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Interview

J’ai tenté de faire la paix avec Dieudonné

Un après-midi avec l'humoriste juif qui va se produire au théâtre de la Main d'Or.

Casquette à l'envers et jean retroussé, Yonathan Sayada ressemble de loin, à un adolescent. Tandis que je m'avance dans sa direction, celui-ci me prévient : « Aujourd'hui, on a plus de chance de passer inaperçu si on prononce le nom Hitler en public que celui de Dieudonné. » Difficile de répondre à cela. Mais je l'apprendrai au cours de notre entretien : c'est sans doute vrai. Les gens se retournaient vers nous dès que l'on prononçait le nom Dieudonné.

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Âgé de 27 ans Yonathan est comique, et monte sur scène depuis 7 ans. Il est Juif. Il a fait ses débuts sous le nom de Yonathan au Chinchman Comedy Club, scène ouverte où durant toute une année, il a joué 5 minutes tous les lundis soir. Puis, on lui a proposé un créneau d'une heure dans un café-théâtre. Comme il est plutôt marrant, il a réussi à remplir la salle et on lui a offert en conséquence un nouveau terrain de jeu, plus vaste, le théâtre du Gymnase, dans le 10 e arrondissement parisien. De son propre aveu, il n'avait « pas le niveau » et a, de selon ses termes, « perdu beaucoup d'argent ».

Après cela, Yonathan passe par une période de dépression qui va durer plusieurs mois, avant de revenir avec de nouveaux projets. Il devient intervenant chez Beur FM. Mais sa résolution la plus importante consiste à faire la paix par le biais de l'humour avec Dieudonné M'bala M'bala et son antisémitisme notoire. Jusqu'à être invité par l'humoriste préféré de la droitosphère dans son théâtre de la Main d'Or. Ce qui s'annonçait comme une idée plutôt casse-gueule a néanmoins l'air de bien fonctionner auprès du public, puisque la vidéo de présentation de son nouveau spectacle intitulé « Ma réponse à Dieudonné», cumule déjà plus de 150 000 vues sur YouTube.

Comme je voulais en savoir plus sur ses motivations et les raisons qui l'ont poussé à organiser ce nouveau spectacle dans l'antre du comique devenu paria, je l'ai rencontré devant la Main d'Or, dans le 11e, à la veille de sa première.

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VICE : Salut Yonathan. Parle-moi de ta décision de jouer à la Main d'Or.
Yonathan : C'est un long processus. En 6 ans, vu le nombre de gens qui sont venus me voir en me disant : « Je connais Dieudo, il faut absolument que tu ailles le voir parce qu'avec ton humour, il va adorer », franchement je n'écoutais plus. Un jour, tandis que je jouais à Marrakech, un mec s'est présenté comme étant l'ami de la femme de Dieudo, et m'a dit : « Je vais lui envoyer ce que tu fais. » OK. J'oublie. Puis, en octobre 2015, je reçois un mail d'un dénommé Dieudonné M'bala M'bala. Je pense d'abord que c'est une blague. Dans celui-ci, je lis : « J'ai vu une de tes vidéos, j'aime beaucoup. Il faut absolument qu'on se rencontre, j'aimerais qu'on discute. »

À ce moment-là, je me dis qu'il va me proposer un spectacle à La Main d'Or et que je vais devoir dire non au meilleur. Et je pense : ça fait chier.

Pourquoi tu te dis que tu « vas devoir dire non » ?
Eh bien, je n'ai pas encore l'idée de lui proposer la paix. Je me dis juste : j'ai un humour provocateur, je suis Juif, je vais jouer à la Main d'Or. Donc : non. Je me dis : c'est dangereux. Je veux dire, j'espérais encore avoir une carrière à ce moment-là. [ Rires]

Donc tu te dis, en gros : « c'est dangereux pour ma carrière » ?
Oui. Et puis, même à ce moment-là, je ne suis pas encore rassuré par le personnage. Je ne le connais pas. Même si je n'ai jamais été un de ses détracteurs, je n'ai jamais été à fond avec lui. J'ai toujours considéré qu'artistiquement il était au-dessus de tous les autres. Ça, je dirais, personne ne le conteste. Mais je me dis, même si Hitler me disait, viens on discute, je vais discuter. Je veux savoir ce qu'il y a dans la tête du personnage. Donc : j'y vais.

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L'affiche du spectacle « Ma réponse à Dieudonné ».

Comment s'est passée votre première rencontre ?
Déjà, je lui demande ce qu'il a vu. Parce que s'il a vu mes sketchs sur la Shoah, je me dis c'est biaisé. Il se trouve qu'il n'a pas pu voir ça, ça n'a pas été uploadé pas sur Internet. Il a vu celui sur la circoncision. Dedans, il n'y a rien de grave, rien de choquant.

Sur quoi l'as-tu interrogé ?
Sur tout. Sur l'antisémitisme, tout d'abord. Évidemment je lui demande s'il est antisémite. Il me répond : « C'est quoi l'antisémitisme ? Moi j'ai pas envie de tuer les Juifs. » Il est un peu en colère, mais ça ne me dérange pas. Moi tu vois, je me sens très, très Juif, mais je suis pas fier de ce que l'on véhicule, je suis pas fier de mes porte-parole. J'ai pas envie que Bernard-Henri Levy et Finkielkraut disent ce que le peuple juif pense, je ne connais pas ces gens-là. On n'est pas comme eux, en vrai. Puis je l'ai questionné sur l'historien négationniste Robert Faurisson.

Je lui ai demandé : « Est-ce que j'ai le droit de dire que t'es un nègre antisémite ? » Il m'a dit OK. J'ai dit vendu.

Et que t'a-t-il dit sur Faurisson ?
Eh bien, c'est une question sur laquelle je n'ai pas été convaincu. C'est-à-dire, je suis convaincu qu'il a essayé de bien faire, mais qu'il a raté.

Bref. On se voit comme ça pendant deux mois et peu à peu, se crée un lien de confiance où je vois que le mec est en réalité un nounours : il n'a rien de méchant. À ce moment-là je me dis que je peux lui montrer le sketch dans lequel je vais le plus loin. Il m'envoie juste un mail en disant : merci. Ce sketch, je l'ai fait devant des Ashkénazes qui m'ont dit : « C'est l'humour qu'on avait nous-mêmes dans les camps. »

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J'ai mis longtemps à oser lui envoyer ce sketch. Je ne voulais vraiment pas qu'il me kiffe pour ce genre de trucs. Il me dit : « T'es le premier que je vois qui prend des risques en 15 ans. » Et il me propose donc de jouer à la Main d'Or.

Et – tu as accepté.
Je lui ai d'abord demandé de réfléchir. Pendant une semaine je me suis dit : « Non, je peux pas le faire. » Et puis j'ai eu ce que j'appelle la nuit de mon buisson-ardent. [ Rires] Je réalise que ça fait des années que ce que je fais, c'est une forme de réponse à ce qu'il fait. Je l'appelle à 4 heures du mat. Je lui dis : « Je te propose de faire la paix. Puisque tu n'es pas antisémite. Puisque ton but, c'est de rire avec tout le monde. »Il a dit oui tout de suite.

As-tu reçu une éducation religieuse ?
Oui. École juive, du lendemain de ma circoncision jusqu'à mes 14 ans. Mon père est très religieux. On faisait shabbat. Je connais la Torah par cœur.

Depuis que tu as rendu publique ton idée de spectacle avec Dieudonné sur Facebook, tu as reçu pas mal de commentaires, dont certains sont loin de soutenir ta démarche – parfois mettant même en doute le fait que tu sois Juif. Qu'est-ce que ce déferlement de haine t'inspire ?
Jamais de ma vie on m'avait soupçonné de ne pas être Juif. Je suis quand même le cliché absolu du petit Juif dit « Chalala ». Mais là apparemment, je ne suis plus Juif. Ça me fait de la peine. Il y a tellement de haine dans ce monde que maintenant on arrive à se détester même à l'intérieur d'une même communauté, qui est par ailleurs l'une des plus soudées – c'est même ce qu'on lui reproche parfois. Franchement ça m'attriste vraiment pour l'humanité.

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On te reproche de porter préjudice à la communauté juive. Qu'en penses-tu ?
Bah, non. Non, non et non. En fait Dieudonné fait des vannes sur les Juifs, ensuite les Juifs le boycottent, disent que c'est une merde et moi, je me mets juste à la place de l'antisémite de base qui voit le Juif donner raison à Dieudonné.

Moi je dis OK, tu veux rire de nous, pas de problème : je vais rire avec toi. Je vais aller sur ton terrain. Je ne suis pas en désaccord avec le fait de te parler, t'es un être humain. Je suis contre la fermeture, la « sectarisation ». Il a voulu dire, en gros, que les Juifs on était trop entre nous, et pour le condamner, on s'est encore plus repliés sur nous-mêmes. Donc on a donné raison aux antisémites. Moi, ça m'énerve. Je parle aux antisémites en fait. Les Juifs, je n'ai pas besoin de les convaincre de ne pas être antisémites. On ne peut faire la paix qu'avec son ennemi.

Revenons à tes conversations avec Dieudonné. Vous vous êtes retrouvés ensemble à la Main d'Or le soir des attentats du 13 novembre, il me semble.
En effet. J'étais à la Main d'Or pour la répétition générale de Dieudonné devant la presse. Et on s'est retrouvés tous deux cachés dans les coulisses. C'est cette nuit-là que j'ai pris ma décision. Ça a pris encore plus de sens.

As-tu mis des conditions à ta réponse positive ?
J'ai posé une condition. Avoir carte blanche : qu'il ne voie pas le spectacle avant, que j'aie le droit de faire ce que je veux. Il m'a répondu : « Bien sûr, fais ce que tu veux, pas de problème. »Alors j'ai demandé : « Est-ce que j'ai le droit de dire que t'es un nègre antisémite ? » Il m'a dit OK. J'ai dit vendu.

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Tu n'as pas peur d'être manipulé, quelque part ?
J'en ai rien à foutre. Mon but n'est pas de décider si Dieudonné est antisémite ou pas. C'est de montrer si nous, « les Juifs », on est capable de faire preuve de Chrétienté. On nous met une baffe – est-ce qu'on tend l'autre joue ou est-ce qu'on remet une baffe ? Est-ce qu'on est des Arabes ? [Rires] C'est l'une des premières vannes de mon spectacle.

La France est ouvertement islamophobe, parce que, c'est pas grave, c'est pas honteux, « on aime pas les Arabes, tout va bien ». En revanche les Juifs, personne ne les aime, mais les gens sont discrets à ce propos.

Cette histoire de Dieudonné, à qui a-t-elle fait du mal en vrai ? Pas à Dieudonné – ses salles sont blindées. En revanche les Juifs, on n'en est pas sorti grandis. On a désormais une image genre « on ne peut pas rigoler avec nous, on ne peut pas nous toucher, on est seuls dans notre coin ». Moi j'en peux plus. Je veux montrer une autre image, vraiment.

Aujourd'hui, tu es chez Beur FM. Tu y es libre de dire ce que tu veux ?
Bien sûr. Je ne me suis jamais senti aussi libre que chez eux. Pourquoi je vais aussi loin ? Parce que je vais « chez les Rebeu ». Je vais sur leur terrain, alors qu'en plus on m'avait proposé une émission sur Radio Shalom – mais ça ne m'intéresse pas. Je vais chez les Rebeu, je fais des vannes sur les Juifs et ils sont là : « Ah ouais il est sérieux ; il vient chez nous faire des blagues sur les Juifs, c'est notre copain, on peut rigoler avec lui. » Et au moment où ils rigolent, je leur dis « Stop les gars » et là bim – vanne un peu islamophobe et là ils peuvent rien dire. Ils me disent OK, t'es blanchi, tout va bien. Du coup, on peut rigoler de tout après.

Il me semble que tu t'es également produit dans un restaurant halal. Ça s'est passé comment ?
Là, c'était le summum du summum. 50 % de la salle sont des musulmans religieux et chez les autres 50 %, tu sens la haine. Ils voient un Juif monter sur scène et au début, ils me regardaient avec haine. Puis je fais mon sketch du Juif qui se déteste tellement qu'il est persuadé d'être nazi et ils rient. Certains viennent et me disent des trucs comme : « Toi t'es un Juif pas comme les autres, on t'aime bien. » Au début, ça m'a vexé. Je me disais : ils détestent les autres. Puis je me suis dit : je leur ai montré un truc qui leur fait un peu aimer les Juifs. Donc quelque part, cool, j'ai réussi mon travail.

D'accord, mais c'est un peu facile de rire des Juifs devant ce public non ?
Oui, sauf que je ne me laisse pas avoir. Ce que je fais c'est : « Là vous avez ri des juifs pendant 10 minutes. Maintenant, on va rire de vous. »

La première de ton spectacle aura donc lieu le 12 février à la Main d'Or. Tu as prévu un dispositif de sécurité particulier ? Ça doit être un peu flippant, non ?
Oui. Je suis allé au commissariat du 11e. Ils ont tout de suite compris. Il y aura effectivement des flics devant la Main d'Or, peut-être un ou deux flics en civil dans la salle, plus le service de sécurité de Dieudonné. Ça va bien se passer.

Mais toi, tu n'as pas peur ?
Tu sais, avant j'allais voir un psy et elle m'a dit : « Le jour où tu remplaceras le mot peur par le mot envie c'est que tout ira bien – tu auras compris. » Et elle a vraiment raison. Quand on a peur c'est qu'on a envie, donc faut le faire. Et puis un truc important, j'ai une deuxième démarche : libérer à nouveau l'humour. Parce que j'en peux plus de tous ces humoristes basiques. L'humour, ça doit servir à désamorcer, à faire bouger les choses, peu importe, mais ça ne doit pas être « juste pour rigoler ». Pour ça il y a les chatouilles, ça marche très bien.

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