Une étude photographique des Jeux olympiques guyanais
Toutes les photos sont de Johanna Himmelsbach

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reportage

Une étude photographique des Jeux olympiques guyanais

Tous les ans, les habitants d'Awala-Yalimapo s'affrontent au tir à l'arc et à la course en pirogue.

Au début du mois dernier, entre le 5 et le 7 décembre 2014, la commune guyanaise d'Awala-Yalimapo célébrait la dixième édition des jeux Kali'na, une compétition sportive inspirée des savoir-faire amérindiens. Je ne sais pas exactement pourquoi je m'attendais à assister à un genre de fête de village folklorique, mais comme c'est souvent le cas quand on n'a qu'une vague idée de là où on met les pieds, j'étais complètement à côté de la plaque.

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Quand Johanna et moi sommes arrivés sur le site de Yalimapo un peu après 10 heures, plusieurs personnes s'époumonaient déjà au pied de deux palmiers : depuis la création des jeux, le grimper de cocotier s'est naturellement imposé comme l'une des épreuves phares de la compétition. Ce qui semblait relever de l'impossible pour certains, qui se hissaient péniblement à plus de 80 centimètres du sol, était d'une aisance presque insultante pour d'autres : un bon nombre de participants avaient dû passer leurs week-ends de novembre à s'entraîner sur les plages du littoral.

Les jeunes d'Awala-Yalimapo à l'entrée du site

D'après Olivier, l'un des arbitres bénévoles de l'événement, le nombre de personnes franchissant les six mètres de haut était bien supérieur à celui de l'année précédente. C'est d'ailleurs l'une des choses qui m'a le plus surpris lors de ces jeux : on sentait que les 28 équipes de huit membres étaient clairement venues pour en découdre. Certaines poussaient des chants de guerre inspirés des animaux de la forêt ou des White Stripes, d'autres laissaient à leur coach le soin de motiver le grimpeur.

À l'issue de cette épreuve, pendant que certains se remettaient de leurs émotions dans leurs hamacs, les autres écumaient les stands de nourriture, à peu près aussi nombreux que les équipes.

Un vieux créole antipathique sublimait la qualité de ses steaks surgelés en y ajoutant du beurre, de la sauce Maggie et ce qu'il nous a décrit comme « de la merde industrielle chinoise » — de la sauce sriracha. Le stand voisin, un comptoir en bois couvert de fruits locaux, était tenu par un Amérindien. Il composait des jus sur demande, mais arrivait à convaincre tous ses clients de modifier leur choix initial. J'imagine que tout le monde a fini par boire un délicieux jus orange-banane-mangue-prune de Cythère-gingembre. À un moment, une participante s'est approchée de son comptoir pour lui demander : « Vous faites aussi des smoothies ? » Il lui a souri, et elle est repartie avec la même chose que tout le monde.

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L'après-midi, des petits groupes se partageaient les rares places à l'ombre le long de la plage qui s'étale sur des kilomètres. De février à juillet, des milliers de tortues Luth, vertes et olivâtres viennent pondre ici, entre l'embouchure de la Mana et celle du Maroni : la plage de Yalimapo est le site le plus touristique de Guyane. Après l'épreuve du lancer de harpon, le public tanguait paisiblement dans l'eau limoneuse de l'océan Atlantique pour regarder le dernier défi de la journée, qui consistait à tirer des pirogues sur la plage le plus rapidement possible.

À la tombée de la nuit, accoudés sur des toiles cirées à motifs tribaux, les sportifs parlaient stratégie et arbitrage. Les plus chanceux, de retour de l'épicerie, dégustaient des Heineken fraîches ; les autres les buvaient à température ambiante : 27°C.

Une grande soirée culturelle était organisée le samedi soir. Guidé par les sanpulas (les tambours amérindiens) et les chants des Amérindiens Kali'na, le public formait une longue ligne dont les mains s'élançaient en rythme d'avant en arrière : plus que d'assister à une représentation, on semblait être conviés à y prendre part.

Les morceaux de Malani et Palana Bonon, les deux premiers groupes de la soirée s'étiraient parfois sur près de dix minutes. Leur structure en apparence simple, répétée en boucle, créait une légère sensation d'ivresse renforcée par la bière. L'un de leurs chants s'appelle d'ailleurs « Je suis déjà ivre ». Chez les Amérindiens de Guyane, chants et alcool vont souvent de paire, et cet alcool, c'est le cachiri – une boisson fermentée à base de manioc. D'après l'ethnologue Michael Harner, cité dans l'introduction de La Pirogue ivre, un recueil de textes consacré aux bières traditionnelles en Amazonie, les Jivaro-Shuar peuvent en boire 12 à 16 litres par jour.

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Sur le site des Jeux, deux stands proposaient du cachiri : celui préparé par la commune était stocké dans des grosses touques et offert gracieusement — c'était d'ailleurs l'unique raison d'être de la tente. La boisson, rose à cause de la patate douce, n'était presque pas pétillante et dégageait une forte odeur de viande fumée qui rappelait le poulet boucané. J'avais du mal à imaginer quelqu'un en boire plus de quelques verres par jour.

L'autre se vendait à la calebasse ou à la bouteille de deux litres, dans l'unique stand du village des Jeux à proposer de la nourriture amérindienne. Elle était d'aspect plus laiteux, pétillait et paraissait à la fois plus facile à boire et plus alcoolisée. Dans tous les cas, ces boissons « titrent en moyenne un et demi à deux degrés d'alcool », précise Françoise Grenand, toujours dans La Pirogue ivre.

Une calebasse de cachiri

Le lendemain matin, on a croisé un groupe de Kali'na qui hélait les passants bruyamment pour tenter de leur vendre des cocos fraîches. Tous — sauf un, qui tressait des chapeaux en palmes de cocotier — tenaient une bière à la main.

Selon l'ethnomusicologue Jean-Michel Beaudet, les Amérindiens « ont la grande chance (…) de n'avoir été christianisés que depuis quelques siècles (…), ce qui fait qu'il n'y a aucune réprobation morale sur le fait d'être ivre.(…) Chez tous ces gens, la boisson est valorisée, le fait de boire ensemble est valorisé, et le fait d'être ivre est valorisé : c'est une valeur explicite de la société. » Mais peut-être que ce qui est valable dans les campous (les petits villages des fleuves, relativement isolés) où le cachiri est bu abondamment dans certaines occasions, ne l'est plus quand des cannettes de 50 cl de Royal Club à 7° sont disponibles en épicerie.

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Les épreuves prévues ce deuxième jour étaient la course de pirogue, le tir à l'arc, le tir à la corde, le jeu du diable et le porter de charge. L'avant-dernière est à l'origine un casse-tête amérindien, mais chaque équipe ayant parfaitement intégré la solution, il s'agissait plutôt d'une épreuve de rapidité. Tout comme le porter de charge, un relai dont le témoin est une bûche de 25 kilos, portée sur l'épaule. Malgré la chaleur, le public était toujours aussi nombreux et les équipes, au moins aussi motivées que la veille.

Remontée de canot sur la plage de Yalimapo

30 ans presque jour pour jour avant ce week-end, l'Association des Amérindiens de Guyane Française (AAGF) organisait le premier Rassemblement des Amérindiens, à Awala. Le 9 décembre, le public et les représentants de l'État, de la Région et du Département venus voir les Indiens chanter et danser, ne s'attendaient pas vraiment à ce que Félix Tiouka, jeune président de l'AAFG, leur dise : « Nous (…) acceptons encore une fois de jouer le jeu de la société dominante et de ses agents décisionnels en vous présentant aujourd'hui cette déclaration de principe concernant l'ensemble de nos revendications territoriales, économiques, sociales et culturelles. Connaissant fort bien notre situation de dominés pour en vivre quotidiennement toutes les difficultés et humiliations, nous sommes conscients des conséquences du geste que nous faisons car nous savons ce qui est arrivé à d'autres groupes autochtones qui ont amorcé ce processus de revendications avant nous. »

Unedes cibles installées pour l'épreuve du tir à l'arc

Apparemment, le discours a porté ses fruits puisque quatre ans plus tard, les deux villages Kali'na d'Awala et de Yalimapo se désolidarisaient de la commune de Mana pour devenir la commune d'Awala-Yalimapo, seule commune amérindienne de Guyane française.

Ces jeux sont un prolongement de ce combat : une manière pour les Kali'na de présenter leur culture à leurs concitoyens, plutôt que de laisser les musées d'ethnographie s'en charger. Ce qui a l'air de fonctionner, si on en juge par le nombre de visiteurs, estimés à environ 2000, et par le succès de la soirée culturelle.