Tueurs nés

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Tueurs nés

Les scènes d'ultraviolence contemporaine – type la tuerie de l'école primaire de Newton dans le Connecticut, ou celle d'Aurora dans le Colorado – ne peuvent que renforcer le sentiment d'insécurité ambiant.

Les scènes d'ultraviolence contemporaine – type la tuerie de l'école primaire de Newton dans le Connecticut ou celle d'Aurora dans le Colorado – ne peuvent que renforcer le sentiment d'insécurité ambiant. De nos jours, la peur, aussi réelle que fantasmée, s’amplifie, se transforme, et prend une place de plus en plus importante dans notre quotidien. Et de fait, face à toutes ces merdes venues des États-Unis, il est difficile de ne pas se sentir impuissant. Le sentiment d’insécurité peut pousser certaines personnes à s'enfermer chez elles – ou à enfermer leur famille pendant des années, comme ce mec à Saint-Nazaire.

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La première fois que le monde a été témoin de ce phénomène, c'était en septembre 2001, quand Manhattan s'est retrouvé interdit au public et fermé par un nombre incalculable de barrières, de clôtures et de gardes. L'espace dans lequel les New-Yorkais avaient toujours eu l'habitude de bosser mutait à tel point qu'on ne distinguait plus la réalité du fantasme. Depuis ce jour, des gens se sont mis à s'interroger sur ce sinistre « territoire de la peur ». Et c'est dans ce genre de période – lorsque les Américains sentent une menace imminente venir de l'intérieur ou de l'extérieur de leur pays – que le phénomène d'affolement se déclenche et dévoile ce qu'il a de plus puissant et de plus pernicieux.

Cette série de photos, intitulée Trigger, date de 2010. L'idée nous est venue lorsque notre pote a voulu fêter son anniversaire dans une salle de tir. Celle-ci était située dans un centre commercial totalement banal – banal, jusqu’à ce que nous tombions face à une immense sélection de cibles à vendre. Ces cibles, tirées à échelle humaine, représentaient des silhouettes reproduisant toutes les figures de l'angoisse contemporaine. Ce face à face avec le cerveau américain nous a fait comprendre toute la peur et toute la haine que le monde occidental avait à revendre.

Les cibles en question représentaient un Latino pointant un flingue sur la tempe d'un gamin en otage, des mecs habillés en terroristes islamistes – avec des bombes autour de la taille etc. –, une reconstitution de Columbine dans laquelle un ado en visait un autre et enfin, un obèse en salopette armé jusqu'aux dents, le fusil droit dans notre direction. Il s'agissait d'une utilisation de la photographie tellement incroyable qu'on a acheté immédiatement toutes les cibles à disposition.

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Basée à Blaine dans le Minnesota, la boîte qui crée, produit et commercialise ces cibles s'appelle Law Enforcement Targets. On les a appelés pour leur demander s'ils étaient d'accord pour fabriquer notre propre série de cibles. Ils nous ont accueillis à bras ouverts et ont accepté de produire notre ligne. À l'époque, on était en train de planifier une expo à l'Aldrich Museum, dans le Connecticut. La première série de photos a été réalisée dans le musée même ; les employés ont accepté de nous servir de modèles.

La LET a accepté la sélection de nos premiers clichés et l'a revendue sous le titre « La violence sur les différents lieux de travail ». Depuis, ils en ont commercialisé d'autres : « La violence en zone urbaine », « Braquage à mains armées dans une épicerie », « La vraie vie des zombies » (en effet, on a dû se transformer en zombies pour servir de cibles dans plusieurs salles de tir), et récemment, une série sur la « Violence dans les transports en commun ».

Au total, on a réalisé une soixantaine de cibles pour ce projet intitulé Trigger. La plupart sont en vente, les autres sont sur le point de sortir. Aujourd'hui, la LET a vendu plus de 330 000 cibles issues de notre gamme perso, Type A. On est donc assez fiers quand on pense que, dans plusieurs villes américaines, des mecs achètent nos cibles, tirent dessus, les accrochent dans leur chambre puis les foutent à la poubelle en hurlant.

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Trigger peut être interprété de différentes façons. Le projet représente notre conception de la peur et de la menace. Cependant, d'un point de vue purement commercial, il répond à un besoin populaire bien particulier : celui de pouvoir se représenter l'image de l'ennemi avec de simples cibles. On pourrait donc tous s'entraîner dessus au cas où, bientôt, on se retrouverait face à un tueur de masse infernal. Peu importe la manière dont il faut interpréter la série, en fait. Le plus drôle, c'était de prendre ces photos de nous déguisés en morts-vivants. Mais ouais, on en est super fiers.

Type A est issu de la collaboration d'Adam Ames et d'Andrew Bordwin. Dès sa création en 1998, Type A se sont surtout concentrés sur les problèmes inhérents aux sociétés contemporaines ; le territoire, la peur, la sécurité et l'autorité. Ils ont également cherché à ne pas seulement exposer leurs boulots dans les lieux ordinaires du monde de l'art contemporain. Type A a été exposé partout dans le monde ; vous trouverez plus d'infos à leur sujet ici.

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