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Pourquoi les étudiants trichent aux exams, en fait ?

Pression, peur de l'échec et déterminisme social : toutes les raisons qui poussent les jeunes à dissimuler des antisèches dans leur trousse.
Paul Douard
Paris, FR

Si vous avez passé la majeure partie de vos études à procrastiner et à boire tout ce qui vous passait sous la main, n'importe quel examen devait être une source de pression assez lourde. Comment réussir un partiel lorsqu'il ne vous reste plus qu'une nuit pour apprendre par cœur les 187 pages de ce maudit cours de droit administratif ? Deux solutions : vous résigner et tout miser sur un coup du destin, ou tricher. Pour trois raisons, j'ai toujours opté pour la première solution. Premièrement, j'ai toujours eu de la chance aux examens. Deuxièmement, je n'ai jamais eu le courage de tricher. Ce serait malhonnête de ma part de vous dire que c'était une question d'éthique. Troisièmement, je ne mettais pas ma vie en jeu si je foirais un exam – au pire, j'avais le droit à une grosse engueulade et une légère remise en question. Sauf que pour nombre d'élèves, réussir un examen est d'une importance capitale.

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Tricher lors d'un examen d'État est quelque chose d'assez grave aux yeux de la loi. La peine la plus commune est une interdiction d'examen pendant deux ans ainsi que de potentielles peines pénales. Par exemple, passer un examen à la place d'un de vos potes nul peut vous coûter jusqu'à 45 000 euros. Malgré ce risque assez immense, la triche concernerait plus de 70 % des étudiants français. Alors si des élèves trichent éternellement aux examens, ce n'est ni à cause des Apple Watch, ni parce que ce sont des petits cons qui veulent « niquer le système ». À mes yeux, c'est la conséquence d'un pays en pleine faillite morale.

Aujourd'hui, le taux de chômage touche facilement les 10 % – et les jeunes sans diplôme qui ont entre 15 et 24 ans sont les plus touchés, avec un taux de plus de 17 %. Concrètement, il vaut mieux avoir un ou plusieurs diplômes si l'on ne veut pas finir en animal de foire à discuter complètement bourré dans La Rue des allocs. La France est un pays qui valorise particulièrement les diplômes. « Le diplôme est sacralisé et il compte nettement plus que l'expérience », m'explique Marie-Estelle Pech, une journaliste qui a réalisé une vaste étude sur la triche lors des examens. Normal que nous soyons prêts à tout pour l'obtenir. « Forcément, l'étudiant a donc un parcours utilitaire. Il est consommateur plus qu'acteur de ses études. Il prend son diplôme et se tire. »

L'échec peut être encore plus difficile à accepter lorsqu'on sait que le système de notation est particulièrement injuste. Le sociologue Pierre Merle a notamment mis en évidence qu'une même copie pouvait voir sa note varier très fortement – selon sa place dans la pile, par exemple.

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Obtenir un diplôme qui ensuite va vous donner un emploi est une mission longue et périlleuse. Faire des études demande beaucoup de sacrifices pour la plupart des gens. Du temps, mais surtout de l'argent. Selon une étude de l'UNEF parue le 16 août dernier, un étudiant parisien doit débourser en moyenne 1 156 euros tous les mois pour subvenir à ses besoins. Un bon gros SMIC, en somme. Et pour gagner un SMIC, il faut travailler à plein-temps. Rater un examen pour – très souvent – presque rien revient donc à recommencer une année et donc à débourser 1 156 euros multipliés par 12 mois. La conséquence peut donc être terrible pour beaucoup. Ne pas valider un examen peut sonner la fin des études et rendre l'accès à l'emploi difficile. C'était le cas de Melissa, une étudiante en droit de 22 ans qui m'avoue avoir triché sans en tirer le moindre plaisir : « C'est vrai qu'avec du recul, je me dis que ce n'est pas très méritocratique. Mais si je ne validais pas cette matière, je redoublais. Alors quand on bosse déjà à mi-temps pour payer ses études, redoubler m'aurait anéantie. » Karim lui, se sent juste un peu con d'avoir triché et de s'être fait prendre : « En tout cas, repayer une année complète en école privée pour une connerie comme ça, ça fait vraiment chier. »

La chute peut être encore plus inacceptable lorsqu'on sait que le système de notation est particulièrement injuste. Le sociologue Pierre Merle a mis en évidence dans son livre Les notes : Secrets de fabrication qu'une même copie pouvait voir sa note varier très fortement – selon sa place dans la pile, par exemple. L'avenir de beaucoup d'étudiants serait donc entre les mains du hasard, ce qui est terrifiant. Un système qui enferme les étudiants dans un système de classement en permanence ne fait qu'accroître cette pression de la réussite. C'est ce que me confirme Laura, une jeune professeur et documentaliste dans un lycée de région parisienne : « On le sait tous, le système scolaire français est générateur d'angoisse pour tous ses acteurs : profs, parents et bien sûr, les élèves. La peur de l'erreur, du jugement et de l'échec est parfois intériorisée depuis l'enfance et elles ne sont pas faciles à désamorcer – des élèves de Terminale rendent copie blanche parce qu'ils préfèrent ça que rendre un truc mauvais, selon leurs mots. » Alors quand on sait ça et qu'on est proche du redoublement pour 0,5 point, il peut être logique de ne pas être loin de péter les plombs, ou de se dire que tricher n'est pas une si mauvaise idée que ça. Dans ce cas précis, elle n'est finalement qu'une compensation à un système imparfait et injuste.

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Image extraite du film Les Sous-doués, Claude Zidi, 1980.

La triche aux examens est sans doute aussi une conséquence de méthodes d'apprentissage ancestrales et archaïques. L'apprentissage français est toujours très axé sur le par cœur, que ce soit au lycée ou à l'université. C'est bien cet aspect exclusivement mécanique de l'apprentissage qui provoque une réaction tout aussi mécanique : tricher. J'imagine que certains étudiants ne font que s'adapter à quelque chose de contraire à l'apprentissage naturel pour l'homme.

Si tricher est toujours d'actualité, c'est tout simplement parce que la majeure partie des examens qui compose notre pays ne demande pas une réflexion exceptionnelle – ou si c'est le cas, elle devra toujours s'appuyer sur une somme énorme de connaissances théoriques qu'il faudra obligatoirement donner dans un premier temps. Alors oui, les connaissances théoriques sont nécessaires et restent la base d'un apprentissage. Néanmoins, d'autres approches sont possibles. Au lieu de réprimander toujours plus, il serait peut-être plus intelligent d'évoluer. Si l'évaluation des examens était plus orientée vers les capacités d'analyses et de réflexions des jeunes, ils ne se sentiraient plus obligés de vomir l'intégralité de leur cours, mais plutôt de se responsabiliser en proposant une idée, une théorie ou une analyse. Malheureusement, l'éducation laisse peu de place à la créativité, surtout en droit.

Alexis, un étudiant de 25 ans, voit la triche comme une réaction normale face à notre société : « Tant pis pour le mec qui a bossé toute la nuit pour gagner de l'argent. L'école n'intègre pas cette notion de débrouillardise, de système D. Elle valorise le travailleur honnête et constant. Mais regardez autour de nous, tout n'est que triche. Sans être trop pessimiste, je pense qu'il est nécessaire de savoir tricher à bon escient. » Finalement, tricher ne serait qu'une réaction normale d'adaptabilité à notre société, où l'université en serait une version miniature. C'est en tout cas ce que pense Marthe, ancienne étudiante en relations internationales de 26 ans : « Il faut bien avouer qu'à la fac, c'est chacun pour soi et que tous les moyens sont bons pour réussir. »

Aussi, selon la journaliste Marie-Estelle Pech, « il existe un lien très clair entre corruption politique et triche scolaire. Et là-dessus, la France n'est pas le pays le plus clean ». Comment inculquer la notion de méritocratie à des jeunes étudiants qui tous les jours, en allumant la télévision, tombent sur un ministre qui fraude les impôts ? La triche ne semble être qu'une compétition comme une autre dans un pays qui met au pouvoir les meilleurs dans le domaine. Dans la majeure partie des cas, la réussite méritocratique n'est qu'une illusion, tant les paramètres socio-économiques jouent un rôle prédominant dans le parcours et la réussite des étudiants, bien plus que le travail en lui-même. Tricher ne serait donc qu'un moyen comme un autre de rétablir la balance entre des injustices souvent impossibles à pallier. Des inégalités que Laura me confirme : « Les élèves pâtissent aussi de l'ambiance actuelle du pays, de la mise en concurrence et se sentent relégués, sur la sellette de l'exclusion et au cœur d'un système qui est violent et misérable même à l'intérieur de l'école (rapports de générations, de classes, de genres, de races, d'idéologies etc.). Pas étonnant que l'école en France reproduise les inégalités sociales. »

Alors, chers étudiants, ne culpabilisez plus. Le monde est pourri du début à la fin et l'honnêteté ne porte pratiquement jamais ses fruits. Les types honnêtes, ce sont toujours ceux qui meurent en premier dans Game of Thrones. Et puis après tout, nous élisons bien les champions en la matière – il y a peut-être là une opportunité qui s'offre à vous.