d'autres séquences dans la salle de montage. » « C’est la toute première vidéo de skate que j’ai achetée », se souvient Vern Laird, le manager de Bones Bearings. « Je matais la vidéo au ralenti pour capter comment ils faisaient leurs tricks. J’ai même imité les exercices débiles qu'on les voit faire dans la chambre du Motel. "Method air and one foot air and COMB YOUR HAIR !" Rocket air les gars ! Ah, ah ! C’est tellement naze quand j’y repense. Mais bon, j’avais 13 ans hein, j’étais à fond dans le skate, du coup j’absorbais tout ce que je pouvais. » Et pourquoi est-ce toujours aussi pertinent de nos jours ? Pour une raison : ce film kitsch, nul et débile a changé le skate au moins trois fois. Niveau style, Animal Chin se distingue des autres vidéos par la qualité de sa mise en scène. Les rushes sont en avance sur leur époque et sont mieux pensés que tout ce qui s'était fait auparavant. La rampe monolithique que la brigade trouve sur son chemin a, par exemple, été construite spécifiquement pour le film – un avant-goût de la méga-rampe de Danny Way ou de la part que se partagent Jeremy Klein et Heath Kirchart dans The End. Sans oublier la bande-son qui, pour une partie, fut elle aussi spécialement créée pour le film – comment oublier la prestation de Johnny Rad au Blue Tile Lounge ? Mais plus important, Animal Chin a surtout transformé les mecs de la Bones Brigade en vraies rock stars, à un niveau infiniment supérieur à celui atteint par les Z-boys avant eux – dont faisait partie Stacy Peralta à la fin des 70s. L’image qu’ils ont su créer est tout simplement devenue la base pour toutes les autres formations et leurs stratégies marketing. La vidéo a rendu la Bones Brigade hyper mainstream, à tel point que d'autres teams – notamment celle d'Alva et de son crew de blancs à dreadlocks bardés de cuir – se sont efforcés d'être l'exact opposé d'eux en leur balançant leur majeur en plein dans leurs gueule de petits enfants de chœur. Parce que ouais, ç'étaient des enfants de chœur. Lance Mountain et Caballero n'ont jamais caché leur foi chrétienne, et à part se faire virer de piscines vides par des proprios râleurs, ils ont su éviter tous les problèmes de la vie. Une preuve : la plupart d'entre eux sont toujours dans le circuit pro. Les kids ont oublié Animal Chin aussi rapidement qu'ils l'avaient aimé. Ce que les ados s'étaient repassés en boucle est rapidement devenu un énorme abcès cartoonesque et fluorescent prêt à exploser. Au moment où le street a accru sa popularité et que l'influence du punk s'est progressivement estompée, Powell-Peralta est devenu obsolète. Neil Blender a lancé une pique célèbre dans la vidéo G&S, Footage, contre les têtes de mort et tibias croisés – traditionnellement de mise dans le skateboard – en disant « on est en 1990 les mecs, il serait peut-être temps de se débarrasser de tous ces squelettes de merde. » Cet événement, couplé à la dispute entre Steve Rocco (le co-fondateur de Blind) et Powell-Peralta avaient rendu la marque vieillotte, fatiguée et pour être franc, complètement has-been. Le cliché de la vidéo d'une heure où l'on suivait un mec en train de rider une rampe avait été remplacé par des clips promo cutés de 20 minutes – certains étant même montés sans musique. La plupart des membres de la Brigade avaient alors choisi de quitter le navire pour fonder leurs propres marques en prenant quand même la peine d'écouter le conseil de Blender : virer les têtes de mort de leur logo. Plus personne ne voulait rider pour Powell-Peralta. Dans les années 1990, une horde de marques de skate éphémères ont rendu crédible l'idée que n'importe quel connard disposant d'une carte-bleue et d'un nom pourri pouvait créer sa propre team de skate. L'innocente team Powell-Peralta a plus tard été remplacée par Plan B, une super team bien organisée qui est entrée dans l'ère du skateboard de compétition avec un marketing lourd et brutal. Beaucoup de pros de ce temps-là ont été dévastés par la pression alors qu'ils tentaient de repousser les limites du skateboard. Ils cherchaient à s'amuser – ou bien cherchaient-ils à retrouver l'esprit d'Animal Chin. Il n'y a pas de meilleur exemple pour illustrer cette époque qu'un sketch tiré de la première vidéo Girl, Goldfish. Le film, réalisé par Spike Jonze, comportait un interlude intitulé The Parallel dans lequel Lance Mountain campait un professionnel du pogo-stick. Le petit film raconte l'histoire du jeune Lance essayant de décrocher un sponsor, avant de devenir un professionnel blasé et enfin retrouver l'essence même du plaisir procuré par le pogo-stick, à 70 ans. La vidéo incluait même un passage où toute la team Girl s'entraînait sur un tremplin – un clin d’œil direct à l'époque bénie d'Animal Chin. Dans les années qui suivirent, le tabou des vidéos de skate scénarisées a continué d'être mis à mal – parfois, les interludes éclipsant même les vidéos en elles-même. Aujourd'hui, les vidéos prennent des années – et non plus des mois – à être peaufinées, le matériel HD et les caméras à angles multiples étant bien plus difficiles d'accès. En plus du téléchargement gratuit de The Search of Animal Chin, on a aussi le droit à la bande-annonce officielle de Bones Brigade, le dernier docu de Stacy Peralta. Contrairement à ce qu'on peut voir dans Lords of Dogtown, Stacy n'était pas qu'un membre à part entière de la brigade ; il était leur mentor. On retrouve un scénario commun à la majorité des documentaires portant sur le skateboard : un ado californien incroyablement beau découvre un sport de rebelle, se fait une tonne de thunes qu'il dilapide n'importe comment, devient un has-been complet, touche le fond, commet des petits délits avant de renaître de ses cendres tel le phénix. À bien y réfléchir, c'est à peu près le scénario de n'importe quel docu qui ne se termine pas avec un mec croupissant en taule ou au fond d'une tombe. Quel a été le scénario pour ces mecs dont la vie a été couronnée de succès et qui ont réussi à éviter les écueils de la célébrité adolescente ? La vie n'a pas été si douce pour beaucoup d'entre eux – mais aussi pour ceux qui ont passé leur jeunesse à les regarder. Tommy Guerrero parle de Bones Brigade comme d'un flim « qui raconte partiellement les épreuves et les aventures vécues par chaque membre, mais surtout l'histoire de Stacy, comment il a monté et promu la team. » La plupart des membres originaux de la Bones Brigade ont poursuivi leurs carrières professionnelle jusqu'à la quarantaine bien tassée. Bizarrement, on ne trouvera pas une once de tragédie ici, seulement des fringues et des coupes de cheveux douteuses.