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Grandir en France

Grandir à Tahiti m’a fait comprendre que la France ne se résumait pas à la métropole

Dans l'imaginaire collectif, Tahiti est le paradis sur Terre – en fait, pas tout à fait.

L'auteur, durant son enfance à Tahiti.

Dans l'imaginaire collectif, Tahiti est le paradis sur Terre. Une île paradisiaque au milieu de l'océan Pacifique avec palmiers, soleil, lagons bleus et plages de sable immaculé. Si les reportages sur les îles voisines de Tahiti nous abreuvent généralement d'images sensationnelles qui donnent envie à tout un chacun de tout plaquer pour rejoindre l'archipel, c'est un mensonge éhonté. La collectivité d'outre-mer (COM) est un bout de France loin de tout avec de nombreux problèmes communs à la métropole : politique, chômage, pollution, pauvreté. Les riches se cachent dans les hauteurs, bien installés dans leur villa, tandis que les pauvres survivent dans des bidonvilles. Malgré tout, je peux dire que Tahiti est bel et bien le paradis sur Terre.

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J'ai séjourné une première fois sur l'île de 1998 à 2000. M'en sont restés quelques vagues souvenirs et une addiction à l'ananas. Grâce au travail de mon père, j'y suis retourné de 2006 à 2010, c'est-à-dire de 14 à 18 ans. J'ai donc passé toute mon adolescence bien loin de la métropole – à 22 000 kilomètres exactement. Sur ce bout de terre perdu dans le Pacifique Sud, je suis devenu un homme. J'ai vécu les plus belles années de ma jeune vie, imprégné de souvenirs inoubliables. Je me suis souvent demandé si cette aventure faisait de moi une personne atypique, une sorte de bi-national baigné par une culture aux antipodes de la métropole. Suis-je un « vrai » Français ? Par exemple, je connais l'hymne tahitien quasiment par cœur, au contraire de la Marseillaise. Lorsque les Tahitiens sont engagés dans une compétition sportive, mon cœur penchera toujours pour le pays de Gaston Flosse, ancien président de la Polynésie française. De surcroît, Tahiti ressemble fortement à une sorte de petit village. Forcément, ça resserre les liens. Tout le monde se connaît, va dans les mêmes fêtes, fréquente les quelques boites branchées du coin. Difficile dès lors de cacher quelque chose ; tout se sait rapidement. Combien de fois m'est-il arrivé de découvrir qu'un ami était cousin avec un voisin ? Des histoires comme celle-ci, il en existe des millions.

Pour arriver à Papeete, il faut environ 22h d'avion depuis Paris, en comptant l'arrêt obligatoire à Los Angeles. Un parcours de véritable Toa Aito (guerrier de feu). Lorsque tu sors de l'appareil, la chaleur envahit ton corps entier. Tu te sens mou, tu es « fiu » – c'est-à-dire fatigué, comme les Tahitiens ne cessent de répéter. En comité d'accueil, tu reçois des colliers de fleurs. Mais le premier vrai choc est la langue. Là-bas, quasiment tout le monde parle tahitien. À mon arrivée, j'étais comme perdu. L'aéroport international de Tahiti Faa'a m'est en quelque sorte apparu comme une terre pas encore colonisée. Je me rappelle même avoir été effrayé. Naïvement, je me demandais si j'étais le seul à parler français. Rapidement, j'ai compris que je faisais erreur. Le français est la langue principale du Fenua (le territoire). Bien qu'au fil des années la culture locale s'estompe, elle reste présente et perdure, y compris la langue locale. Elle est défendue ardemment par les anciens et une partie de la jeune génération. La fierté est inéluctable, comme dans tous les archipels. Je connais quelques mots de tahitien – surtout des insultes. Il m'arrive parfois de m'énerver dans cette si belle langue. Cette île ne me quittera jamais. À vrai dire, quand tu vis à Tahiti, la France ne devient vite qu'un vague souvenir, une terre lointaine, rêvée, mais surtout critiquée. Nous parlons bien français, or les esprits sont tournés vers le monde. Les jeunes fantasment sur les États-Unis, l'Australie ou encore la Nouvelle-Zélande. Comme tous, nous avions même notre propre série pour ados. Ce n'était pas Skins, Seconde B ou Beverly Hills 90210, mais Vivados – un soap-opéra mielleux dont les dialogues se rapprochaient de Camping Paradis. Malgré ça, le succès était au rendez-vous – à Tahiti comme en France, les gens aiment les séries pourries.

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Vivre à Tahiti m'a ouvert les yeux sur la vie. J'ai partagé une autre culture, j'ai découvert un autre pays.

Vivre son adolescence à Papeete ne diffère pas totalement de la France. On ne traîne pas dans les cafés du coin, mais dans les snacks et sur les terrasses bondées, où l'hygiène est souvent catastrophique mais où on n'y fait guère attention. Chaque matin, dès 6h, nombreux sont ceux qui s'y retrouvent pour avaler un fameux « hachis-frites roquefort ». Vu que le soleil se couche vers 18h, la vie est totalement décalée. Les cours commencent à 7h du matin et les magasins ferment à 18h. Si ça peut surprendre, on s'y habitue rapidement. Tandis qu'en métropole les adolescents des grandes villes vont au lycée en bus ou en métro, je me rendais en cours dans un truck – un camion en bois pouvant accueillir une quarantaine de personnes, transformé en transport en commun. C'est quelque peu folklorique et les horaires ne sont pas fixes. Il faut lever la main pour arrêter le véhicule – selon son envie, le chauffeur s'arrête ou non. Si une tête ne lui revient pas, il faut patienter une demi-heure de plus en plein soleil. Néanmoins, pour aller au lycée, les chauffeurs acceptent tout le monde.

Les cours sont exactement les mêmes qu'en métropole, sauf pour la pirogue en EPS. Bien sûr, il existe quand même quelques différences. Par exemple, il est peu surprenant de trouver des chiens errants dans la cour ou dans le self – qui est totalement ouvert à tous –, à la recherche de quelque denrée à se mettre sous la dent.

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Le principal chamboulement ? Le tutoiement. Durant toute ma scolarité sur place, j'ai tutoyé les professeurs. À Tahiti, c'est naturel. Tout le monde tutoie tout le monde, même le président. Au début, je m'interrogeais sur ce principe bien étranger à ma culture. Durant mon enfance, mes parents m'ont inculqué une certaine vision de la vie et de la politesse – ils m'ont notamment appris à vouvoyer les adultes. Le tutoiement made in Fenua peut être poli. Au-delà de l'éthique, il représente parfaitement l'esprit de l'île : calme, gentillesse, ouverture d'esprit. Il fait partie intégrante de la culture locale. Ce tutoiement permet une chose : être sur le même pied d'égalité. Et quand vous passez de Tahiti à Paris, comme je l'ai fait, le retour à la réalité est plutôt surprenant. Si je n'ai pas eu trop de difficultés à m'y habituer de nouveau, cette simplicité me manque et m'a permis de relativiser beaucoup d'aspects du quotidien.

À Tahiti, j'ai fait la fête et fumé mes premiers joints. J'ai même joué au dealer à quelques reprises. La France me paraissait si loin. Comme la plupart des adolescents du Fenua, le mercredi était l'occasion de se retrouver à Papeete, la capitale. Tout Tahiti était présent, que tu sois un fils à papa qui vit dans les hauteurs de Punaauia ou un mec du district de Faa'a où la pauvreté fait partie de la vie quotidienne. On comprend rapidement que Tahiti est tout petit et qu'il n'y a pas grand chose à faire. Il y a bien des cinémas, mais c'est tout. Du coup, on traîne, on s'ennuie, on drague et on rigole. Chaque mercredi midi, j'arrivais en scooter, je retrouvais mes potes et on se posait. Finalement, on était des adolescents typiques qui habitent sur la plus belle île du monde. Chose rare : il n'y avait aucun surfeur avec nous. À Tahiti, ce dernier est l'archétype du mec cool. Il se tape les meilleures meufs, a la meilleure weed et est invité partout. Je n'ai pas d'aigreur particulière, même si je ne les aimais pas vraiment. En soirée, ils sont en groupe, toujours dans leur propre délire. Insupportables mais nécessaires pour représenter toute la population.

Sur l'île, il y a différents groupes ethniques et sociaux : les Chinois, les Kaina (Tahitiens pure souche souvent bruts de décoffrage), les Popaa'a (les Blancs). Il y a bien d'autres « branches » bien spécifiques et propres à Tahiti qui ont chacune leurs codes religieux, ethniques et sociaux. Tout le monde vit ensemble et s'entend plus ou moins bien. Certains se retrouvent à l'église le dimanche. Je faisais partie des Popaa'a, de la classe moyenne inférieure. Je n'habitais pas dans un bidonville mais dans une cité militaire du côté d'Arue. Au contraire de certains amis, je n'avais pas les moyens de partir à l'étranger durant les vacances de Noël ni de revenir en métropole chaque été. Les salaires sont plus avantageux à Tahiti, or la vie est beaucoup plus chère. Au premier coup d'oeil, on peut penser que ça équilibre les choses. Pas du tout. La pauvreté est importante et influe sur les relations sociales. Les riches traînent avec les riches, les pauvres avec les pauvres. Il y a bien des exceptions, mais la méfiance est de rigueur chez les adolescents. Cela entraîne souvent du racisme ordinaire, des deux côtés. Je me suis déjà fait insulter de « sale blanc » dans la rue. Rien d'extraordinaire en somme, mais tu retiens le terme pendant plusieurs jours. Je n'ai jamais fait attention à ces rares provocations, connaissant les problèmes du pays, les comportements colonisateurs de certains Français, le contexte économique et la méfiance envers les Popaa'a entretenue par Oscar Temaru, homme politique local. Ne vous détrompez pas, le Tahitien est gentil et a la main sur le cœur. Sa porte est toujours ouverte.

Vivre à Tahiti m'a ouvert les yeux sur la vie. J'ai partagé une autre culture, j'ai découvert un autre pays. La France ne se résume pas simplement à la métropole. Chaque jour, je suis heureux d'avoir eu cette chance incroyable. Je suis tellement reconnaissant que je saoule mes potes à en parler constamment. Je ne sais pas si je vais revenir un jour au Fenua. Un retour aux sources me ferait du bien, mais ma vie est désormais ailleurs. Quoi qu'il en soit, Tahiti restera mon premier amour. Celui qu'on n'oublie jamais, qui fait sourire et dont on aime se rappeler.

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