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reportage

Fishing Without Nets - trailer

Le réalisateur revient sur la prise d'otage dont il a été victime en tournant son documentaire

L'an dernier, mon collègue John Hibey et moi avons pris un avion pour le Kenya dans l'idée de tourner un mini docu-fiction sur les raisons qui poussent les somaliens à devenir pirates. Comme c'était trop dangereux de tourner en Somalie, on a bossé dans la ville de Mombasa au Kenya, à environ 100 km au sud de la frontière somalienne, en bordure de l'Océan Indien.

Une nuit, alors que nous nous trouvions sur une plage sombre, des types sapés en uniforme de l'armée kényane et munis d'AK-47 ont surgi de l'ombre pour nous dépouiller. C'était la nuit la plus terrifiante de toute ma vie. En même temps, cet épisode nous a aussi donné l'idée principale pour mon film : Fishing Without Nets.

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Au mois de janvier dernier, le festival de Sundance a attribué le Prix du Jury pour le meilleur court-métrage à notre film de 17 minutes. Après s'être fait volés, arnaqués, harcelés et enfermés, remporter un prix à Sundance était probablement la dernière chose à laquelle nous nous attendions en cet automne 2010, lorsque nous tournions en Afrique de l'Est.

Nous devions absolument voir ce qu'il se passait là-bas. Nous avions besoin d'étudier la géographie du pays, de goûter la nourriture locale et de nous imprégner de la vie quotidienne avant de nous mettre à écrire un quelconque script. En un clin d'œil, j'ai donc dépensé l'argent que j'avais récolté en filmant U2 en tournée – ainsi que pas mal de mon propre fric – et, après avoir lâché la fac pour me consacrer intégralement au docu, j'ai plus appris sur la corruption et la bureaucratie qu'en un semestre d'échange à l'étranger.

Lorsque j'ai lu, en 2008, un article de journal à propos des pirates somaliens, ce truc m'a tellement fasciné que je me suis mis à lire (sur le net, à la biblio, n'importe où) tout ce que je trouvais sur le sujet. Au départ, les pirates m'avaient l'air assez romantiques : les somaliens prétendaient qu'ils s'en prenaient simplement aux étrangers qui balançaient leurs ordures et pêchaient illégalement dans leurs eaux. En fait, c'est un peu plus compliqué que ça ; j'ai vite réalisé qu'ils n'étaient pas franchement des Robins des Bois. En tout cas, personne n'avait encore raconté leur histoire – une longue histoire de pirates, que je me suis efforcé de traiter avec le plus d'empathie possible et d'humanité. Ça n'a pas été évident.

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Lorsque nous avons atterri au Kenya, notre plus gros défi fut d'obtenir du gouvernement la permission d'utiliser des AK-47 et des lance-roquettes pour rendre notre film « authentique ». Il est évident que vous ne pouvez pas tourner un docu sur les pirates somaliens sans qu'ils soient armés jusqu'aux dents. L'autre problème fut de travailler sans acteurs. Les mecs du casting – c'est-à-dire, tous les somaliens réfugiés au Kenya – insistaient pour qu'on leur fournisse du khat (une plante locale aux vertus stimulantes) chaque jour de tournage. Pour les diriger, je parlais anglais à notre fixeur qui traduisait en Swahili afin que quelqu'un d'autre puisse ensuite traduire en Somalien ; une sorte de téléphone arabe de l'enfer.

En y repensant, nous aurions pu appeler notre film: Deux blancs vont au Kenya pour convaincre les flics de leur filer leurs flingues.

La nuit où l’on s'est fait dépouiller, nous étions au Kenya  depuis déjà deux semaines ; on essayait d'écrire des bribes de story-board, de repérer les endroits où filmer et de caster les « acteurs » potentiels. C'est cette nuit-là que notre troisième producteur, Raphael Swann, est arrivé de Californie.

Plutôt que de faire découvrir à Raphael les bas-fonds de Mombasa dans lesquels nous n'avions pas franchement envie de retourner, nous nous sommes dirigés dans un hôtel à deux heures de là. La musique était forte, les boissons peu alcoolisées et l'endroit était plein de fumée et de touristes européens. Nous avions besoin de faire un break donc nous avons décidé de tracer vers la plage, accompagnés par un autre américain que nous venions de rencontrer.

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Là, cinq types ont surgit de la pénombre en agitant leurs flingues.

« Vous allez avoir de gros ennuis » nous a dit l'un des types. « This is a CNN incident. »

Les types nous entouraient de part en part. Ils nous ont ensuite menottés avant de nous diriger vers l'océan.

Je me souviens qu'ils se gueulaient franchement dessus les uns les autres. Les flingues étaient pointés sur nos crânes. On n'arrivait pas à savoir qui était le chef parmi eux. Je savais juste que ce n'était pas moi. J'étais désormais prisonnier.

De loin on entendait la musique mais il nous était impossible de crier à l'aide. Nous avions de l'eau jusqu'à la taille lorsque je me suis dit : « Merde, on va en taule avant même d'avoir pu filmer une seule scène ».

Puis, j'ai pensé : « En fait, on va peut-être se faire buter par ces mecs. Là, tout de suite. »

John s'est mis à leur gueuler dessus. Raphael a réveillé l'agent qui sommeillait en lui et a entamé les négociations. Je me suis mis à penser à un million de trucs qui tournaient tous autour du thème « Putain, c'est vraiment la pire façon de se faire interdire de tourner un film. »

Tour à tour, nous avons réalisé que nous n'avions pas affaire à des flics mais à de véritables bandits. Nous n'irions donc pas en taule. Le point positif, c'est que Raphael pouvait continuer à boire sa bière même menotté. C'est aussi le moment où je me suis vraiment mis à flipper. Ils parlaient aussi bien l'anglais que nous le Swahili. La scène ressemblait à ces mauvais téléfilms, quand la situation commence à dégénérer à cause de la peur, des flingues et d'une infranchissable barrière linguistique.

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« Laissez-nous simplement vous payer l'amende », ai-je demandé. Ils ne comprenaient pas le mot « amende ». J'ai essayé d'atteindre mon portefeuille.

« Ah OK. Oui, donnez-nous l'amende. » finit par dire l'un d'eux. John était encore en train d'hurler, la tension n'arrêtait pas de monter. Je voyais déjà les gros titres : « Quatre américains tués au cours d'un hold-up ». Banal, et sordide.

« Ta gueule, John! » ai-je répété en criant de toutes mes forces, alors que je vidais mon portefeuille des 150 dollars qu'il contenait. Les autres firent de même. John devait se douter que ces mecs n'étaient pas des flics. Soit il s'en doutait, soit il est cinglé. En même temps, il avait décidé de son plein gré de partir tourner un film dans l'Afrique de l'Est, donc ouais, il est sans doute cinglé.

De temps en temps, nous entendions toujours des « CNN incident » mais, au bout d'un moment, ils nous ont finalement laissés partir.

Dans la voiture, en revenant vers Mombasa, on n'a pas arrêté de parler de ce qui venait d'arriver. Soudain, l'un de nous fut frappé d'une illumination métaphorique : « C'est sûrement ce qu'on doit ressentir lorsqu'on se fait dépouiller par des pirates somaliens ! » La terreur que nous avions ressentie devait en effet être assez similaire à celle de l'équipage d'un paquebot voyant soudain toute une équipe de somaliens ultra violents grimper sur leur navire.

Ces renseignements super utiles pour la réalisation du film m'avaient donc seulement coûté 150 dollars.

Quelque temps après, nous avons quitté le Kenya avec un court-métrage en poche. Nous y retournons cet été pour en tourner un autre qui sera, très certainement, encore plus « authentique ».

J'espère juste qu'il n'y aura pas d’autre « CNN incident ».