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Pen Pals

Évite de te faire choper

C'est ainsi que j’ai entamé ma troisième décennie sur cette planète : enfermé dans une chambre avec 59 autres mecs à qui on a arraché la capacité de faire quoi que ce soit dans leur vie.

Moi aujourd’hui, profitant du parc de Williamsburg à Brooklyn, où j'avais l'habitude de pique-niquer quand j'avais une autorisation de sortie.

J

'ai été impliqué dans la vente de drogue à partir du jour où j'ai fumé mon premier joint, c'est-à-dire à 13 ans. J’ai vite compris que pour pouvoir consommer des drogues à ma guise, il fallait que j’en vende. J’avais pas l’impression de faire quelque chose de mal – tout ce que je faisais, c'était de coller des sourires sur la gueule des gens. D'ailleurs, j'y suis arrivé mieux que les autres pour deux raisons : la première, c'est que j’étais ponctuel et la deuxième, c’est que je n'étais ni un rapace ni un sale menteur.

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Petit, j’étais dans une école primairesuper élitiste, je faisais du hockey et j'ai fini par être accepté à l’université de Skidmore, où, doux comme un agneau, je continuaisà vendre des drogues à mes camarades. Assez vite, je suis devenu complètement ACCRO, vivant très bien de ce trafic super rentable.Mais j'ai finalement pris ma caisse et, comme un malade mental, je suis allé dans le nord-est pour dealer et me faire de la maille grâce à la coke, la weed, l’ecsta, les champis et d’une manière plus générale, tout ce qui défonce le crâne (je me suis quand même tenu à distance de l’héroïne et du crack – il faut savoir se fixer des limites).

J'étais tellement sûr de moi, j'aurais jamais imaginé un jour que les poulets puissent se mettre à ma poursuite. Je n'ai jamais songé à l'illégalité de ce que j'étais en train de faire. Mais j'ai vite compris que la loi, elle, faisait bien plus attention à moi que je le pensais.

Un vendredi soir de février 2004 qui semblait à peu près normal, alors que j'étais devant un Barnes & Noble avec mon grand frère et son fils, je me suis fait choper par un keuf en civil qui ressemblait plus à un gitan qu’à un flic.Rétrospectivement, j'aurais vraiment préféré qu'ils me prennent toute l'artiche que j'avais plutôt que me faire menotter devant mon neveu de 6 ans et demi. Sur le coup, je me suis enlisédans une spirale d'explications vaseuses pour éviter mon arrestation, au lieu d'accepter platement la réalité cauchemardesque de la situation. Les flics avaient un mandat de perquisition. Ils m'ont ramené à ma planque principale, où ils ont trouvé assez de drogues pour me foutre douze à vingt-cinq ans en taule. J'avais 23 ans.

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J'ai donc passé la nuit dans la prison du comté puis, heureusement, j’ai été relâché sous caution dans l'attente du procès. À l'époque, j'allais terminer ma dernière année et j'étais super content à l’idée d’obtenir enfin mon diplôme. La vie me souriait et, contrairement à mes camarades, j'avais économisé une masse de thunes. J'avais déjà réservé les billets et un hôtel en Italie pour ma copine et moi. Mais c'était mort. Peu importait l'issue du procès, j'étais conscient que mes parents allaient être dévastés (bien plus que moi) et que j'allais me faire virer de l’université.

Mon avocat m’a décidé à engager une négociation, plutôt que d’aller jusqu’au procès. J'ai été condamné à une peine de 3 à 9 ans de prison. Pourquoi une peine aussi longue ? Principalement parce que je me suis retrouvé au mauvais endroit au mauvais moment. L'année 2004 était une année électorale, et les dirigeants de ma ville, Saratoga Springs, étaient persuadés que la localité connaissait un gros problème de drogue. Le procureur qui m’a envoyé devant la justice voulait épingler un étudiant « impliqué dans un réseau de trafic de drogue dans les alentours de New York » pour montrer la détermination de la ville à assurer la sécurité de ses citoyens. J'ai donc servi d'exemple.

En août, j'ai accepté l'accord du plaidoyer et ils m'ont annoncé que ma peine commencerait en octobre. Comme j’ai passé l’été chez moi, dans mon appartement, j’ai eu l’impression d’être dans une sorte d'enfer chelou. Techniquement, j'étais libre, mais cette liberté était provisoire. Chaque jour qui passait me rapprochait de la fin. C'était un abominable compte à rebours – je n’ai jamais autant désiré que le temps s'arrête.

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Quand le matin de ce jour infâme est arrivé, j'étais en retard. Je suis sorti de l'appartement de ma copine en trébuchant, crevé et avec la gueule de bois. Je l'ai quittée alors qu'elle était encore dans le lit, en train de sangloter. Elle ne se sentait pas d’aller au tribunal pour voir les flics m'embarquer. Ça faisait des années qu'on était ensemble et c'était la façon la plus horrible de se dire au revoir. Seule la mort aurait pu être pire.

J'ai retrouvé mes parents, garés dans la rue, les larmes aux yeux et la gorge serrée. Ils voulaient tellement mon bien qu'ils s'étaient temporairement installés à Saratoga Springs et y avaient loué un appart. Ils voulaient s’assurer que je ne ferais pas de bêtise avant d’être envoyé en taule – et ils avaient sans doute raison de s’inquiéter. Je m'en veux encore pour la douleur que j'ai pu leur infliger. Je me sentais comme la pire des merdes.

Ma photo de dernière année de lycée. J'étudiais au lycée de Millbrook, près de Poughkeepsie, à New York.

A

vant mon procès, alors que je patientais dans la prison de comté, j'avais rencontré quelques petits merdeux qui avaient essayé de me faire peur en me racontant le scénario bien connu de la douche : « T’es dans la douche et soudain un type, lame en main, s’approche de toi et te dit : _“Je ne sortirai pas d'ici tant qu'il n'y aura pas de sang sur ma bite ou sur la tienne. Alors, laquelle ce sera _?” » Mais, ça ne m’est jamais arrivé. Au lieu de ça, je me suis retrouvé à trimer pendant huit mois dans un camp d'entraînement du nord de New York (qu'ils appelaient « l'incarcération choc ») destiné aux délinquants non violents. Pour l’anecdote, j'ai purgé la même peine que 50 Cent, à savoir 3 à 9 ans de taule, pour le même motif (possession de drogues), et dans le même programme.

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Je ne me suis pas fait violer là-bas mais j'ai quand même failli me faire taper le cul plus d'une fois. Les détenus sont obligés de se foutre à genoux et de faire des trucs complètement absurdes pendant 18 heures, supervisés par un paquet de péquenauds d’instructeursqui hurlent des saloperies genre « arrête de te branler, espèce de salope de buveur de sperme ». Non seulement la plupart de ces mecs étaient des frustrés de la vie sans aucune éducation, mais en plus de ça, ils n'avaient même pas d'antécédents militaires ; c'étaient juste des vieux types qui adorent infliger des souffrances aux autres pour se venger de leur vie. Certains étaient vraiment cool et respectueux, mais d’autres étaient juste des gros connards sadiques qui abusaient de leur pouvoir.

Au cours de mon séjour dans ce camp-prison, j'ai vu des détenus s'étrangler, se foutre des coups de poing dans la gueule et se faire intimider jusqu'à en chialer. Moi, j'ai réussi à faire profil bas. Dans ma section, je me suis fait quelques potes. Ça m'a aidé à faire passer le temps plus vite. Mais en réalité, il n'y a pas beaucoup de temps pour discuter de sa journée – surtout quand on se fait assommer jour et nuit par un travail interminable.

Les détenus ne sont pas autorisés à ramener des livres, des jeux, de la musique ou des colis de l'extérieur – l'idée, c'est qu'à l'instar des nouvelles recrues militaires, un nouveau détenu, pour se reconstruire, doit impérativement être dépouillé de tout ce qu'il a connu dans le passé. Le but, c'est de remettre des individus à tendance criminelle sur le droit chemin avant qu'il ne soit trop tard. Mais, je ne pense pas que ça ait vraiment marché sur moi, sans doute parce que je me comportais comme un robot sans me poser de questions. Je dépensais ni plus ni moins que la quantité d'énergie exigée pour éviter de me faire emmerder. Je me souviens avoir été extrêmement affecté par le fait que ma copine, sans doute trop gênée pour me donner une bonne raison, a décidé d'arrêter de m'écrire et de me rendre visite après seulement trois ou quatre mois de taule. Puis un jour, j'ai reçu une lettre d'un ami dans laquelle il décrivait comment elle avait chauffé un mec que je considérais pourtant comme un putain de loser avec un cas extrême d’herpès dégueulasse.Raconté tel quel, ça ne paraît pas si grave,mais pendant trois ou quatre mois, je pétais des fusibles dix heures par jour rien qu'en y pensant. Je n'arrivais pas à me sortir cette histoire de la tête. Tous mes projets d’avenir se sont retrouvés à la poubelle : une relation quasiment parfaite, mon premier vrai amour, s'était défait pendant que je moisissais, impuissant, dans ma cellule.La prison détruit toutes les relations qu’on a pu avoir. Là où j’étais, c’est encore pire : on avait seulement le droit de s'appeler deux fois par mois pendant dix minutes, alors que dans une prison normale, on peut être au téléphone autant qu'on veut à partir du moment où les téléphones sont libres. Tout ce que j'avais, c'était un stylo et du papier. Je suis sûr que les trois ou quatre lettres que j’ai envoyées à ma meuf l'auraient fait chialer – mais je ne sais pas si elle a pris la peine de les lire ou pas.

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Gosse, j'étais perché et hyperactif. Ensuite, la drogue m'a calmé.

J

 e suis sorti de taule en 2005, juste avant mes 25 ans. Deux ou trois semaines plus tard, j'étais déjà en excursion vers le sud du Bronx pour aller choper de la coke et de la MD. Je ne blâme personne d'autre que moi. Mais je suis retombé dans le trafic de drogue bêtement, à cause d'une nana que j'avais rencontrée avant d'aller en prison.Elle m’a approché un soir dans un bar pour me dire qu’elle m’avait toujours apprécié. C'était une raison suffisante pour que je finisse à poil dans un lit avec elle. Cette stripteaseuse super bonne avec qui j'ai commencé à sortir juste après la taule m'a poussé à dealer, et rapidement, j’ai commencé à encaisser des milliers de dollars chaque semaine.En plus, j'étais toujours invité à des soirées de dingues où se trouvaient souvent un paquet d'escort girls à poil cokées qui chialaient en racontant comment elles s’étaient faitvioler par leur beau-père oucomment leur mère avait venduleur corps prépubère à des dealers de crack. Depuis cette époque, j'ai changé de regard sur les stripteaseuses et je n’ai plus vraiment enviede fréquenter les clubs de strip. C'était une très mauvaise décision de retomber dans ce genre de vie aussi vite. J'aurais dû donner une chance à ce qu'on appelle le travail acharné et l'honnêteté… ou au moins attendre la fin de ma liberté conditionnelle avant de recommencer à dealer.

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Et évidemment, en février 2006, je me suis refait choper avec ma meuf. On m'accusait de complicité. C'est une putain de honte de se refaire baiser une deuxième fois ; déjà c’est décourageant, et en plus, ça donne raison aux mauvaises langues et tort aux proches qui croient en nous.

En revanche, cette fois-ci, comme les flics nous avaient fouillés sans mandat, on a décidé de vraiment se battre contre cette accusation. Mais, au moment où on allait se rendre au tribunal, ma meuf s'est fait arrêter alors qu'elle était en liberté conditionnelle pour un paquet d'autres affaires. Et tout d'un coup, elle a décidé de me foutre dans la merde – elle a rédigé une lettre dans laquelle se trouvaient des trucs vrais, mais surtout un bon tas de conneries qu'elle avait inventées et qui faisaient de mois un gros dealer qui violentait sa meuf. J’étais foutu.

J'ai pris deux ans en plus de ma peine initiale. De Saratoga County Jail, on m'a transféré à la prison de Lyon Mountain puis de Hale Greek. J'ai donc fait un tour complet des établissements pénitentiaires du nord de New York.

À Saratoga, le temps passait extrêmement lentement car on était tout le temps enfermés dans une immense cellule. En hiver, on sortait à peine une heure par jour donc ça m'est arrivé de ne pas voir le ciel pendant des mois. Lyon Mountain, qui a fermé récemment, était une prison plutôt relax où je travaillais en équipe ; on tondait le gazon, on pelletait la neige ou on entretenait des terrains pourris. Hale Creek était plutôt axée sur des programmes de désintoxication ; donc j'ai passé de longues heures à suivre des sessions de thérapie de groupe. Le seul truc drôle, c'était que l'une de nos conseillères avait un faible pour les détenus, qui, eux, ne demandaient qu’à se soulager dans un représentant du sexe féminin. Ça foutait un vrai bordel pendant les séances. Mais elle a fini par se faire virer.

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Après que j'ai été « diplômé » de Hale Creek, ils m'ont mis en placement à Manhattan. La semi-liberté est réservée aux condamnés non-violents : elle donne la permission de travailler aux prisonniers qui se sont bien comportés pendant plusieurs mois. Ils sont également autorisés à passer quelques nuits chez eux. J'ai bossé pour une association dans le centre de Manhattan en tant que rédacteur. C’était le plus simple des jobs mais j'étais tellement content d'avoir un job décent. C’était incroyable – je faisais enfin partie du monde réel et je me comportais comme le citoyen normal que je serais devenu si je ne m'étais pas lancé dans le deal. Mais après une journée de boulot, au lieu de sortir avec les collègues pour boire quelques verres et d'essayer de draguer la fille de la compta, je prenais le train pour retourner en prison et me taper des thérapies de groupe avec les autres détenus. Je passais mes nuits sur un matelas en carton posé sur une plaque en métal à côté de 80 types dégueulasses.

Plus le temps passait, plus on m’accordait des droits. Des trucs de base, comme sous-louer mon appartement ou garder l'argent que je gagnais – quand j'ai commencé, ils me donnaient 15 % de ce que je touchais comme salaire et mettaient le reste sur un compte qu'il m'était interdit d’approcher jusqu'au jour où je serais libéré. Je faisais donc tout pour vivre une vie normale, tout en gardant pour moi ce secret embarrassant : chaque semaine, je passais quelques nuits en taule. Je ne l’avouais que pour me taper des filles excitées à l’idée de se faire culbuter par un taulard. Puis, j'ai rencontré ma copine actuelle. On est tombés très amoureux, très vite, même si elle avait du mal à expliquer à ses parents pourquoi j'avais un emploi du temps si étrange. Le stress me rongeait terriblement. Un an après, j'ai finalement réussi à obtenir un « statut 7-0 » qui m’autorisait à dormir chez moi tous les soirs. Je devais quand même passer quelques heures par semaine en prison. Puis, le jour de mon audience de libération conditionnelle est arrivé.

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Une photo de moi en prison en 2007. Les détenus adorent ces photos aux décors peints à la main. On les appelle « clics-clics ». J’envoyais celle-ci aux meufs pour les impressionner.

Je sui passé devant la Commission des libérations conditionnelles au matin du 2 juin 2008, un jeudi. J'étais assez sûr de moi mais je suis resté humble, j'ai reconnu mon infraction et j'ai exprimé mes remords en montrant à quel point je regrettais mes erreurs du passé. J'ai même fait l’éloge du programme de réinsertion que j’avais suivi en prison. J'avais exercé le même job pendant 18 mois, donc j'ai préparé un dossier avec tous mes accomplissements professionnels pour les montrer à la Commission. Pourtant, au cours de l’audience, j'ai eu l'impression que personne n'avait lu les lettres de mes patrons qui témoignaient de mon comportement exemplaire – du moins, à en voir les questions qui m'étaient posées. La commission prend parfois des décisions arbitraires ; en tout cas c’est l’impression que donnent ces crevures lorsqu’ils décident de vous pourrir la vie en une phrase. Malgré toute les preuves de bonne volonté et de réinsertion que j’avais pu donner, la Commission m'a annoncé que je resterais en placement pour les deux prochaines années. Pire encore, ils ont révoqué mon « statut 7-0 » et ont recommencé à me confisquer mon argent, au point que je ne puisse plus payer mon loyer. La Commission a estimé que les réponses que je lui avais faites pendant mon audience étaient insatisfaisantes. En gros, ils pensaient que je leur mentais. Ils m'ont dit que s'ils me libéraient, je referais les mêmes conneries. Sauf que depuis mon incarcération, j'avais fait zéro connerie. J'étais vert.

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Alors évidemment, fidèle à moi-même, j'ai recommencé à vendre de la weed, de la coke et de l'ecsta. Je me suis retrouvé dans le salon d'un pote qui consommait la plupart des drogues que je vendais. C'était sympa, mais ça n'était pas la situation idéale pour quelqu'un qui était surveillé de près par trois branches différentes du Tribunal correctionnel de l'État de New York. Mais j'en avais ras le cul et j’ai commencé à m’éclater la gueule régulièrement. Je ne me suis jamais vu comme quelqu’un de particulièrement intelligent, mais cet été-là, j'étais le pire déchet de la terre. J'étais devenu plus con que con et mon Q.I. était sûrement passé en dessous de 0.

Quelques mois après m'être fait enculer par la Commission des libertés conditionnelles, je me suis fait griller par un test de pisse.  « T’étais chanceux d'être ici, y’a des milliers de détenus qui sont prêts à prendre ta place… DÉSOLÉ. » Après avoir pissé positif, alors que j'attendais qu'on me transfère dans le nord, on a autorisé ma meuf à me rendre une dernière visite.

On a chialé de vraies larmes de douleur, d'angoisse et de tristesse. Putain, c'était tellement stupide, triste et pathétique. J'étais sur le point d'abandonner des mois de travail acharné à gagner ma vie honnêtement juste parce que j’avais voulu faire la fête. On est restés assis en se tenant les mains comme un couple de blaireaux ; je n'oublierai jamais ma douleur en la voyant pleurer, alors que je faisais tout pour contenir mes larmes de honte. J'essayais en même temps de me faire à l'idée que je ne pourrais plus baiser ma meuf pendant un an – je devenais fou à l'idée de savoir que pour sa part, elle ne se gênerait sans doute pas, vu le nombre incroyable de mecs en chien qui lui tournaient autour. Il s'avère que, pour ma part, cette année s’est vue placée sous le signe de la chasteté – j’ai attendu 24 mois, le temps qu'on m'autorise à retrouver les orifices de ma belle. Croyez-moi, c’est pas la moindre des punitions.

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Depuis Riverview, la prison du nord de l'État où j'ai été envoyé, on pouvait apercevoir les lumières lointaines du pont d’Ogdensburg-Prescott, qui traversait la rivière jusqu’au Canada. C’est à ce moment-là que j’ai eu comme une sorte de prémonition qui me disait que j'allais devenir écrivain. Je me détestais tellement dans mon égoïsme et ma débilité, le mieux à faire était de mettre tous ces sentiments sur papier pour essayer de comprendre comment une personne aussi normale que moi pouvait se faire tant de mal. La réponse n’est pas encore claire. Cliniquement parlant, je souffre d'une addiction mais on s'en branle de ça ! Je le nierai toujours. En revanche, la prison m'a tellement pourri la vie que je me suis promis de faire en sorte d’en tirer quelque chose.

Photo : Christian Storm

D

epuis ma toute première arrestation, je suis retourné quatre fois en taule. Parfois, évidemment, c'était parce que je jouais au con. Mais les autres fois, je me suis fait choper en faisant des trucs que la liberté conditionnelle n’autorise pas mais dont la police se branlerait en temps normal. Et pour des trucs comme boire une bière, conduire une voiture ou dépasser le couvre-feu, ils m'ont refoutu au trou sans se poser de questions.

Au total, j'ai passé six ans derrière les barreaux. Mais aujourd'hui, malgré mes deux années supplémentaires de semi-liberté, je suis libre. Ce que j'ai fait mérite-t-il vraiment de gaspiller autant de temps et d'argent pour me surveiller ? Pour beaucoup d'Américains, je ne suis même pas un criminel – physiquement, je n'ai fait de mal à personne, j'ai juste vendu des trucs que le gouvernement ne voulait pas que je vende. Mais aujourd'hui, je peux me faire incarcérer à tout moment pour des raisons qui ne vaudraient même pas une contravention en temps normal.

Par exemple, au début de l'année, je suis retourné en taule parce que des flics croyaient que j'étais en train de voler une caisse alors qu'en réalité, j’aidais un pote à réparer la vitre de sa bagnole. Dès que ce lèche-cul de poulet a constaté que j'étais en liberté conditionnelle pour une affaire de drogue, il s’est autorisé à nous fouiller, moi et la caisse. Il n’a rien trouvé et m'a laissé filer. Il n'a pas oublié de me dire qu'il avait informé mon responsable de semi-liberté de cette petite entrevue et je me suis fait niquer parce que tout ça s'était produit après le couvre-feu de 21 heures Ce qui me rend dingue, c'est qu'à chaque fois qu'un détenu en liberté conditionnelle est en contact avec la police, il doit en informer son agent référent. Mais c'était honnêtement une incompréhension de ma part : je pensais que ça ne valait qu’en cas d’arrestation ou de contravention. Les flics se sont finalement excusés de m'avoir fouillé. Ça me faisait une belle jambe.

C'est donc ainsi que j’ai entamé ma troisième décennie sur cette planète : enfermé dans une chambre avec 59 autres mecs à qui on a arraché la capacité de faire quoi que ce soit dans leur vie. Les condamnés à des peines très longues voulaient tuer les mecs comme moi : ils voient qu'en l'espace de deux mois, on arrive à sortir de taule puis à y retourner. C'est un phénomène assez commun : chaque année, selon les chiffres de ce bon vieux ministère de la Justice, sur les deux millions d'Américains en liberté conditionnelle, environ cent mille retournent en taule pour des petites conneries. Quand j'étais incarcéré, je me souviens d'un mec en particulier – un type qui était tellement déchiré qu'il avait accidentellement tué son pote en l'étranglant – qui nous détestait, nous, les détenus en semi-liberté. Quand je suis arrivé à Riverview, il m'a vachement fait flipper en me montrant fièrement tous les documents qui, en gros, justifiaient que c'était un vrai tueur. Quand il a appris que je venais de niquer ma permission, il est devenu rouge de rage et j’ai cru que j’étais le prochain sur sa liste.

Ce regard, le mépris ardent que je pouvais percevoir dans les yeux de cet homme condamné à vie, m'a fait réfléchir ; j'étais finalement prêt à tout pour vivre prudemment, pour éviter ce destin de merde. Moi, j’avais encore une chance de réparer mes erreurs.

Ça fait bientôt dix ans que je pense avoir trouvé le bonheur. Avant ça, j'étais souvent heureux pour les mauvaises raisons. Aujourd’hui, j’ai juste besoin de faire comprendre à ma meuf qu’elle doit être plus patiente, qu’elle doit rester calme en attendant que je règle les choses. Tant que je ne suis pas emprisonné, il y a toujours une chance que je gagne un jour au Loto ou que ma meuf en amène une autre dans notre lit. Et ça, ça n’a aucune chance d’arriver si vous êtes en taule.

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