FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Guérir les methheads en effaçant leurs souvenirs, l’un après l’autre

Débarrasser le cerveau de tous ces bons moments passés défoncé.

Des neurones en culture, via Thomas Vaissière

La perte de mémoire, c’est un truc pour les vieux, les films indépendants et les week-ends de bordel. Mais s’il était vraiment possible de retirer certains souvenirs de la mémoire sans endommager le reste du cerveau ? Énoncé comme ça, on dirait l’idée de base du scénario d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind, mais un groupe de scientifiques de l'institut de recherche Scripps à but non lucratif essaie d'effacer certains souvenirs afin de combattre la dépendance aux drogues. Courtney Miller est la directrice de cette recherche et elle place de grands espoirs là-dedans. Je l'ai contacté’ pour en savoir plus.

Publicité

VICE : Pourriez m'expliquer en quoi consiste votre travail ?
Courtney Miller : Mon labo travaille sur le rôle joué par la mémoire dans la dépendance aux drogues, en particulier en ce qui concerne les rechutes. Pour les toxicomanes, la sortie de cure est une épreuve, ils essayent de rester clean et c'est très difficile, parce que à l’époque où ils consommaient, ils ont établi beaucoup d'associations entre leur environnement et l'usage de drogue. Cela conduit à des envies qui sont très dures à combattre. Mon labo essaie d'atténuer, voire d'effacer ces souvenirs pour les aider à rester clean.

Donc, si à chaque fois qu'on a pris de la meth on a regardé Les Simpsons, ce médicament ferait que ce dessin animé cesse de nous faire penser à la drogue ?
C'est précisément l'idée.

Comment visez-vous des souvenirs spécifiques sans endommager les autres, ou le cerveau lui-même ?
On a utilisé un couple d'animaux témoins à qui on a appris à associer des choses au sein de leur environnement avec l'usage de drogue. Dans notre étude avec la methamphétamine, ils ont appris qu'un environnement permettait l'usage de meth et un autre ne le permettait pas. Mais ce que nous avons découvert, c'est que le cerveau ne stocke pas les souvenirs associés à la drogue de la même manière que les autres. En utilisant un médicament qui cible précisément cela, le cerveau s'est débarrassé de ce souvenir ; mais parce que les autres souvenirs ne s'étaient pas formés de la même manière, ils sont restés intacts.

Publicité

La formation de souvenirs associés à la drogue semble se produire très rapidement, donc nous introduisons un médicament qui vient perturber le processus. Mais le médicament n'agit pas sur la mémoire normale, parce que le cycle est tellement lent que la mémoire peut se régénérer avant que le médicament ne l'affecte.

Est-ce que les gens perdraient tout souvenir de leurs prises de methamphétamine – donc des pans entiers de leur vie ?
Nous ne le savons pas encore. Nous essayons justement de le déterminer. Le modéliser avec des animaux est compliqué. Et le cerveau est très complexe, il associe très bien de nombreuses choses entre elles, donc j'espère que même s'il y a beaucoup de choses connectées à l’usage de drogue, seuls les souvenirs les plus directement reliés à la consommation seront affectés.

Les tests sur les humains sont prévus pour bientôt ?
Malheureusement non. C'est la nature de la science. Nous travaillons actuellement sur un moyen de cibler avec précaution ce processus dans le cerveau. Aujourd'hui, avec des rats, nous injectons directement le médicament dans le cerveau, mais nous ne pouvons pas faire cela avec des humains. Ils le prendront probablement oralement. Mais il peut surgir des problèmes de contractions musculaires ou de divisions cellulaires, par exemple.

Des problèmes ?
Oui, mais notre job consiste à rendre les tests les plus sûrs possible. Je suppose qu'au niveau moral ou éthique, cela pose des défis intéressants ; c'est à ce niveau-là que nous devons faire beaucoup plus d'expériences afin de comprendre les limites de notre idée. Notre article a été commenté sur de nombreux sites, et c'est intéressant de regarder les commentaires parce que les gens pensent que c'est la chose la plus spectaculaire au monde, ou alors ils clament que l’histoire se répète et que ça va être dévoyé par des individus malveillants.

Publicité

Mais je le répète, nous nous efforçons surtout de trouver les limites de notre protocole. Cependant, on a des raisons d’être optimistes, puisqu’on dirait que notre protocole ne réussit à avoir un effet disruptif que sur les souvenirs pathologiques. Des souvenirs touchant la nourriture, par exemple, n’ont pas été affectés.

Vous parliez de morale ou d’éthique. N’avez-vous pas peur que votre travail puisse être utilisé dans un but moins thérapeutique – et potentiellement moins éthique ?
Honnêtement, ce sont plus les e-mails que je reçois des gens qui me racontent comment leur dépendance ou le syndrome de stress post-traumatique a détruit leur vie qui m’empêchent de dormir.

Vous avez mentionné le stress post-traumatique ; vous envisagez d'autres champs d’application que la dépendance ?
Pour l’instant, nous travaillons sur d'autres substances comme l'héroïne, l'oxycodone ou même la nicotine et l'alcool.

L'autre question est en rapport avec les souvenirs traumatiques : sont-ils également stockés différemment ? Nous avons des raisons de croire que c'est peut-être le cas, il est possible que le cerveau stocke les souvenirs très forts d'une manière différente.

Voyez-vous votre thérapie comme une solution de dernier recours ?
Je pense que ça serait un bon complément à la cure. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont accros aux psychostimulants comme la méthamphétamine ou la cocaïne, et c'est un vrai problème pour lequel existe un unique traitement : la cure. Malheureusement, le taux de rechute est élevé.

Publicité

Donc vous parlez de compléter la cure standard.
Ouais, et je pense que c'est ce qui est unique à propos de ces souvenirs liés à la drogue ou au stress post-traumatique : ils ne cessent de surgir dans votre esprit sans que vous les convoquiez, contrairement aux souvenirs associatifs typiques, que vous revivez intentionnellement. Quand les individus, postcure, se retrouvent dans le monde réel, qu’ils essaient de s'occuper de leurs affaires et de rester clean, tout leur environnement semble œuvrer pour leur rechute.

Votre terrain de recherche est très aguicheur, en ce sens qu’on dirait de la science fiction. L’attention que les médias vous portent est-elle positive, ou au contraire, cela porte-il préjudice à votre boulot ?
Ni l’un ni l’autre, je pense. Ce qui est sûr, c'est qu'on doit toujours garder à l’esprit que ce sont les troubles psychiatriques que nous cherchons à traiter : il faut que le traitement qu’on propose se limite à cela pour être thérapeutique. C’est toute la différence avec la science fiction. On ne va pas se mettre à effacer tous les souvenirs désagréables, ou à manipuler le cerveau humain dans un but non thérapeutique.

Est-ce que la communauté scientifique a été réceptive ?
Oui, je pense. Une des choses qui rend mon job intéressant, c’est que ce sujet passionne beaucoup de monde. Moi en premier lieu. Je veux dire, comment le cerveau stocke-t-il les souvenirs ? Pourquoi conservons-nous certains souvenirs pendant toute notre vie ? C'est assez incroyable quand on réfléchit à ce qui se passe dans le cerveau. Les souvenirs sont composés de protéines, et ces dernières se dégradent et doivent être remplacées. Donc le processus de maintien d’un souvenir à long terme est passionnant.

Publicité

Aussi, j’insiste, les souvenirs font de nous qui nous sommes : c'est la raison pour laquelle nous ne voulons pas tout effacer – ce n'est clairement pas une option thérapeutique.

Suivez Wendy sur Twitter: @WendyWends

Plus de mémoire :

L'HOMME À LA MÉMOIRE DE 30 SECONDES – C'est quoi déjà, le sujet de l'article ?

LA MÉMOIRE EST SÉLECTIVE  Mais FanzinEraest là pour nous le rappeler

J'AI DEMANDÉ À MON PÈRE ATTEINT DE DÉMENCE D'ANNOTER HOW TO BE ALONE DE JONATHAN FRANZEN  Il 'a sûrement déjà oublié, mais il a bel et bien défoncé la moitié du livre