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On a demandé à des Françaises musulmanes si elles n’en avaient pas marre qu’on parle tout le temps à leur place

Des femmes nous expliquent ce que ça fait d'être au centre des polémiques sans que personne ne vous demande votre avis.

Yasmine Bouhadi

En France, depuis plus de 20 ans, la question du voile charrie son lot de réactions hystériques et d'emballement médiatique. Si les tensions trouvent en partie leur origine dans les « cérémonies de dévoilement » mises en avant à l'époque où l'Algérie était française, l'apparition de foulards sur la tête de jeunes filles au sein d'établissements scolaires en 1989 a enflammé les débats. Dès lors, les polémiques n'ont que rarement cessé et la législation n'a eu de cesse d'évoluer – notamment en 2004 avec le vote de la loi interdisant les « signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse » dans les établissements scolaires ou encore en 2010, avec l'interdiction de la « dissimulation du visage dans l'espace public » et donc du niqab et de la burqa.

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Depuis, la question du voile et plus généralement de « l'intégration » des musulmans dans notre pays n'a jamais cessé d'être évoquée à tort et à travers, jusqu'à aboutir à ce délire entourant le « burkini » – la contraction de burqa et bikini. Ce vêtement, qui recouvre le corps des femmes en laissant apparaître le visage, a été interdit via des arrêtés municipaux dans différentes villes du sud-est de la France – notamment Cannes ou encore Villeneuve-Loubet. Sous prétexte de la défense de la laïcité, de l'ordre public ou encore de l'hygiène, différents maires ont poussé les policiers municipaux à verbaliser les femmes vêtues d'un burkini – voire tout simplement du voile dans le cas de Siam, une mère de famille cannoise.

Avec en arrière-plan les attentats terroristes récents – évoqués dans les arrêtés – et une défiance toujours plus grande des politiques et d'une partie de la population à l'encontre des musulmans, la question du burkini ne pouvait que conduire au grand n'importe quoi – ce qui a été le cas. Vendredi 26 août, le Conseil d'État a annulé l'ordonnance du tribunal administratif de Nice qui validait l'arrêté de Villeneuve-Loubet – par conséquent, l'exécution de l'arrêté est suspendue. La raison ? Pour reprendre les termes de l'ordonnance du Conseil d'État, « l'arrêté litigieux a ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle ». Au milieu de tout ce bordel, j'ai décidé de donner la parole à celles que l'on entend un peu trop rarement : les femmes musulmanes – plus ou moins croyantes, voire pas du tout – de qui l'on exige tout et son contraire, sans jamais vraiment demander leur avis.

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Mounia Feliachi, 27 ans

Je ne me rappelle même pas de la première fois que j'ai été choquée par un débat public. Après, j'ai un souvenir très précis de 2010, lors du débat sur la burqa. Je ne comprenais pas l'intérêt de rédiger une loi pour quelques milliers de femmes. Je suis d'accord avec le fait de ne pas se couvrir le visage dans l'espace public mais j'estimais qu'une telle loi était inutile. Après, quand j'ai vu que l'on parlait de « fantômes » et que l'expression « islam radical » revenait partout, j'ai compris que c'était un débat qui nous visait indirectement, nous les musulmans.

On n'a parlé que de ça pendant un certain temps. Le débat est allé au-delà de la simple dissimulation du visage dans l'espace public. Il a dérivé vers la « dignité des femmes ».

À l'époque, je n'étais pas encore assez politisée pour me rendre compte que ces débats étaient empreints de colonialisme. La « femme musulmane » est souvent essentialisée. On nous voit toujours comme de pauvres créatures soumises qu'il faut absolument sauver des griffes de notre famille. On nous encense à partir du moment où on embrasse « les valeurs de la République » – dès qu'on applaudit tout ce que fait le pouvoir en place, en réalité. Par contre, dès qu'on ne rentre pas dans des carcans, on nous considère comme dangereuses.

Jade

Jade, 30 ans

Tout d'abord, je dois dire que je suis athée mais issue d'une famille musulmane. J'ai vraiment compris que l'on s'acharnait sur les musulmans peu après le vote de la loi de 2010 – loi à laquelle je ne m'oppose pas. Quand le débat a dérivé sur l'interdiction du voile chez les mères accompagnant les enfants lors des sorties scolaires, j'ai senti l'abus.

Après, ça n'a rien de nouveau. Avec du recul, je ne vois pas en quoi un bout de tissu sur la tête d'une adolescente allant au collège est un objet de propagande. Cette jeune fille vient étudier pour faire quelque chose de sa vie et on la rejette très tôt. On nous demande de nous intégrer et, à côté, on met en place des lois et des arrêtés qui conduisent les musulmanes à rester chez elles. Lorsqu'elles partent de leur domicile, elles peuvent s'attendre à des remarques déplacées. De mon côté, je ne les compte même plus.

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Les femmes musulmanes sont invisibles dans le débat public alors qu'elles sont au centre de toutes les crispations. Vous avez déjà vu une musulmane sur un plateau de télévision ou à la radio venue parler de son choix de vie ?

Nos « experts » sont tous des hommes blancs. Du coup, en tant qu'athée, ça m'oblige à défendre des choses que je ne pensais jamais défendre. Le port du voile, à la base je m'en cogne. Sauf qu'aujourd'hui, j'éprouve une certaine solidarité pour celles qui le portent.

Eliane Diangana, 22 ans

Sur la question du voile, que je porte, nous ne sommes pas du tout consultées. On nous impose un modèle et même une mode ! Je suis d'origine sénégalaise mais je suis très attachée à la France. Le problème, c'est qu'ici, j'ai l'impression de ne pas être libre – alors que je suis née dans ce pays ! Je n'ai pas ma liberté religieuse. Je pense de plus en plus à vivre ailleurs, comme au Sénégal.

Manuel Valls rappelle souvent qu'il est impossible d'être Français et musulman. Mes parents, eux, sont d'une autre génération. Ils ont tendance à préférer le silence à la révolte. Ils sont venus ici pour mieux vivre et pour qu'on réussisse. Tant qu'ils ont la mosquée du coin à proximité, ils se taisent. Moi, je ne l'accepte pas. J'ai l'impression qu'en fait, tu as beau être Français, tes grands-parents ont beau avoir combattu pour la France, tes parents ont beau avoir construit des voitures ou des tours pendant les Trente Glorieuses, tu restes et resteras un musulman.

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Radia Pothier, 60 ans

Ça fait 23 ans que j'habite en France. Je suis née au Bardo en 1956 et j'ai débarqué en France pour poursuivre mes études. Je suis une enfant de Bourguiba. J'ai un esprit laïc et je défends les droits des femmes. À l'époque, en Tunisie, le voile était interdit dans les écoles et l'éducation des filles obligatoires.

En France, dès les premières polémiques, je savais que le pays ne serait plus jamais le même. Dès lors, ça a été une escalade d'accusations. Je savais que ces polémiques allaient engendrer une réaction communautariste.

Moi, je travaille à la Confédération Syndicale des Familles de Sartrouville. Je suis au plus près des familles et j'ai constaté une réelle évolution. Le dialogue entre l'État et sa population s'est réduit. J'ai noté l'arrivée de nouvelles personnes, de nouvelles associations, imposant un islam rigoriste.

En tant que musulmane, le débat actuel me choque, oui. Quand je vois cette vieille dame à qui l'on a demandé de se déshabiller sur une plage devant tout le monde, ça me fait du mal. Je sais à quel point les anciens ont eu une éducation basée sur la pudeur. Malgré tout, je demeure réservée, car je me dis que ce débat pointe également du doigt un islam de plus en plus traditionaliste qui se propage en France et qui ne correspond pas à ma vision de cette religion.

Yasmine Bouhadi

Yasmine Bouhadi, 17 ans

Mes premiers souvenirs d'insultes remontent au collège. L'un de mes professeurs ne pouvait s'empêcher de proférer des propos choquants à mon égard – il savait que je portais le voile en dehors de l'établissement et me disait que j'étais soumise.

C'est toujours ce que l'on nous dit à nous, les femmes musulmanes. Que l'on est soumises, tristes, que l'on va mal. On parle tout le temps en notre nom et ça ne coûterait rien de nous laisser prendre la parole. J'ai la désagréable impression qu'on nous considère comme des filles peu alertes, sous l'emprise de notre père et de nos frères. On nous voit comme des femmes sans avenir. C'est totalement faux. Personnellement, je suis très ambitieuse. Je veux être médecin, utile à mon peuple.

Wided Carpentier, 42 ans

Pour moi, les questions qui portent sur la femme musulmane française sont de faux débats. Quand on est un minimum cultivé, on peut prendre du recul sur ces polémiques et comprendre que les politiciens veulent nous éloigner des vrais sujets sensibles. Mais c'est vrai que depuis les premiers attentats en France, j'ai vécu des moments difficiles. Quand j'allume la télévision, je suis crispée – et encore, je ne me voile pas, j'imagine que c'est pire pour les autres. Sauf que cette stigmatisation du gouvernement ne doit pas cacher le fait qu'il existe une radicalisation croissante des discours religieux en France. Mais je ne veux pas avoir honte d'être musulmane. Je suis pour le vivre-ensemble, et je souhaite de tout cœur qu'une musulmane puisse porter le voile tant qu'elle respecte la laïcité.

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