Gaspar Noé vous éjacule dessus en 3D dans son nouveau film
Karl Glusman et Aomi Muyock dans « Love » (2015). Photo : Benoît Debie

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Culture

Gaspar Noé vous éjacule dessus en 3D dans son nouveau film

Le réalisateur préféré de la France subversive nous a parlé de mélancolie et d'épilation pubienne.

À ce stade, il paraît presque superflu de présenter le réalisateur franco-argentin Gaspar Noé. En 1998, il sortait son premier long-métrage Seul Contre Tous – qui raconte l'histoire d'un ex-boucher chevalin misanthrope à tendance sociopathe –, avant d'enchaîner avec Irréversible et Enter the Void. Son dernier film, Love, qui sortira en France le 15 juillet prochain, a bien failli provoquer une émeute au festival de Cannes de cette année – des centaines de personnes se sont bousculées pour pouvoir assister à l'avant-première de ce film décrit comme un « mélodrame pornographique en 3D ».

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Dans sa note d'intention, Noé prétend qu'il rêve depuis des années de reproduire la passion d'un jeune couple à l'écran. Selon lui, les nombreuses scènes de sexe du film « transcendent cette règle ridicule qui dicte que les films normaux ne peuvent pas contenir de scènes trop ouvertement érotiques, même si tout le monde adore faire l'amour ».

Love raconte l'histoire de Murphy (Karl Glusman), un Américain égocentrique expatrié à Paris, qu'on découvre d'abord dans une longue et tendre scène de masturbation en compagnie d'Electra (Aomi Muyock), une jeune artiste en devenir. Dans des flashbacks ouvertement sexuels, Murphy se rappelle de sa relation chaotique avec elle et Omi (Klara Kristin), ainsi que des rapports sexuels qu'il a eus avec les deux jeunes femmes.

Le lendemain de l'avant-première, les mecs de Wild Bunch ont organisé une rave en l'honneur de Love, à 15 minutes de Cannes. Je n'étais pas invité, mais j'ai réussi à me faufiler derrière les vigiles pour me retrouver dans un espace de la taille d'un gymnase, où des femmes trans prenaient des selfies en se chopant. L'après-midi suivant, je me suis assis quelque temps avec Gaspar Noé pour qu'il me parle de Love – même s'il avait une gueule de bois plus violente que la mienne.

VICE : À l'exception du cumshot qui vise le public, Love est beaucoup moins sensoriel qu'Enter the Void. Pourquoi avez-vous tenu à filmer cette romance mélancolique en 3D ?
Gaspar Noé : Peut-être parce que ça fait quelques années que je prends des photos avec cette caméra 3D, avec des films négatifs. Récemment, j'ai aussi reçu une autre caméra Fuji pour faire des photos numériques en 3D. Ces images ont quelque chose de joyeux, de drôle et d'enfantin que j'aime énormément. Quand ma mère était mourante, j'ai eu ce besoin étrange de la filmer avec cette caméra 3D. En filmant caméra à l'épaule, ça donnait très vite la nausée. Pour éviter que les gens aient envie de vomir, j'ai décidé que tous les plans devaient être fixes, ou très stables en Steadicam.

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Quand je filmais ma mère pendant son agonie, j'ai aussi remarqué qu'en regardant les images sur un écran 3D, ça paraissait beaucoup plus proche de la réalité qu'une image 2D. C'est un peu déroutant, parce que ce n'est pas à l'échelle. Un visage peut être gigantesque sur un grand écran, et la personne devient une montagne. Il y a un réalisme plus puissant qu'avec des images 2D, mais aussi un sentiment d'intimité. Donc pour un film qui traite de passion, peut-être que les visages deviennent plus touchants, plus émouvants. Mais c'est un vrai bordel de filmer en 3D. Les caméras sont très lourdes. Il y a plein de problèmes liés à leur taille.

Le gros problème que j'ai avec la 3D, c'est ces lunettes ridicules, qui obscurcissent beaucoup l'image. Love a des couleurs très intenses – vous y avez pensé au tournage ?
Bien sûr. À vrai dire, les couleurs sont beaucoup plus vives si on regarde le film sur un écran télé, comme un écran Sony avec Blu-ray. On a dû forcer sur l'étalonnage pour rendre ça plus coloré, pour que même en mettant vos lunettes, vous ayez toujours des couleurs vives et de la luminosité. L'étalonnage, c'est un vrai bordel quand on travaille en 3D.

Karl Glusman et Aomi Muyock dans Love (2015). Photo : Benoît Debie

L'intérêt des pornos, c'est bien sûr la baise, mais quand on réalise un film avec des scènes de sexe explicite, la performance prend aussi de l'importance. Comment s'est passé le casting, et quelles qualités cherchiez-vous chez vos acteurs?
À un moment, j'ai pensé engager des jeunes acteurs de l'industrie du porno. J'ai vu deux filles que j'ai beaucoup aimées. Mais elles étaient rasées, et je ne voulais pas que les personnages féminins principaux évoquent trop les films porno. Si la fille avait un triangle de poils pubiens, c'était plus naturel. Je me suis dit qu'il valait mieux trouver de vrais gens, même non-acteurs, pour jouer dans le film.

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Même si tout le monde dit « Ouais, je suis prêt à le faire », on devine facilement ceux qui disent ça juste pour décrocher le rôle, et ceux qui veulent vraiment s'investir. Tout le casting était prêt une semaine avant qu'on ne commence à tourner. Mais je suis très content de Karl, Aomi et Klara, et que l'alchimie ait si bien marché entre eux.

Beaucoup des personnages ont des noms familiers. L'un d'eux s'appelle Noé, il y a Gaspar, un enfant qui va naître, et une référence à une ex qui s'appelle Lucile.
Ma mère s'appelait Nora Murphy. Il y a donc un personnage qui s'appelle Nora, et un autre qui s'appelle Murphy. Quand j'étais gamin, je pensais que « Noé » était trop court comme nom de famille, donc je me présentais toujours en disant « Gaspar Noé Murphy ». Paola est le nom de ma sœur. J'ai choisi des noms de gens qui me sont proches.

Karl Glusman dans Love (2015). Photo : Benoît Debie

À part les noms, y a-t-il une dimension autobiographique dans votre film ?
Je dirais que c'est un mélange de ma vie et de celles de mes amis proches. Par exemple, je n'ai jamais fait l'amour avec un travesti – mais j'ai des bons amis qui l'ont fait, et qui ont adoré ça.

Qu'est-ce vous avez appris en filmant toute cette chair nue ?
J'ai appris que l'alcool aidait les gens à se mettre à poil [Rires]. Dans le film, une partie du sexe est réelle, une partie est simulée. C'est un mélange. Mais dans tous les cas, il faut vraiment écouter les gens que l'on filme, particulièrement s'ils disent : « Je ne veux pas faire ça ». On ne force personne à faire quoi que ce soit contre sa volonté, sinon la scène sera gênante. On peut essayer de les convaincre que c'est une bonne chose pour le film, mais quand on leur pose la question « Qu'est-ce que tu ferais si tu étais le réalisateur ? », les acteurs ont souvent de bonnes idées.

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Karl Glusman, Aomi Muyock et Klara Kristin dans Love (2015). Photo : Benoît Debie

La bande originale du film est géniale – on y retrouve Bach, Erik Satie, Goblin, et même John Carpenter. Qu'est-ce qui a lié tous ces artistes, hormis le fait que vous les appréciez ?
Une de mes morceaux préférés, c'est « Maggot Brain » de Funkadelic – je voulais absolument le mettre dans le film. Mais avant le montage, je n'avais aucune idée de la musique que je mettrais. Sur mon ordinateur, j'ai iTunes, où je mets cinq étoiles à mes morceaux favoris. J'ai essayé de placer ces morceaux en priorité, mais c'était impossible d'obtenir tous les droits. Par exemple, je savais que que je pouvais faire une croix sur les Beatles.

Il y a une grande évolution dans l'industrie porno quant à l'utilisation de préservatifs. C'est cool que tu vous ayez intégré ça à l'histoire.
Les personnages utilisent des capotes pour éviter les grossesses, pas vraiment pour se protéger des maladies. Et la capote craque, comme dans la vraie vie. Le film traite plus du fait de ne pas vouloir engrosser sa voisine, plutôt que de rapports sexuels protégés.

Gaspar Noé

Il y a un montage intéressant dans Love, où chaque coupure imite un clignement d'œil. Comparé aux bruits de tirs qui ponctuaient les cuts de Seul Contre Tous, et puisque ce film est plus délicat et romantique que les précédents, est-ce que cela signifie que vous vous adoucissez ?
Tout dépend du sujet. Ce film n'était pas pensé pour être violent. La seule violence que l'on peut voir dans le film, c'est quand le couple se saoule, s'énerve, et s'insulte de la manière la plus méchante qui soit.

Eh bien je suis quand même curieux de voir comment ça sortira aux États-Unis, et s'il y aura une quelconque pression pour raccourcir certaines scènes.
Je ne coupe pas mes films. J'ai horreur des ciseaux.

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