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Culture

Un acteur de « Kids » réalise un documentaire sur « Kids »

En 1995, Hamilton Harris apprenait aux jeunes du monde entier à rouler un blunt – depuis, il a grandi.

Hamilton Harris (à droite) avec le défunt Harold Hunter (au centre) et le skateur professionnel Jeff Pang, au moment où Kids a été filmé.

Hamilton Harris est le type qui a appris aux jeunes du monde entier à ​rouler un blunt dans le premier film de Larry Clark, Kids. Il est aussi l'homme derrière The Kids, un documentaire à venir qui retrace la vie des individus mis en scène dans le film. Et si vous n'êtes jamais allé plus loin que cette scène à l'occasion d'une fin de soirée, sachez qu'il s'agit d'un film qui tourne autour de la drogue, du sexe, des jeunes et du sida dans le New York des années 1990. Larry Clark s'est inspiré d'une bande de skaters venant de Manhattan, qu'il a reconvertis en acteurs le temps du tournage.

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Si une poignée de ces acteurs, alors débutants, ont fini sur des couvertures de magazines, d'autres n'ont pas apprécié le regard que portait le film sur leur groupe. J'ai appelé Hamilton, qui vit désormais aux Pays-Bas, pour parler de l'héritage de Kids.

Hamilton (avec la chemise ouverte) pendant le tournage de Kids

VICE : Salut Hamilton. Le communiqué de presse de ton film évoque comment, en grandissant, toi et tes potes avez créé votre propre réalité. Dans sa critique de Kids, Roger Ebert parle de cette réalité comme étant un monde où « les adultes n'existent simplement pas ». Qu'en penses-tu ?
​Hamilton Harris : Je ne suis pas vraiment d'accord. C'est peut-être parce que je suis à quatre jours de mon quarantième anniversaire, mais j'arrive à un stade où je réalise qu'il y a de nombreux points communs entre les enfants et les adultes – d'un point de vue psychologique et émotionnel, certains enfants peuvent être aussi aussi avancés qu'un adulte, et vice versa.

Donc c'était quoi, la réalité ?
​C'était aussi cru que l'on pourrait le penser, mais c'était quand même une expérience sympa. Cela dit, il y a aussi eu beaucoup de douleurs et de traumatismes. Quand on grandit en Amérique – enfin c'est partout pareil, mais je dis l'Amérique parce que c'est là ou j'étais dans les années 1990 –, on doit faire face au crack, au sida et à une sacrée dose de racisme. Les gens n'aiment pas les personnes qu'ils ont l'air trop « différent » [rires]. C'est grotesque, mais c'est la vérité ! Nous avons tous rencontré des problèmes, parce que nous étions un groupe de gosses aux origines ethniques et aux contextes sociaux différents. Notre expérience a fait que nous avons surpassé nos différences.

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Le skate vous a aidé à transcender vos origines ethniques et sociales.
​Oui, exactement. Ce qui est cool avec le skate, c'est que tu es toujours en mouvement. Même si tu traînes avec des potes, tu ne skates jamais en équipe – personne ne va t'aider à sauter par dessus une poubelle – tout dépend de toi. Quand tu te vautres, c'est à toi de te relever et de faire avec. Ça donne un sens des responsabilités. Tu es ton propre thérapeute, ce qui est particulièrement utile quand tu viens d'une famille difficile. Le skate est une sorte de thérapie.

En un sens, c'est une activité solitaire. Mais on dirait que ça vous a donné une identité collective.
​Ouais, c'est le genre de trucs qui est à la fois abstrait et palpable. C'est ce que Larry Clark a su saisir avec son film. Une bonne partie de l'histoire a été montée de toutes pièces – quand on trashait des homos, ce genre de merde – mais je m'en fous. C'était l'histoire et la vision de Larry. Mais il a su capturer l'essence de la réalité dans laquelle nous vivions.

C'était aussi un tournant majeur pour la culture skate - les premiers jours de Zoo York et Supreme, et la première vague de skaters new-yorkais qui sont devenus pros.
En effet. Kids a popularisé la culture du skate. Kids a fait de Supreme une marque populaire parce que faire du skate à New York était beaucoup moins cool avant sa sortie. J'ai grandi dans des cités où il n'y avait que des Noirs, des Portoricains et quelques familles de Blancs pauvres, et ce n'était pas tendance de faire du skate. Et avec notre groupe d'amis – des Blancs, des Espagnols, des Indiens, des Chinois, des Albanais, des musulmans, des chrétiens, des athées, des alcooliques, tout ce que tu veux – faire du skate était un moyen de se mélanger.

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À part toi, Harold Hunter, Justin Pierce et Javier Nunez, qui a continué le skate ?
Tous ont continué à skater, qu'ils soient filmés ou non. Quand on pense à Kids, on pense à Justin, on pense à Harold et même à Leo Fitzpatrick en train de skater. On pense aussi à Rosario [Dawson] et à Chloë [Sevigny]. Kids était fondé sur la culture du skate, mais cet aspect n'était pas présent dans le film, simplement parce que le skate – et les gamins qui ont inspiré Larry – n'était pas le sujet qu'il souhait traiter.

Pourquoi as-tu décidé de sortir un documentaire sur le film ?
​Une fois le film sorti, les gens qui n'y figuraient pas – mais qui faisaient partie de la bande – ont été contrariés par cette intrusion dans nos vies et par les gens qui en tiraient de l'argent. De notre côté, on continuait à galérer, à se faire une place dans la société et à crever de faim dans notre coin. Je ne pense pas que Larry Clark ait mal agi, parce que les jeunes présents dans le film ont accepté d'y figurer. Mais il y a eu pas mal de trucs mal gérés, avant et après sa sortie. Très rapidement, ces gosses sont devenus des membres à part entière d'une nouvelle forme de pop culture et se sont retrouvés sous le feu des projecteurs. C'est encore un sujet très sensible – il y a beaucoup d'amertume. Ce documentaire est presque un devoir pour moi.

Qu'est-ce qui t'a décidé à te lancer ?
​J'ai entamé ce projet en 2006, quelques mois après la mort d'Harold Hunter. À cette époque, les gens faisaient des documentaires et des livres traitant de notre évolution. C'était une bonne chose, mais aucune personne de notre bande ne s'y exprimait. On continuait à vivre avec nos différents niveaux de traumatismes mentaux et émotionnels, et puis Harold est décédé. L'envie de concrétiser ce projet ne m'a plus lâchée. Je suis allé parler avec Peter Welch, un des producteurs du film, alors que je bossais dans un restaurant à deux pas du quartier de Rosario et Harold. C'était en 2008, il m'a fallu pas mal de réflexion avant d'y aller.

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Parce qu'il y avait encore certaines choses que tu ne voulais pas t'infliger ?
Voilà. Finalement, en 2010, on a tourné quelques séquences avec Tobin Yelland, qui est un des pionniers de la vidéo et des photos de skate. Par la suite, j'en ai parlé à Chloë et nous avons fait quelques interviews d'elle et d'autres skaters. Mais à ce stade, nous n'avions pas encore toute l'histoire. Peter m'a dit : « Ham, la seule personne qui peut écrire cette histoire et lui donner un sens, c'est toi ». Et là, j'ai pensé : « Bon, il est trop tard pour fuir maintenant. »

Harold Hunter

Je vois.
​​Ensuite, en 2013 l'auteur et interprète Caroline Rothstein – qui a été également une des productrices du film et a écrit ​cet article [sur l'héritage de Kids] nous a rejoints. Elle était accompagnée de Jessica Forsyth – suppléante de la sœur de Harold au bureau de la fondation Harold Hunter – et par Peter Bici, un skateur originaire de New York, aujourd'hui pompier. Il s'est retrouvé impliqué dans le projet il y a un mois et demi, parce que j'avais besoin d'une personne qui avait vécu de l'intérieur une bonne partie des changements de la scène skate new-yorkaise. J'avais aussi besoin d'une personne avec qui j'avais partagé des hauts et des bas, un compagnon de cœur.

J'ai lu cet article. À un moment, tu y parles de comment Kids a renvoyé une image du skate à la fois cool et crasseuse. Tu intégreras ça dans ton documentaire ?
​​Il faut qu'on le fasse, ouais. C'est là que réside notre énergie – une sorte de rage intérieure. Si on ne parle pas de cette lutte, alors les histoires racontées dans le documentaire n'auront plus aucun sens.

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Larry Clark prendra part au documentaire ?
​​Ouais, je suis allé le voir à New York en avril, on a bien discuté. Je suis enfin devenu capable de parler librement de l'amertume que nous avons pu ressentir par le passé.

Quand tu parles d'amertume, c'est par rapport à votre représentation dans Kids ?
Oui, comment on a été représentés, comment les gens se sont fait du blé sur notre dos… Larry était persuadé que je ne lui ferai jamais part de mon ressenti. C'était super de lui parler ouvertement – c'est là que j'ai compris que c'était le moment parfait pour sortir ce documentaire. Il est temps de partager la vision de notre bande, de raconter comment nous avons vécu cette expérience collective qui a participé à façonner la société que nous connaissons aujourd'hui.

Cool, j'ai hâte de le voir. Merci Hamilton.

​@jamie_clifton