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Cher Gunther van Hagens, pourrais-tu arrêter de plastiner des corps de prisonniers de conscience chinois ?

Le 12 juillet, Ethan Gutmann, un journaliste, et la Société internationale pour les droits de l'Homme, ont déclaré qu’il existerait un lien entre les corps humains utilisés lors des expositions Body Worlds et les exécutions d'adeptes du Falun...

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Le 12 juillet dernier, Ethan Gutmann, un journaliste d’investigation américain auteur notamment de Losing the New China, ainsi que la Société internationale pour les droits de l'Homme, ont déclaré lors d’une conférence de presse à Vienne qu’il existerait un lien entre les corps humains utilisés lors des expositions Body Worlds et les exécutions de membres du mouvement spirituel chinois, le Falun Gong. Ils dénoncent la possibilité qu’un trafic d’organes à grande échelle, orchestré par des membres du pouvoir chinois eux-mêmes dans les années 2000, ait profité à l’inventeur de la plastination – un procédé qui consiste à préserver les tissus biologiques grâce au silicone –, Gunther van Hagens, et à ses expositions anatomiques qui font le tour du monde.

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Le Falun Gong, dérivé du qigong et imprégné de philosophie bouddhiste, est né en 1992 en Chine. Il a rapidement gagné en succès (il rassemblait environ 70 millions de pratiquants en 1999), à tel point qu’il s’est mis à représenter une force sociale majeure en Chine, capable de concurrencer le Parti communiste à la fin des années 1990. La répression de ce mouvement par le gouvernement chinois, qui le considère comme une secte, prend diverses formes depuis son interdiction en 1996 : emprisonnement, torture et envoi en camp de travail de ses adeptes.

Les prélèvements d’organes forcés sur les membres du Falun Gong ne sont pas non plus une nouveauté – un rapport réalisé en 2006 dénonçait déjà le problème. Mais le gouvernement chinois doit aujourd’hui faire face à de nouvelles pressions afin qu’il fasse la lumière sur ce que certains considèrent comme une pratique meurtrière de masse qui aurait fait plus de 50 000 morts. Ethan Gutmann enquête depuis la même époque sur le prélèvement d’organes forcé sur les adeptes du Falun Gong. Il s’est entretenu avec des réfugiés du mouvement ainsi qu’avec des familles dont des membres ont disparu. Je l’ai appelé pour en savoir plus sur ce scandale dont beaucoup semblent se foutre, et qui jetterait de l’huile sur le feu de la controverse qui entoure les expositions de corps humains plastinés.

VICE : Qu’est-ce qui vous fait penser que certains corps exposés lors de Body Worlds sont issus d’un trafic d’organes forcé sur des membres du Falun Gong ?
Ethan Gutmann : Je cherche surtout à poser des questions et à faire réagir avant de porter de vraies accusations. Je me fonde sur plusieurs indices ; lors des interviews que je mène depuis plusieurs années auprès de réfugiés Falun Gong chinois, presque tous ont désigné la province du Liaoning dans le nord-est de la Chine, et plus particulièrement les villes de Shenyang et Dalian, en tant qu’épicentre du trafic d’organes prélevés sur des adeptes du Falun Gong. Ce qui est suspect, c’est que Gunther van Hagens a fondé son entreprise de plastination [Van Hagens Dalian Plastination Ltd] justement dans cette région, en 1999. Beaucoup de prisons et de camps de travail, où seraient internés beaucoup d’adeptes du Falun Gong, se trouvent également là-bas. Le deuxième indice, qui fait encore plus froid dans le dos, c’est l’incident de Wang Lijun, apparu en février 2012, et qui a dévoilé l’implication des autorités publiques.

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Qu’est-ce que cette affaire a révélé ?
Wang Lijun était un fonctionnaire de police haut placé et bras droit du gouverneur du Liaoning de l’époque, Bo Xilai, qui était en bonne voie pour devenir le Secrétaire général du Parti communiste. L’an dernier, Wang Lijun avait demandé le droit d’asile au consulat américain pour révéler des informations sur Bo Xilai, qui ont mené à sa chute le mois suivant. Il a notamment révélé beaucoup d’éléments sur le meurtre d’un expatrié britannique, Neil Heywood [ndlr : qui s’avère avoir été commis par l’épouse de Bo Xilai]. Mais il a permis à d’autres scandales de voir le jour, comme le fait que Bo Xilai ait collaboré avec Gunter van Hagens pour fonder son entreprise de plastination lorsqu’il était maire de Dalian, en 1999. Il y a tout un tas de secrets circonstanciels qui semblent démontrer qu’on a affaire à tout un système.

À quand remonterait cette pratique de prélèvement d’organes forcé en Chine ?
Les premiers cas dont nous avons connaissance ne concernaient pas les adeptes du Falun Gong, mais des prisonniers politiques ouïghours, un peuple musulman du nord-ouest de la Chine – ces cas remontent à 1997 et sont le fait d’une poignée de figures politiques chinoises haut placées. Ils sont venus à Ouroumtchi, dans la région du Xinjiang, à la recherche de reins et de foies à prélever afin de les revendre.

Combien d’argent peut rapporter ce trafic ?
Beaucoup. Si on prélève soigneusement les organes d’un corps – les reins, le foie, le cœur, les poumons, la cornée des yeux –, ça peut rapporter jusqu’à 200 000 euros si c’est bien fait, et ce très rapidement : les gens sont prêts à acheter les organes immédiatement. Mais ces prélèvements doivent être réalisés sur des personnes encore vivantes, c’est pourquoi il s’agit souvent de prisonniers. Tous les témoins avec lesquels je me suis entretenu, y compris des médecins qui ont pratiqué ces opérations, m’ont indiqué que les prélèvements étaient faits sur des personnes vivantes.

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Il y a un marché noir dédié à cela ?
Tout paraît légal, c’est ça le problème. La question, comme dans toutes les activités qui impliquent des organes humains, c’est : « Comment obtenir des corps frais ? » La Chine est l’endroit où ce problème coûte le moins cher et qui offre le plus facilement des solutions. Le problème, c’est qu’il semble que Gunther van Hagens n’a pas cherché à poser de questions sur la provenance des corps – qui lui sont fournis par le bureau de sécurité publique chinois. En fait, ça se passe souvent comme ça en Chine : le produit est disponible, on paie ce qu’on doit, on ne pose pas de questions et c’est fait. Pour l’instant, on ignore si certains des corps étaient des prisonniers Falun Gong, même si un faisceau d’indices semble l’indiquer.

Existe-t-il un moyen de le savoir ?
Oui, avec des tests ADN.

Ça vous semble possible ?
C’est à Gunther van Hagens de permettre l’accès aux corps. Il faut qu’un groupe tiers, fait de médecins responsables et indépendants, puisse aller prélever de petits échantillons de chaque corps de ces expositions. Ça peut être fait très rapidement. Il faut juste que les médecins voient s’ils sont caucasiens ou chinois. C’est dans l’intérêt de van Hagens de le faire car s’il n’a rien à cacher, ça le laverait de tout soupçon. S’il donnait cette autorisation, cela mettrait également la pression à son ancien partenaire, Sui Hongjin, qui a ouvert son propre centre de plastination dans la même région – et sa propre exposition de corps humains, où je suis certain qu’on trouverait, si on était autorisés à chercher, des corps d’individus issus du Falun Gong.

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Et si ces corps sont en effet des corps chinois et non caucasiens ?
On pourrait comparer l’ADN prélevé des corps avec celui de familles chinoises dont un ou plusieurs membres ont disparu. Si on trouve une correspondance, ça sera un début de preuve. Mais ces tests pourraient également être très risqués pour les familles concernées. La répression de la part du gouvernement envers les Falun Gong demeure encore très forte en Chine. Mais la procédure prendrait moins de temps qu’on pourrait croire. Le Falun Gong a tendance à établir des listes méticuleuses de ses membres, notamment des familles de la province de Liaoning qui ont perdu un membre Falun Gong.

Je suppose que la Chine n’aide pas beaucoup à fournir des informations.
Avec nos entretiens, nous ne pouvons évidemment pas être sûrs d’avoir des informations valables à 100 %, mais nous faisons une moyenne. Quelque chose s’est clairement passé, à grande échelle, dans les années 2000 en Chine, et ça continue peut-être encore aujourd’hui. Les expositions de Gunther van Hagens et de son ancien acolyte, Sui Hongjin, ne sont pas l’élément central du problème de prélèvement d’organes forcé sur des membres du Falun Gong, mais ça fait partie du problème.

Le trafic d’organes n’existe-t-il qu’en Chine ?
C’est essentiellement en Chine. Des trafics d’organes ont eu lieu pendant la guerre de Bosnie, en Israël et encore aujourd’hui en Inde. Mais en Chine, c’est complètement différent. Il s’agit d’une pratique systématique sur les membres de Falun Gong. J’estime le nombre de morts des adeptes de Falun Gong liées à ce programme à 65 000 entre 2000 et 2008. Et c’est une estimation basse. Il ne s’agit pas d’un petit événement : cette pratique a été autorisée au plus haut niveau du pouvoir chinois. Ce que je dénonce, c’est un problème où les autorités chinoises tuent des gens qui ne peuvent pas être condamnés à mort. Il n’existe aucune loi qui permette de condamner à mort un membre du Falun Gong juste parce qu’il fait partie de ce mouvement. C’est un mouvement non violent. Ces prélèvements d’organes sont un moyen de se débarrasser d’eux.

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Les organisations qui enquêtent sur ce problème sont d’accord avec vos estimations ?
Il y a, en gros, deux autres entités qui étudient l’affaire. La première est formée de David Kilgour [ndlr : un ancien ministre canadien] et de David Matas [ndlr : un avocat défenseur des Droits de l’homme]. Des rapports ont également été publiés par des experts du Falun Gong mais ils n’ont pas été pris au sérieux par les médias parce que beaucoup considèrent ce mouvement comme une secte. Kilgour et Matas ont produit un travail indépendant et en ont conclu que 60 000 organes ont été prélevés illégalement sur la même période. Moi, j’ai compté en corps, et eux en organes, mais nous sommes tous d’accord pour dire que le total se situe à plus de 50 000 morts.

Si ces 65 000 morts est un chiffre avéré, les organisations internationales peuvent-elles faire pression sur le gouvernement chinois pour que la lumière soit faite ?
Les organisations internationales ont longtemps eu peur d’aborder ce sujet avec la Chine. Beaucoup d’instances internationales ont eu tendance à éviter ce problème en disant : « Il s’agit de prélèvements d’organes sur des prisonniers réguliers. » C’est vrai qu’il existe un problème autour du prélèvement d’organes sur les condamnés à mort en Chine. Le gouvernement le reconnaît et affirme avoir mis un terme à cette pratique. Mais nous posons des questions sur un sujet beaucoup plus grave, qui n’ont été soulevées que récemment.

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Merci, Ethan.

Patrick est sur Twitter : @patricknrandall

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