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Fact : les Anglais adorent les cabanes

Vous vous souvenez quand vous étiez petit et que vous alliez chez vos potes pour faire des trucs genre, vous marrer très fort pour un truc pas drôle et jouer aux jeux vidéo en pétant ?

La cabane finaliste de Shed of the Year dans la catégorie Atelier/Studio et son propriétaire, Luke Hollingsworth. Toutes les photos via readersheds.co.uk.

Vous vous souvenez quand vous étiez petit et que vous alliez chez vos potes pour faire des trucs genre, vous marrer très fort pour un truc pas drôle et jouer aux jeux vidéo en pétant ? C'était juste assez différent de chez vous pour être excessivement bizarre. Il y avait des canapés, une table, des dizaines de tiroirs remplis de trucs divers, comme chez vous, sauf que tout était à la mauvaise place et avait une odeur différente. En réalité, c’est à ça que ressemble la culture britannique depuis mon promontoire des Amériques.

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Des fois, je me dis : « Oh, mais c'est ce royaume que mes ancêtres ont fui et qu’ils ont plus tard envoyé chier ? Ça a l'air cool. Les mecs ont un accent marrant et des mots d’argot trop cons. En fait, ce sont des Américains avec moins d’armes à feu et plus de problèmes d’alcool. » Et puis, forcément, je tombe sur un truc qui me rappelle que non, en réalité, quand on y réfléchit, les Anglais ne sont pas comme nous. Un golfe d'incompréhension sépare nos deux cultures et il ne disparaîtra sans doute jamais.

Ce golfe s'est ouvert sous mes yeux lorsque j'ai découvert le concours de Shed of the Year, qui sert à récompenser les propriétaires de la plus belle cabane de l'année. En quoi consiste le concours ? Eh bien, une poignée de personnes (des Britanniques, pour la plupart) envoient des photos et une description de leurs propres cabanes, et d'autres gens votent pour la meilleure cabane de chaque catégorie. Le grand gagnant de cette bataille des cabanes, appelons-le le « Roi de la cabane » est proclamée lors de la Semaine de la cabane – qui a lieu tous les ans lors de la première semaine de juillet.

La cabane lauréate de la catégorie Cabane d'exception, bâtie par Alex Holland.

Sérieux, je n’y comprends vraiment rien. À mes yeux, et sans doute aux yeux de la majorité des gens non-Britanniques, les cabanes sont des petites baraques de merde dans lesquelles on stocke du bois et des outils. Séparer les cabanes en différentes catégories, claquer de l'argent pour en faire des répliques de bateaux (ou les construire à partir de bateaux déjà existants, comme c'est le cas au-dessus) et distribuer des récompenses à chacune pendant une putain de semaine, c'est à peu près aussi sensé que de consacrer du temps – et des efforts – à une clôture, une fourchette ou un gros tas de cailloux. « Wahou, quel superbe tas de cailloux ! Je vais voter pour lui dans la catégorie “Cailloux écolos” du concours du Tas de cailloux de l'année ! »

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Mais OK ; j'imagine qu'au Royaume-Uni, les cabanes, c'est important. Si l’on s'en tient à cet article du Mirror au sujet du concours de la Cabane de l'année, on pourrait croire que chaque foyer anglais de classe moyenne possède sa propre cabane et qu'il est tout à fait normal de glander à l’intérieur pendant de longues heures : « Les cabanes sont traditionnellement la planque des papas. Un endroit paisible et calme où ils peuvent faire de la peinture sur un morceau de bois et écouter la radio. » (Yep).

La cabane détentrice du titre dans la catégorie Éco Cabane, et son propriétaire, Marcus Sheilds.

Bruno Bayley, le rédac chef de VICE Europe, a essayé de m’expliquer à quoi servaient les cabanes dans son Angleterre natale. Voici sa réponse, écrite depuis le fond de la nuit (les fuseaux horaires, tout ça) :

« Les cabanes sont des endroits magiques dans lesquels vont les pères de famille pour boire de la bière et médire sur leurs femmes au milieu d'outils électriques et de carcasses de chaises longues. Mon cas fait exception, puisque ma mère avait transformé notre cabane en un studio, avec salle de bain et électricité (mais on appelait quand même ça, “la cabane”). En gros, c'est un garage dans lequel il est impossible de garer une voiture. »

On dirait que les cabanes ont cette même aura de masculinité triste et déprimante que les sous-sols et les garages du reste du monde. Celle-ci m'évoque un père de famille continuant d’astiquer, année après année, ses trophées de boxe en écoutant, à très faible volume, le même vinyle du Nebraska de Springsteen. En Australie, elles ont visiblement la même connotation qu'au Royaume-Uni. En fait, il existe une organisation, l'Association des cabanes pour hommes australiens (AMSA), dont l'objectif est d'offrir aux hommes un endroit ressemblant à une cabane, juste pour qu’ils puissent bricoler, et avec un peu de chance, glander, discuter et raconter leur vie à des gens qu’ils ne connaissent pas mais qui leur ressemblent. Comme le dit le site de la AMSA : « La plupart des hommes ont appris de notre culture qu'ils ne doivent jamais parler de leurs sentiments, ni de leurs émotions… Cela veut dire qu'ils ne demandent jamais d'aide. C'est sans doute pour ça que la plupart des hommes sont en moins bonne santé que les femmes. Ils boivent plus, prennent plus de risques, et souffrent plus souvent d'isolement, de solitude et de dépression. »

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La cabane qui l'a emporté dans la catégorie Cabine téléphonique, bâtie par David Lifton.

En matant les quelques cabanes déconneuses qui ont participé à ce concours (il existe une catégorie spécifique pour les cabanes qui ressemblent aux cabines téléphoniques), la culture des cabaneurs est un peu plus funky que l’image mentale que je m’en étais faite et qui ressemblait, en gros, à une longue ligne de bonshommes moustachus, râleurs et enfermés dans une prison en bois qu'ils auraient eux-mêmes construite. Parce que ouais, c’est comme ça qu'ils s'appellent entre eux ; les cabaneurs.

Il existe une longue entrée consacrée à ce phénomène dans le dictionnaire en ligne de Macmillan. D'après celle-ci, la récession permanente dans laquelle nous vivons aurait conduit de nombreuses femmes à construire des « bureaux de jardin » dans des cabanes, ce qui va « à l'encontre de l'image éculée voulant que la cabane soit le dernier bastion de la masculinité ». Considérer les cabanes comme des pièces en plus, mais planquées dans le jardin (comme l'a fait la maman de Bruno) semble être un fait de plus en plus commun.

(Ce phénomène n'est pas limité aux frontières du Royaume-Uni. Des amis irlandais m'ont dit que, durant les années de boom économique – il y a longtemps, donc – il était courant que les gens construisent des cabanes pour signifier leur statut. Aussi, il existe une entreprise du nom de Shomera spécialisée dans « l'agrandissement de la maison » c'est-à-dire, dans ce type spécifique de cabanes : les cabanes de bourges.)

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Gary Logan dans sa cabane. Celle-ci l'a emporté dans la catégorie Cabane Pub.

L'idée de transformer une cabane en un bureau ou un salon va contre l'utilité première des cabanes qui, comme le souligne cet article exhaustif sur l'histoire des cabanes, était de satisfaire « le besoin intrinsèquement humain de stocker ». À l'origine, les cabanes étaient utilisées pour y abriter des outils agricoles et des animaux, mais en effet, de nos jours, les gens n'ont plus beaucoup d'animaux ou d'outils agricoles. La plupart des propriétaires de cabanes n'en ont même pas vraiment besoin. C'est pourquoi ils peuvent se permettre de la transformer en de plus ou moins confortables endroits dans lesquels ils peuvent trinquer, mater des séries télévisées de science-fiction, ou en n'importe quoi d'autre. D'ailleurs, certaines idées de cabanes ressemblent à des folies, ces villégiatures que les nantis construisaient juste parce qu’ils en avaient les moyens.

Venant de moi, on pourrait croire que cette réflexion relève de l’anthropologie à deux francs, mais je pense sincèrement que les cabanes qui participent au concours de la Cabane de l'année ne sont pas que des preuves matérielles de la richesse de leurs propriétaires. Ce qui me frappe, c'est le côté déconneur que possèdent la plupart de ces cabanes. Si les Américains se mettaient à faire des cabanes, j'imagine qu'on se retrouverait avec des trucs voyants munis de portes électriques, de fresques à l’effigie de l'aigle américain, lui-même brandissant un fusil d’assaut, et un écran plat accroché sur la moindre surface disponible. J'essaie d'imaginer un non-Britannique qui transformerait une cabane en une fausse maison ultra colorée qu'il appellerait « la cage à poules » mais sérieux, c’est impossible. Les hommes qui ne sont pas nés en Angleterre se prennent trop au sérieux pour s'autoproclamer « cabaneurs ».

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Clare Kapma à bord de sa cabane, lauréate de la catégorie Cabane Normale.

J'ai envoyé un mail à Blake Holt, patron du site sheddies.com, pour qu'il m’en dise plus sur les cabanes et leur culture. Ce dernier m'a parlé d'un événement que lui et son ami Paul, un autre amoureux des cabanes, ont organisé l’été dernier pour célébrer tous les bons côtés des cabanes (la virilité, les projets d'amélioration de la maison, et visiblement, une haute non-estime de soi) :

« Paul a construit une nouvelle cabane monumentale (élargissant la définition de cabane, puisqu'il y a inclus une partie pour que sa femme puisse y faire pousser des légumes !) et il voulait une cérémonie d'inauguration mémorable. On n'a pas pu avoir le mec qui avait fait la cérémonie inaugurale des J.O. de Londres 2012 – il était occupé – du coup on a décidé de faire nos propres J.O. des Cabanes. Ces olympiades comprenaient des épreuves de lancer de marteau, de coupe d'arbre à la scie, de maniement du tournevis, de câblage électrique et bien d'autres occasions de mettre en avant les vertus DIY que nous, les hommes, acquérons et perfectionnons tout au long de notre vie. Une bonne dizaine d'équipes étaient en lice (dont une équipe exclusivement composée de femmes qui avait réussi, nul ne sait comment, à passer la sécurité). Les médailles d'or, d'argent et de bronze avaient été frappées par le potier du village. Une atmosphère de vive compétition s’est répandue dans le jardin l’espace d’un après-midi. Les médailles ont été remportées (certaines par les femmes, hélas) et la cabane a été déclarée ouverte comme il se doit. »

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La cabane qui a remporté le titre dans la catégorie Cahute/Maison de campagne, bâtie par Abigail Walker.

Ça a l'air d'être une drôle de façon de passer son temps, au même titre que transporter un bateau au sommet d'une colline en vue d'en faire le toit de sa future cabane. D'ailleurs, au même titre que tout ce que font les cabaneurs. Est-ce que la Semaine de la cabane, le concours de la Cabane de l'année et la culture des cabanes sont en réalité les multiples facettes d'une blague très élaborée que personne ne peut comprendre, à part les Anglais ? Quand un porte-parole de Cuprinoal, la marque d'agents de protection pour bois qui sponsorise le concours, dit que : « Les cabanes font indiscutablement partie de l'identité britannique », comment être sûr qu’il n’est pas en train de se foutre de notre gueule ? Combien de couches d’ironie entourent cette discipline ?

La cabane qui l'a emporté dans la catégorie Bureau de jardin, bâtie par Jonathan Sullivan.

Même après toutes ces recherches, je ne conçois toujours pas les cabaneurs comme autre chose qu'un tas de gens un peu déconneurs, un peu fous, mais totalement inoffensifs. Ça n'en fait pas des gens méchants. Il vaut mieux qu'ils passent leurs journées à retaper leurs cabanes plutôt qu'à construire des bombes artisanales ou former des milices, comme ont tendance à faire les Américains lorsqu’ils ont du temps libre. Les cabaneurs sont les heureux propriétaires d’une démence douce, calme, et c’est plutôt marrant de voir cette folie se manifester dans d'absurdes projets d'amélioration de leur maison.

Et puis, putain, ces mecs ont construit des chouettes cabanes. Qu'est-ce que vous foutiez, pendant ce temps ?

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