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Facebook censure les tapettes qui utilisent le mot « tapette »

L’Internet bien-pensant empêche les gays de s’insulter entre eux.

Ces deux derniers mois, Facebook a bloqué mes posts à trois reprises. Pourtant, je n'ai pas utilisé d'expression raciste ou publié de contenu pornographique : les administrateurs anonymes m'ont exclu du réseau social le plus populaire au monde parce que j'avais écrit le mot « tapette ».

Je ne me souviens pas exactement du nombre de fois où je me suis fait bloquer. Tout mon entourage sait que je suis pédé, et il m'arrive de plaisanter en me référant à mes amis et à moi-même en utilisant le mot « tapette » – tout comme les noirs utilisent parfois le terme « négro ». Fin avril, j'ai parlé de mon ami Gabriel en le qualifiant de tapette. Il avait commenté un lien que j'avais posté et liké mon commentaire. On fait ça tout le temps, mais quelques heures après, Facebook m'a empêché de poster quoi que ce soit pendant une semaine.

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Je peux comprendre que Facebook bloque le compte des hétérosexuels qui emploient ce mot à des fins malveillantes. Dans mon école catholique, les garçons hétéros l'utilisaient pour se moquer de moi pendant la récré, et ce presque tous les jours. Mais Gabriel et moi employons cette insulte homophobe pour plaisanter, par fierté ou pour banaliser le mot afin qu'il ne soit plus utilisé de manière péjorative. La première fois que j'ai été bloqué pour l'avoir écrit, je me suis dit qu'une sorte de système informatique programmé pour détecter les discours haineux m'avait confondu avec un hétéro, mais je me suis rappelé que Facebook me montre régulièrement des publicités ciblées pour les homos. Zuckerberg et toute la clique savent pertinemment quelle est mon orientation sexuelle, puisque je précise que j'aime les hommes sur mon profil.

Une des charmantes publicités ciblées qui viennent parfois envahir mon fil d'actualité.

Après avoir été bloqué cette fois-ci, j'ai tenté de comprendre comment Facebook choisissait qui bloquer pour l'emploi du mot « tapette ». La page des conditions d'utilisation du réseau reste assez vague sur le sujet : « Vous ne publierez pas de contenus incitant à la haine ou à la violence ». La page des standards de la communauté Facebook est un peu plus explicite :

Facebook n’accepte pas les discours incitant à la haine mais distingue cependant le sérieux de l’humour. Alors que nous encourageons aux débats et à la discussion des idées, idéologies, événements ou pratiques, nous ne permettons pas l’attaque d’individus ou de groupes sur la base de leur race, ethnicité, origine nationale, religion, sexe, orientation sexuelle, handicap ou état de santé.

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Je ne vois pas comment la conversation que Gabriel et moi avions eu publiquement a pu être interprétée comme un discours de haine, une conversation sérieuse ou je ne sais quoi. Si quelqu'un s'est senti offensé par le mot « tapette » au point de me signaler au réseau, il aurait été plus simple pour lui de me virer de ses amis.

Facebook ne précise jamais combien de temps une personne sera bloquée. J'ai donc envoyé un message pour expliquer ma situation et contester leur décision. « Je suis un homme gay, et vous m'avez bloqué parce que j'avais utilisé le mot tapette, ai-je rédigé. Vous postez des photos de campagne contre le sida sur ma page parce que je suis gay, ce qui est plutôt offensant. Et pourtant, vous m'empêchez d'utiliser ce mot alors qu'il est largement utilisé par les homosexuels. Merci de me débloquer ».

Ils ne m'ont jamais répondu.

Lorsqu'il m'ont à nouveau permis de poster des commentaires pendant la première semaine de mai, j'ai cherché des moyens d'employer le mot interdit sans me faire bloquer à nouveau. Mon amie Pearl m'a conseillé de changer des lettres. Je n'avais pas trop envie de faire ça, pourquoi faudrait-il que je m'auto-censure ? J'avais peu d'autres possibilités, et j'ai donc décidé de bannir le mot « t-a-p-e-t-t-e » de mon vocabulaire.

Ce week-end, j'ai fait une bourde, non sans ironie : j'ai partagé un article du New York Times sur mon mur pour critiquer les étudiants trop sensibles. Un ami a commenté en me disant que quelqu'un allait me signaler pour l'avoir posté, ce à quoi j'ai répondu : « JE SUIS UNE TAPETTE QUI SE FAIT SIGNALER EN PERMANENCE ». Le lendemain matin, Facebook m'a bloqué pendant 30 jours. Je ne pouvais littéralement pas me passer des avantages de Facebook pendant un mois – je m'occupe de VICE sur les médias sociaux pendant le weekend – je les ai donc immédiatement contactés afin de comprendre ce qui pouvait bien leur passer par la tête.

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Je craignais que Facebook utilise une sorte de robot capable de trouver des mots clés offensants dans les statuts et les commentaires, mais d'après un représentant du site,  ce n'est absolument pas le cas. « Lorsque quelqu'un nous signale un contenu sous prétexte que c'est un discours haineux, on le supprime s'il est représente une insulte raciale, ethnique, s'il vise la nationalité, la religion, le sexe, le genre, l'orientation sexuelle, les handicaps ou les maladies », m'a-t-il expliqué. Il a ajouté que Facebook connaissait bien les problèmes autour de la question gay puisque le réseau contient un comité consultatif de sécurité et un réseau de soutien, lesquels s'occupent de ce genre de décisions et travaillent avec des organisations de défense des droits LGBT.

Après m'être entretenu avec le représentant, l'équipe Facebook a revérifié mon compte et a accepté de revenir sur sa décision, admettant qu'ils avaient commis une erreur (pour les tester, j'ai posté un statut pour crier au monde entier que j'étais une tapette, et ils ne m'ont pas bloqué). Mais si c'était bel et bien une erreur, ils se sont donc trompés au moins trois fois ces deux derniers mois, et je n'aurais pas eu besoin d'envoyer tant de messages (et de les menacer d'écrire un article) pour avoir le droit de dire tapette.

Mon cas prouve bien que le système de Facebook pour signaler et bloquer les utilisateurs est bourré de défauts. Facebook a créé des standards de la communauté pour protéger les homosexuels et les autres groupes minoritaires qui sont systématiquement exclus ou rejetés dans leur lieu de travail ou leur école. Mais à la place, nous devons faire attention à ce que nous écrivons, inquiets que quelqu'un interprète mal un de nos mots ou une de nos phrases et qui, au lieu de nous en faire part directement, nous signalera à un administrateur qui se réjouira de nous bloquer. Facebook est finalement un lieu de plus où nous ne pouvons pas être libres.

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