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Société

Les juifs homosexuels sont des poivrots comme les autres

J'ai passé toute une soirée dans un bar rempli de types que les bonnes gens haïssent.

La foule lors d'une Butt Mitzvah au Glory, à Haggerston. Toutes les photos sont d'Elvind Hansen

Grandir en étant gay n'est pas chose facile. Enfant ou adolescent, le sentiment d'isolement vous consume et, contrairement à d'autres identités, il est souvent difficile de trouver un soutien au sein de votre famille : être gay n'est pas toujours bien accepté. Ajoutez à cela une religion dont les textes sacrés qualifient les relations entre deux personnes du même sexe « d'abomination » et vous comprendrez pourquoi l'adolescence peut être une période difficile pour les jeunes juifs homosexuels.

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Même s'il est vrai que tous les juifs ne grandissent pas sous le joug écrasant de la Torah, il vous suffit d'ouvrir la Bible au livre du Lévitique pour trouver un signal relativement explicite : « Si un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils ont fait tous deux une chose abominable ; ils seront punis de mort : leur sang retombera sur eux. »

Notre communauté ne réagit sans doute plus de cette façon face aux homosexuels – même au temps de la Bible, la peine de mort était rarement mise en œuvre lorsqu'il s'agissait de punir les relations homosexuelles. D'après la Torah orale, deux témoins doivent constater la pénétration anale, informer les « contrevenants » du caractère illégal de leurs actes, avant qu'une décision puisse être rendue. De plus, ces derniers doivent affirmer ostensiblement qu'ils se moquent de cet avertissement. Malgré tout, le principe « Dieu est opposé à l'homosexualité, l'homosexualité est donc une perversion » a encore de beaux jours devant lui au sein du judaïsme.

Ainsi, pour les jeunes homosexuels qui, comme moi, ont grandi dans des communautés traditionnelles, il devient très facile de cloisonner chaque aspect de votre vie – à aucun moment vous ne pourrez présenter vos amis juifs à vos amis homosexuels, et inversement.

Du moins, je le croyais, jusqu'à ce qu'on me parle d'une soirée dédiée aux juifs homosexuels – intitulée Butt Mitzvah – organisée dans l'est de Londres.

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L'organisateur de la soirée Butt Mitzvah, Josh Cole (au centre)

« On peut dire que Butt Mitzvah a été créé pour aider les gens à trouver de beaux maris juifs », me précise Josh Cole, l'organisateur de cette soirée. « Néanmoins, ce n'est pas la seule raison. Nous souhaitons réunir des gens de la communauté juive qui se sentent exclus, sans même s'en rendre compte. Des gens avec une identité juive, très présente dans leur vie familiale, mais aussi une identité homosexuelle visible dans leur vie sociale ou amoureuse. Des gens qui ne sont jamais parvenus à concilier les deux.

Le Glory – un pub gay d'Haggerston dirigé par l'une des drag-queens les plus célèbres de Londres – est tout le temps animé, mais on ne peut pas être plus de vingt à l'intérieur. Une foule monumentale s'entasse dans la rue et les videurs ne tardent pas à annoncer aux clients trempés la fameuse règle du « tu rentres quand quelqu'un sort ».

À mesure que je m'approche de la porte, je me sens extrêmement mal à l'aise. Ce n'est pas une véritable cérémonie religieuse, je le sais, mais je suis assez nerveux lorsque je rencontre d'autres juifs.

À l'intérieur, la salle est pleine à craquer. Une drag-queen habillée en Amy Winehouse se déchaîne sur la scène des bagels sont disposés sur un buffet au sous-sol. Un groupe de musique klezmer motive un public dans lequel on distingue de nombreuses étoiles de David.

Je rencontre Simon dans le fumoir. Il a 24 ans. Il est juif et homosexuel. « En arrivant ici, j'étais un peu mal à l'aise, me dit-il. Mais peu à peu, je me suis libéré. »

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Il n'est pas le seul à penser ça. Toutes les personnes rencontrées m'ont affirmé vouloir établir une connexion entre leur héritage religieux et leur identité homosexuelle. Alors que certains espèrent trouver un partenaire juif, d'autres sont simplement là pour partager leur culture avec des amis non-juifs.

Accoudé au bar, je surprends par hasard la conversation de deux gars en face de moi. Ils partagent leurs histoires de coming out et font des blagues sur leur mère juive. Un peu plus tard, une drag-queen fait le show en étant vêtue des mêmes habits que la chanteuse pop israélienne Dana International tandis que deux types en kippa s'enferment dans les chiottes. Le reste de la nuit ne sera que performances, danses traditionnelles juives et, comme dans tout bon événement juif, alcool en abondance.

À mes yeux, la sensation de faire partie intégrante d'une communauté est le meilleur versant de la religion juive, et je pourrais en dire autant de l'homosexualité – mais, jusqu'à maintenant, je n'avais jamais pu réunir ces deux pans de mon identité au sein d'un même espace. Les soirées Butt Mitzvah sont un lieu de rencontres entre juifs mais aussi un espace cathartique. Je n'avais jamais évoqué la découverte de ma sexualité en tant que jeune juif et, à l'image de beaucoup d'autres fêtards, j'ai fini par en parler au Glory.

Quelques jours après cette soirée, j'ai appelé Laura Janner-Klausner, femme rabbin à la tête du mouvement pour un judaïsme britannique réformé, afin de lui demander quelques conseils. « Ils peuvent parler de sexe mais ils n'acceptent pas les gens de la communauté LGBT », m'a-t-elle rappelé en évoquant la communauté juive orthodoxe.

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Le judaïsme réformé désigne un mouvement de la religion juive lié au progrès et à l'évolution, tout en maintenant des liens forts avec les traditions éthiques du judaïsme. « Pour nous, être gay est tout à fait normal », m'a dit Laura Janner-Klausner. « Notre communauté regroupe des sexualités et des genres différents, des gays, des hétéros, des bisexuels comme des transgenres. »

Le judaïsme réformé est tellement éloigné du judaïsme dans lequel j'ai été élevé que j'ai dû lui demander si son point de vue respectait les écrits sacrés de la Torah. « Dans le texte, on retrouve des passages très spécifiques, relatifs à une époque donnée, des écrits relativement désuets, avance-t-elle. Le fait est que ces écritures ne sont plus applicables aujourd'hui. Interpréter le Lévitique en disant que l'amour entre des êtres de même sexe est condamnable est, selon moi, moralement répugnant. Je ne peux pas accepter ça. »

L'homophobie est souvent tenace parmi les congrégations juives traditionnelles et la situation n'est pas près de changer. Toutefois, des aides existent pour les jeunes homosexuels dans ces communautés religieuses. De plus, une voix comme celle du rabbin Janner-Klausner doit être entendue.

Évidemment, un fossé générationnel s'est creusé au fil du temps – l'acceptation devient plus courante dans la communauté juive et dans la société britannique dans son ensemble. Malgré cela, nous devons encore nous préoccuper de l'interprétation des textes sacrés, interprétation qui est directement liée à leur application. Si nous ne le faisons pas, de jeunes juifs homosexuels passeront leur enfance à se demander s'ils pourront un jour être acceptés par le grand Gars d'en haut. Arrêtons d'infliger un stress inutile à un moment de la vie où l'insécurité est déjà omniprésente.

@MikeSegalov