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Le FN a créé son propre réseau social

Faites de nouvelles rencontres sur Lespatriotes.net !

Demain 25 mai, il vous faudra aller voter aux élections européennes, sous peine de violentes représailles. C'est en tout cas ce que recommande Marine Le Pen, qui semble persuadée que son parti arrivera en tête des résultats. Il faut dire qu’elle a de quoi avoir confiance en elle et ses électeurs : un sondage IFOP datant du 20 mai dernier plaçait le FN en deuxième position dans les intentions de vote (20%), derrière l’UMP (21%).

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Les appels au vote concernant les européennes se multiplient sur Facebook et Twitter, mais aussi sur un tout nouveau réseau social, discrètement mis en ligne le 8 mai dernier : Lespatriotes.net. Il s’agit d’un réseau social où, au lieu d’interagir avec des amis et connaissances via shares interposées, vous rencontrerez seulement des sympathisants d’extrême droite, des amateurs de Soral, des catholiques intégristes, des patriotes en colère et encore un large panel de creeps de tous poils – toujours par shares interposées.

Il y a dix jours, l'accès au site était impossible. Le réseau avait été pris d'assaut par des trolls, lesquels se sont empressés de créer de faux profils et de faire des commentaires peu raccord avec la pensée du Rassemblement Bleu Marine. Malgré tout, le site est de nouveau online depuis le 16 mai. Vous pouvez donc vous rendre sur la page d'accueil du site et vous laisser submerger par une vague de couleur bleue foncée. La charte graphique du site suit bien entendu une ligne patriotique : les teintes autres que celles de notre drapeau bien-aimé semblent avoir été bannies par les développeurs du site. Mais on est du reste bien accueillis : Marine Le Pen a envie de nous faire à tous un gros câlin.

Ce réseau militant connaîtra-t-il le même destin funeste que « Les Créateurs de possibles », la plateforme lancée par l'UMP en 2010 ? Lespatriotes.net peut-il se définir en tant que réseau social, sachant que les profils sont filtrés lors de chaque inscription ? Va-t-on pouvoir choper de vrais patriotes sur Lespatriotes ? J'ai contacté Thierry Devars, enseignant et chercheur au Celsa, et spécialiste de la communication politique sur internet, pour qu’il m’éclaire sur ces questions.

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Photo de profil d'un utilisateur masculin trouvée sur Lespatriotes.net

VICE : Le 8 mai, le FN a mis en ligne un réseau social militant, Lespatriotes.net. À votre avis, quel est l'objectif que poursuit le parti avec ce réseau ?
Thierry Devars : C'est probablement un moyen pour le FN de se rendre plus visible dans l'espace public. C'est également une façon de s'inscrire dans la modernité numérique et de se positionner dans l'ère du temps – et ce, même si le FN n'avait aucun retard sur ce plan. Cela rejoint une stratégie assez globale de Marine Le Pen qui veut associer son discours politique avec les enjeux de la modernité. Lespatriotes.net est donc un outil de marketing politique assez classique.

Lorsque l'on s'inscrit sur le site, des informations personnelles sont demandées, notamment sur la religion ou le niveau d'études. Ne serait-ce pas aussi un moyen de récolter des données sur les nouveaux militants FN ?
Sans aucun doute, et c'est un moyen efficace. Il existe un activisme numérique très important dans les partis d'extrême droite ; si les partis peuvent mieux connaître les acteurs de cet activisme, cela ne peut que les aider à développer leurs stratégies politiques.

Quelle est la différence entre Facebook ou Twitter et un réseau social pour le moins militant tel que Lespatriotes.net ?
Les finalités ne sont pas les mêmes. Il n'y a pas la même marge de manœuvre pour les inscrits. Sur Facebook, l'utilisateur possède beaucoup de possibilités pour s'exprimer, alors que sur ce site, les libertés sont restreintes. L'utilisation des réseaux sociaux dans le domaine politique est davantage un moyen de mobilisation qu'un « moyen d'expression ».
C'est donc, dans le cadre d’un réseau social, assez paradoxal – mais ça peut être représentatif du FN, le parti politique en question. On pourrait se demander, par rapport à ces profils filtrés et triés sur le volet, quelle est la place du débat au sein du Front National en général.

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Ce qui différencie ce réseau social des autres, c'est son aspect ludique. Il faut gagner des points en faisant vivre la communauté, en partageant des contenus, en parrainant d'autres membres. Ce genre de modèle peut-il fonctionner ?
Bien sûr. C'est un moyen de se montrer novateur pour le FN. Vous vous souvenez peut-être de Ségolène Royal qui, en 2009, avait redesigné son site internet. Le design était complètement has been. Trois ans auparavant, il aurait été à la pointe de la modernité. Les choses avancent très vite dans ce domaine. Avec ces outils ludiques, le FN s'inscrit dans l'actualité, c'est un moyen de se démarquer.

Thèmes : mobilisation

Si Lespatriotes.net avait un réel succès, les autres partis devraient-ils imiter cette démarche selon vous ?
Je ne pense pas que ce soit une idée ingénieuse d'investir dans la création d'un réseau social. C'est coûteux ; s'il s'agit juste d'élargir la base électorale, ce n'est pas une démarche pertinente. Mais s'il s'agit de créer un outil de mobilisation efficace entre militants, donc un moyen de communication en interne, cela peut être intéressant. Ceci dit, je ne vois pas l'intérêt de créer de telles plates-formes en dehors des périodes électorales. Les pages Facebook de personnalités politiques devraient être suffisantes.

Le truc étrange, c’est que lorsque l'on se rend sur le site, on n’y voit aucun logo du FN – il est expliqué que le réseau est « ouvert à tous les patriotes français ». Pourtant, la page Facebook du réseau stipule bien qu'il soutient la cause du parti. Quel est l'intérêt pour le FN d'avoir une telle communication en demi-teinte ?
C'est une stratégie de communication souvent utilisée. Il s’agit d’un moyen de s'adresser au maximum de personnes possible. Marine Le Pen le dit explicitement, elle cherche à exercer le pouvoir. Pour cela, elle doit élargir sa base électorale. Le terme de « patriote » a une définition suffisamment large pour être attractif. Il laisse le bénéfice du doute. C'est le même principe pour le Rassemblement Bleu Marine : le « bleu » se réfère à la droite et le « marine » au côté conservateur, mais un terme tel que « rassemblement de la droite conservatrice » serait bien moins attrayant.

Le Front National est le premier parti de France sur Facebook : Marine Le Pen a plus de 350 000 abonnés, et le FN en compte 153 000. Comment expliquer cette notoriété sur internet par rapport aux partis traditionnels, le PS et l’UMP ?
Je pense que c'est une question liée à l'histoire de la politique sur internet. Le système médiatique français a longuement été dominé par la télévision et les grands médias traditionnels qui sont très sélectifs quant aux partis qui y sont représentés. Quand internet s'est inscrit dans les pratiques sociales, les représentants de partis marginaux ou de partis secondaires y ont trouvé un espace pour faire circuler leur discours. Leur notoriété est donc liée à une logique historique.

Cette popularité sur internet n'est-elle pas la conséquence directe de l'âge des militants, plus jeunes qu'au sein d'autres partis ?
Je ne crois pas. Un électeur FN sur cinq a entre 18 et 25 ans. Mais on pourrait en dire autant des partis dits traditionnels.

L'UMP avait déjà lancé un réseau social, Les Créateurs de possibles, en janvier 2010. Ce fut un flop : il n’a compté que 15 000 inscrits alors que le projet avait coûté 1 million d'euros au parti. Est-ce que Lespatriotes.net a plus de chances de survivre, puisque que le FN est relativement populaire sur internet ?
Cela dépend du contexte. Les pratiques médiatiques sont toujours liées à ce qu’il se passe dans l'actualité. Il y a des périodes plus propices à la création d'un tel réseau. Il faut par exemple être présent sur internet pendant les périodes d'élection. Si l'on se réfère à la campagne d'Obama, on a vu un véritable travail de fédération et de mobilisation à l’œuvre sur les réseaux sociaux.
En l'occurrence, pour Lespatriotes.net, tout dépend de l'évolution du contexte politique – les résultats du FN aux élections européennes par exemple. Le réseau social de l'UMP a été lancé trois ans après l'élection de Sarkozy, à un moment où il était particulièrement impopulaire : les résultats aux régionales avaient été très mauvais. Ce n'est donc pas étonnant qu'il y ait eu un flop.