Avec les miliciens qui ont quitté leur boulot pour combattre l'EI en Irak

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Avec les miliciens qui ont quitté leur boulot pour combattre l'EI en Irak

Yassin Yassin a suivi les combattants du groupe armé Hashd Al-Shaabi sur la ligne de front, dans le nord de l'Irak.

Yassin Yassin était loin d'imaginer qu'il se rendrait un jour sur une ligne de front d'Irak, son pays natal, qu'il a quitté à l'âge de sept ans. Depuis son arrivée au Royaume-Uni, avec sa famille qui a fui la brutalité du régime de Saddam Hussein, sa vie est plutôt normale. Maintenant âgé de 24 ans, il est récemment retourné en Irak, où il a photographié les groupes armés qui combattent au nom du gouvernement contre l'État islamique. Yassin a réalisé ce projet afin de comprendre ce qu'étaient devenus le pays qu'il a laissé derrière lui et les citoyens qui ont pris les armes.

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En suivant trois groupes – « Kataib Jund Al-Imam », « Tayyar Al-Risali » et « Forket Al-Imam Ali » –, il a pris acte non seulement des dangers persistants et latents de la vie au combat, mais également de la camaraderie surprenante que ces conditions peuvent créer. « Au début, j'avais peur, étant donné que je n'avais encore jamais été exposé à un danger réel. Mais plus le temps passait et plus j'ai pu voir à quel point ces soldats étaient détendus, ce qui m'a un peu soulagé », raconte-t-il. Mais après avoir vu en face de lui s'effondrer un bâtiment frappé par l'EI, il a réalisé que l'expérience était bel et bien réelle. Il a partagé avec nous les photos et souvenirs de ces cinq semaines en Irak.

VICE : Comment êtes-vous parvenu à approcher les milices ?
Yassin Yassin : J'ai pris un vol depuis le Royaume-Uni et je me suis littéralement pointé dans les bureaux des miliciens, en leur demandant si je pouvais photographier ce qu'ils faisaient. Ce fut difficile, bien évidemment. Beaucoup ne me faisaient pas confiance et avaient peur que je sois un espion. Heureusement, un membre de ma famille connaissait un journaliste, qui connaissait des gens qui connaissaient des gens, ce qui m'a ouvert les portes.

À quoi ressemblait une journée typique ?
Il serait difficile de décrire une journée typique, parce que chaque journée était différente. J'y étais juste avant la libération de Falloujah – ville conquise par les djihadistes en janvier 2014, suivie de Mossoul le 10 juin et Tikrit le 13 juin, et perdue le 23 juin dernier. Les membres d'Hashd al-Shaabi étaient alors en mode défensif. J'étais sur la ligne de front avec eux alors qu'ils tentaient de maintenir l'ennemi.

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Comment ces milices fonctionnent-elles ?
Chaque milice est divisée en deux. D'un côté, il y a les combattants, et de l'autre, l'équipe médias – c'est elle qui m'a emmené jusqu'à la base au camp Speicher, à Tikrit. Là-bas, j'ai rencontré un ingénieur en explosifs – il a refusé de se faire photographier, pour des raisons de sécurité – qui avait travaillé en tant que traducteur pour l'armée américaine, pendant la guerre en Irak.

Bien plus tard et à un autre endroit, j'ai rencontré un soldat qui avait combattu pour l'armée du Mahdi durant la guerre de 2003. Il était dans une faction qui a tué un grand nombre de soldats américains et qui a enlevé des traducteurs irakiens – mais lui n'aurait pas pris part à cela. J'ai trouvé intéressant que ces deux mecs-là, qui avaient des points de vue totalement divergents, s'étaient alliés pour lutter contre un ennemi commun. Tous les membres d'Hashd al-Shaabi ont un seul et même but : détruire l'EI. Ils étaient tous optimistes et me traitaient avec respect.

Y a-t-il des moments qui vous ont particulièrement marqué ?
Il y avait un mec nommé Malik (ci-dessus) que j'ai rencontré au camp Speicher. C'est un combattant d'une vingtaine d'années, originaire du sud de l'Irak, qui appartenait au mouvement depuis un an quand je l'ai photographié. Il m'a parlé d'un pacte qu'il avait fait avec ses quatre frères aînés : s'il décédait, l'un de ses frères le remplacerait, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'ils soient tous morts. Il était amical, chaleureux et nous sommes restés en contact après ça. Il m'a laissé voir un aspect différent de sa personnalité. J'avais oublié qu'il était une véritable machine à tuer jusqu'à ce qu'il me montre les photos et vidéos de ses combats.

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Avec votre parcours, avez-vous tenté de donner du sens à tout ce que vous avez vu ?
En tant que Britannique irakien, je suis vraiment triste de voir ce qui arrive. Quand vous allez là-bas et que vous voyez les conditions dans lesquelles vivent les gens – la corruption, les rues sales, les services désastreux –, vous vous sentez impuissant. Mais ce projet m'a appris une chose : les Irakiens ont beau avoir traversé beaucoup d'épreuves, ils restent incroyablement forts et passionnés, encore capables de sourire et de rire malgré les circonstances. Passer une journée à Bagdad, c'est comme jouer à la roulette russe. Si vous êtes au mauvais endroit au mauvais moment, vous êtes mort. Mais cela n'arrête pas les habitants. Ils ne peuvent pas rester chez eux sans rien faire, ils doivent continuer à vivre leur vie.

@tnm___ / @yassino_yassino

Le camp Speicher est une base militaire qui doit son nom à Michael Scott Speicher, lieutenant commandant américain de 33 ans, abattu pendant la guerre du Golfe de 1991.

Ces hommes représentent trois générations de combattants. Le plus jeune porte un maillot de Manchester City.

L'équipe du bureau de presse de Hashd Al-Shaabi explique avoir retrouvé la zone qui entoure les palais présidentiels de Saddam Hussein, à Tikrit, dans cet état.

Quand je lui ai demandé si je pouvais le prendre en photo, ce jeune homme a simplement hoché la tête, en continuant de sourire et de parler avec ses camarades. S'il n'y avait pas cette mitrailleuse derrière lui, on pourrait presque penser qu’il s’agit d’une photo prise lors d’une soirée entre amis.

Le chef de tribu Sheikh Abdul Adheem, devant un « mokib » – un camp – à Saqlawiya, dans le centre de l'Irak. Ce site abrite un buffet ouvert 24h/24 où les soldats peuvent se reposer et prier. Il travaille avec une petite équipe et l'ensemble de l'opération est financée par des dons.

Des traces de balles et de sang sur les voitures abandonnées près des palais présidentiels.

Le satir (le protecteur) est un mur de terre artificiel avec une tranchée de l'autre côté, qui vise à empêcher les véhicules explosifs de l’EI de pénétrer sur le territoire d’Hashd al-Shaabi.

Un tireur d'élite se prépare à monter la garde derrière le satir, à environ 150 mètres de l'endroit où les tireurs de l’EI sont supposés être.

Hussein, 70 ans, est un combattant d’Hashd al-Shaabi dans la faction de Tayyar al-Risali. Il souhaite éliminer l’EI et libérer l'Irak de cette catastrophe. Il a rejoint la milice car il était trop vieux pour être militaire.

Un soldat garde une tour dans une casse à Karma. Il m’a dit qu'il se réjouissait à la perspective de la libération de Falloujah.