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LE NUMÉRO BIEN SOUS TOUT RAPPORTS

Faire briller l'or noir du 9.3 jusqu'au Qatar

Avec 50 centimètres de tour de bras, une barbe irréelle et un flow de mercenaire, Kaaris est l'un des seuls rappeurs français contemporains que VICE respecte. À 30 ans, il arrive dans le rap sur un char russe avec des lance-roquettes dans le coffre.

Photos : Nicolas Poillot

Avec 50 centimètres de tour de bras, une barbe irréelle et un flow de mercenaire, Kaaris est l'un des seuls rappeurs français contemporains que VICE respecte. À 30 ans, il arrive dans le rap sur un char russe avec des lance-roquettes dans le coffre. Originaire de Sevran, Seine-Saint-Denis, Kaaris rappe depuis le début des années 2000. Après plusieurs apparitions sur des mixtapes de Posca puis d’autres freestyles sur différents labels pétés, il s’est retrouvé l’année dernière en featuring avec Booba sur « Criminel League » avant de sortir Z.E.R.O en mai 2012, le meilleur street-album de rap français de ces cinq dernières années.

D’après sa biographie opaque, Kaaris a fait un tour en Côte d’Ivoire au début des années 2000 alors que le pays était en pleine guerre civile. C’est avec l’envie d’éclaircir tout ça qu’on est rentré en contact avec son nouveau label, Therapy Music, créé spécialement pour lui par 2093, l’un des producteurs de Booba.

Son manager nous a donné rendez-vous à Sevran, entre la Roseraie et Rougemont, les deux cités de la ville où traîne le rappeur. Une fois sur place, on a rencontré Kaaris accompagné de son pote Bizon ; pour l’interview, ils ont demandé à des kids du coin de nous ramener des cannettes de Tropico. VICE : J’ai entendu du son dans ta caisse en arrivant. T’écoutais quoi ?
Kaaris : Ah, ah. Il y a des trucs que je cherche à cacher parfois. Mais sinon c’est comme tout le monde, c’est les sons qui tournent, c’est 2 Chainz. « Riot » défonce, mais l’album n’est pas terrible.
Ouais, il y a des trucs bizarres dessus, mais il y a aussi d’autres morceaux pas mal. Il est vraiment fort. Dans ta biographie, j’ai lu que tu étais en Côte d’Ivoire en 2003 ; tu faisais quoi là-bas ?
J’y étais juste avant la guerre ; je ne m’attendais pas à ça. Quand t’es un jeune banlieusard et que tu vis la vie de rue, la vie de cité, et que tu te retrouves dans un vrai conflit, tu comprends pas. C’était la première fois que j’y allais et je suis tombé sur le conflit direct. Il y a un truc qui m’a semblé chelou là-bas, c’était le camp du 43e BIMa, au sud d’Abidjan. D’où le titre de la mixtape [43e BIMa, sortie en 2007] ?
Ouais, c’était le camp des militaires français ; putain, c’était bizarre. Quand je suis rentré dans le camp la guerre avait disparu, les gens bronzaient, il y avait des piscines, des petites filles qui faisaient du vélo. Je suis resté là-bas une dizaine de jours, et la différence avec ce que les Ivoiriens vivaient… C’était chaud. Dans un freestyle d’il y a quelques mois sur Générations, tu dis que t’es parachutiste. T’as fait l’armée ?
Non, je n’ai jamais été dans l’armée. Ah OK – il n’empêche que ton esthétique s’en rapproche beaucoup.
C’est vrai, c’est tout comme. Quand j’étais là-bas c’était pareil, c’était la guerre. Je n’y suis pas resté dix jours, j’y ai passé un an. Quand ça a commencé à exploser, j’étais dans une ville qui s’appelle Yopougon, et il n’y avait pas d’évacuation pour les ressortissants français. J’ai dû me débrouiller tout seul pour aller de cette ville jusqu’au camp militaire, j’ai dû marcher des kilomètres et des kilomètres. Je me suis démerdé à trouver des voitures parce que plus rien ne roulait dans les rues.

Ouais.
Une histoire m’a marqué quand je suis arrivé à l’aéroport d’Abidjan, alors encerclé par des chars militaires français. Un jeune soldat, qui devait avoir mon âge – 22, 23 ans – est venu me voir pour me demander ce que je faisais. Je lui ai dit que j’étais français, je lui ai montré mon passeport, et il m’a dit : « Ah mais ça va, t’es pas comme ces singes là-bas. » Merde. Ça t’a pris combien de temps pour faire Yopougon-Abidjan ?
J’ai changé deux fois de voiture, je crois. Ça me semble flou aujourd’hui, mais ça a mis du temps. Peut-être trois heures. En plus j’étais vraiment malade, je ne pense pas que les gens puissent s’en rendre compte, mais quand la guerre éclate dans un pays, t’es plus le même. Et comme par hasard, au moment où la guerre a éclaté, je suis tombé malade. Ça a été une galère pas possible. Tu as assisté à des combats ?
Ce qui est étrange dans une guerre, c’est que tu entends des trucs, mais tu ne vois presque jamais rien. Juste des gens qui courent. C’est plus le bruit qui m’a marqué. Je n’ai pas vu d’hélicoptères qui envoient des missiles, juste du bruit, c’est ça qui prime sur les autres sens. J’entendais des tirs, je voyais des cars qui passaient avec beaucoup trop de monde dedans, c’était n’importe quoi. Puis d’un coup j’arrive au BIMa et c’est le camp de Mickey. Ah, ah.
J’étais l’un des seuls renois du camp. C’était une galère, on dormait à la belle étoile, t’avais les moustiques qui t’enculaient ta race. Le premier jour j’avais une moustiquaire. Mais quand je me suis levé pour aller chercher mon sandwich – ils donnaient un sandwich au pâté à tout le monde, c’était chaud –, un mec me l’a taxée. De là, j’ai mis une dizaine de jours avant de rentrer. Il s’est passé des trucs bizarres. Il s'est passé quoi ?
Quand je suis arrivé, ils m’ont dit que les femmes et les enfants partaient en premier. J’ai discuté avec un petit jeune dont le père travaillait pour Maisons du monde. Le lendemain, il n’était plus là. On m’a dit qu’il avait eu un avion spécial affrété par la société. Au final j’ai pris le dernier avion : il était rempli de Renois. Ils disaient « femmes et enfants d’abord » mais je comprenais pas pourquoi les hommes se barraient quand même, jusqu’à ce que je tombe sur le commissaire et que je lui demande : « Pourquoi on dit “les femmes et les enfants d’abord” alors qu’il n’y a que les Blancs qui ont disparu ? Il ne reste que des Renois. » Il m’a répondu : « Non mais on fait ce qu’on veut, fais-moi voir tes papiers, ils sont vrais d’abord ? » Je vois. Et le rap français ?
Le rap c’est quelque chose qu’il faut faire à fond. C’est pas facile, faut y aller durement. Il y a des groupes, on dirait qu’ils rappent en 1999 ; nous si on ne résiste pas, si on ne vient pas avec de la frappe, les générations qui vont arriver ne vont écouter que les trucs qui passent en radio. Ouais.
C’est pour ça qu’on ne lâche pas l’affaire, tu vois. De toute manière, ceux qui passent à la radio ils sont fans de nous. Sans s’envoyer en l’air ou quoi, mais c’est la vérité. Ceux qui passent en radio, ils savent. Le street-album de Kaaris, Z.E.R.O, est toujours disponible chez Therapy Music.