Photo : Fabian Muir
Photo : Fabian Muir

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Les images du quotidien en Corée du Nord

La vie de tous les jours du royaume ermite, entre sorties à la plage, expositions de fleurs et pique-niques tristes.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Vous avez peut-être déjà entendu parler de Fabian Muir et de son road trip de 1 600 kilomètres à travers l'Australie dans le seul but de photographier une femme en burqa. D'un bleu profond qui contrastait avec les roches rouges du paysage, sa série « Blue Burqa in a Sunburnt Landscape », sobrement surréaliste, était une réponse détournée et acerbe à la tentative d'interdiction de la burqa par le gouvernement australien.

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Ces deux dernières années, Fabian s'est rendu à cinq reprises en Corée du Nord pour son nouveau projet, tissant ainsi de bons rapports avec les chefs suprêmes du royaume ermite – du moins, d'assez bons pour pouvoir visiter le pays plus intimement que les autres photographes avant lui. Avec ses couleurs joviales et cuivrées, le résultat est loin du récit gris ardoise que les Occidentaux ont l'habitude d'associer à la République populaire démocratique de Corée.

J'ai rencontré Fabian pour qu'il m'explique comment il y était parvenu.

VICE : Bonjour Fabian. Le problème avec les reportages sur la Corée du Nord, c'est que les touristes sont toujours guidés autour du même circuit par les autorités, et reviennent toujours avec les mêmes anecdotes. Comment avez-vous réussi à échapper à cette boucle?
Fabian Muir : De tous les endroits où je suis allé, il n'y avait qu'une seule province strictement interdite aux étrangers. Ce n'était qu'une simple question de négociation.

Avez-vous eu un peu d'indépendance?
Je n'ai pu me balader seul qu'à quatre reprises. Le reste du temps, deux guides surveillaient ma présence. C'était toujours comme ça. Il n'est pas possible de contourner cela, donc il faut apprendre à photographier de manière rapide et grossière.

Votre travail semble offrir une vision chaleureuse de cet endroit. Était-ce délibéré?
Oui. Ça peut paraître évident, mais l'idée que les habitants vivent une vie ordinaire au beau milieu de cette folie était fascinante. Connaissez-vous Tomas van Houtryve? En 2009, il a réalisé un célèbre photoreportage qu'il a appelé The Land Of No Smiles qui, comme le titre l'indique, adopte une certaine perspective. J'avais ses clichés constamment à l'esprit ; j'ai donc été très surpris de voir un récit différent – beaucoup plus joyeux et humaniste – émerger de mon voyage.

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A-t-on essayé de censurer vos photos?
J'ai traversé trois frontières différentes. En train, en avion, à pied. Personne n'a jamais regardé mes photos ou mes cartes. Ils étaient bien plus intéressés par ce que j'apportais. David Guttenfelder, qui dirige le bureau de l'agence Associated Press à Pyongyang, y a été 40 fois. Il m'a confié que ses cartes SD n'avaient elles aussi jamais été vérifiées.

La prise de photo est-elle soumise à des règles?
Récemment, j'ai vu la vidéo d'un journaliste de la BBC, extrêmement nerveux, qui avait pris en photo les leaders. Seulement, il les avait coupés et ils se sont énervés. Si vous photographiez les leaders, vous devez capturer leur corps en entier. Vous ne pouvez pas cropper. Et on ne peut pas prendre en photo les militaires. De la même façon qu'on ne peut pas prendre en photo les ouvriers, sans doute parce que la plupart d'entre eux sont aussi dans l'armée.

Parlez-nous de certains clichés. Commençons par les trucs pessimistes. Qu'en est-il de cette scène agricole désespérée?
C'était sur une route provinciale à l'ouest de la Corée du Nord, en mai 2015. Il n'avait pas plu depuis longtemps. Le pays connaît toujours des extrêmes du point de vue climatique. Il y a récemment eu des inondations.

La météo fait l'objet de beaucoup de paranoïa et de débats – surtout à propos du « Mars ardu », cette grande famine qu'ils ont connue dans les années 1990. Sur cette image [ci-dessus], il avait finalement plu, mais les agriculteurs avaient déjà perdu beaucoup de récoltes.

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Il y a aussi la photo d'un mec assis sur une plage, sous un grand parasol…
Il y a ce roman brillant, La Vie volée de Jun Do d'Adam Johnson, lauréat du prix Pulitzer, qui extrapole chaque perversion que l'on entend au sujet de la Corée du Nord. Dans la croyance populaire, cette ville, Wonsan, est le lieu de villégiature des anciens bureaucrates d'État. Mais dans le livre, il s'agit d'un centre d'équarrissage.

Après avoir lu ça, j'ai été un peu fasciné par l'endroit. Il s'avère que c'est désormais une véritable cité balnéaire. Pour une mystérieuse raison, ils ont récemment construit un grand aéroport. Je ne sais pas si tout le monde y a accès ou seulement certaines classes. Les hôtels sont de qualité nettement supérieure. Il y a une vie de plage, dans le sens classique du terme : des enfants qui jouent dans l'eau, des gens dans des bouées gonflables, etc. Les seules choses qui vous rappellent que vous vous trouvez dans une capsule temporelle sont les maillots de bain rétro.

Est-ce Kim Jong-un derrière ce présentoir à fleurs?
Curieusement, on ne voit jamais de telles photos du leader actuel. Il n'y a pas de grandes images de Kim Jong-un comme on en voit de Kim Il-sung et Kim Jong-il. J'ai pris cette photo lors d'une exposition de fleurs, ce qui est plutôt fréquent. Les bégonias sont appelés « Kim Jong Ilia ». Les violettes sont des « Kim Il Sungia ».

La scène de pique-nique paraît étrangement britannique ; une partie de vous essayait-elle de montrer la vie « normale » au milieu du reste?
Cet endroit de Pyongyang s'appelle Moran Hill. Quand on fait ce genre de prise de vue documentaire en Corée du Nord, les gens vous disent que tout ce que vous voyez est mis en scène, mais je serais très inquiet que 2 000 personnes soient mobilisées simplement pour me tromper. On voit des pique-niques partout en Corée du Nord – ce sont vraiment des fanatiques du pique-nique.

N'avez-vous pas peur d'être devenu un pion des Kim et de montrer au monde ce qu'ils veulent que les étrangers voient?
J'ai reçu beaucoup de commentaires négatifs, mais ces gens n'étaient pas là, et ils n'ont pas parcouru les milliers de kilomètres que j'ai parcourus. Ils ne peuvent pas comprendre que c'est une représentation très juste de ce que j'ai vu là-bas. J'ai essayé de garder un certain équilibre – l'agriculteur sur la terre sèche versus le centre de loisirs. Mais certaines personnes refusent d'accepter ça alors que, même en RPDC, les gens sont comme les autres, et ils sont aussi chaleureux et spontanés que partout ailleurs. Si vous montrez un enfant qui sourit, les gens s'imaginent aussitôt un mec avec une baïonnette derrière lui.

Merci, Fabian.

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