Henry Horenstein ne photographie que ce qu'il aime

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Photo School

Henry Horenstein ne photographie que ce qu'il aime

À savoir beaucoup de chanteurs de country, des chevaux de course et de collecteurs d'urine.

Grâce à la technologie actuelle, devenir photographe n'a jamais été aussi simple. Mais d'un autre côté, il est devenu beaucoup plus difficile de faire une photo capable de marquer notre époque. Photo School est une nouvelle colonne qui vous apprendra tout ce qu'il y a à savoir sur la photographie sans avoir à vous galérer en école d'art.

J'ai eu la chance d'avoir d'excellents professeurs de photographie, mais Henry Horenstein est celui qui m'a donné le meilleur conseil qu'on m'ait jamais filé. Voici ce qu'il m'a dit lors de mon premier jour de cours au département photo de l'école de design de Rhode Island :

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« Cherchez ce que vous aimez, et photographiez-le. »

Ce conseil, Horenstein l'a lui-même reçu du légendaire Harry Callahan, un photographe qui prenait régulièrement des clichés de sa femme, Eleanor. Mais pour lui, cela impliquait de photographier des musiciens de country, des chevaux de course et des artistes burlesques – sans oublier sa famille et ses potes de Boston. Toutes ses photos sont marquées par des gens et des lieux en voie de disparition. À ce sujet, il a déclaré : « Les photographies représentent des histoires. Avec les années, elles deviennent les témoignages d'une époque révolue, selon la manière dont nous les percevons. » Cette déclaration prend d'autant plus de sens quand on sait que Horenstein a étudié l'histoire à l'Université de Chicago, avant de retourner dans sa Nouvelle-Angleterre natale pour apprendre la photo auprès de Callahan et du précurseur Aaron Siskind.

Par le plus grand des hasards, j'ai découvert Horenstein en cinquième, des années avant d'entrer en école d'art, grâce à un oncle qui m'avait offert un vieux rétro et quelques pellicules. J'ai allumé le Dell familial pour faire des recherches sur les chambres noires, et c'est comme ça que j'ai découvert un livre de Horenstein, intitulé Black and White Photography: A Basic Manual. En suivant vaguement ses instructions, j'ai construit la chambre noire la plus poussiéreuse du monde dans la cave de mes parents.

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Dolly Parton au Symphony Hall, Boston, Massachusetts, 1972.

Horenstein raconte donc des histoires, aussi bien dans sa pratique de la photographie que dans son enseignement de professeur. Il a notamment raconté celle d'un concert au cours duquel il avait photographié Dolly Parton au Symphony Hall de Boston. En backstage, il a pris son courage à deux mains et lui a demandé pourquoi une musicienne aussi brillante qu'elle avait besoin de porter des costumes aussi élaborés.

« Eh bien, chéri, pour tout t'avouer, les gens ne viennent pas ici pour me voir habillée comme tout le monde. »

C'est de plus en plus vrai en ce qui concerne la photographie – une bonne photo ne suffit plus désormais. Vous devez proposer quelque chose de différent pour que votre travail se distingue de la pléthore d'images que les gens voient tous les jours. C'est ce genre de petites perles qui faisait de Henry un bon enseignant. Parmi ses anciens élèves, on trouve des légendes comme Nan Goldin (« Elle a changé trois fois de cours avant de trouver un meilleur enseignant », admet Henry), Jim Godlberg, Stanley Greene, et le photographe punk Godlis. Horenstein mène actuellement une campagne de crowdfunding pour publier un livre appelé Histories : Tales From The 70s, qui compilera anecdotes personnelles et photos exclusives tirées de cette décennie.

Henry a accepté de nous dévoiler un aperçu de son livre.

Dolly Parton et Porter Wagoner, Symphony Hall, Boston, 1972

« Avant que Dolly ne devienne une star, elle était chanteuse du groupe de Porter, Wagon Masters (1967-1974). J'ai pris cette photo pour le Boston Phoenix, l'hebdomadaire local. Pendant cette session, j'ai fait une autre photo assez connue de Dolly en solo. »

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Merle and Doc Watson, en backstage au Paradise Club, Cambridge, MA 1974

« Doc Watson est né à Deep Gap, en Caroline du Nord, il a apporté de la musique de ploucs aux citadins, inspiré par l'arrière-pays et la montagne. En 1960, il a été découvert par le musicien et folkloriste Ralph Rinzler, et a passé les 50 années suivantes à jouer dans toutes sortes de villes, des campus d'université et des festivals de folk. Doc était aveugle depuis son jeune âge. Pendant de nombreuses années, il a voyagé et joué avec son fils Merle, qui est mort dans un accident de tracteur en 1985. Doc est décédé en 2012. »

« Mon job au Thompson Speedway consistait surtout à prendre des photos des pilotes, de leurs voitures et du podium. Mais j'adorais immortaliser les fans, des gens qui étaient proche des pilotes ou qui venaient juste pour voir un peu d'action. Mon héros personnel était le légendaire Weegee. J'ai souvent copié son style (je le fais toujours) quand je travaillais de nuit : ça consiste à prérégler le zoom, à diriger l'appareil vers les gens et laisser le flash s'occuper du reste. Après, il n'y a plus qu'à croiser les doigts. »

Chammie dans son costume en laine, Newton, MA 1972

« Ma mère a eu huit chiens dans sa vie. C'était des petits caniches, qu'elle a tous appelés Chammie. Elle avait une si mauvaise mémoire qu'elle pensait que ce serait un bon moyen de se rappeler de tous les noms. Elle me disait : "Peter, sors Chammie, s'il te plaît". Je détestais ça. Je m'appelle Henry, maman, pas Peter. En plus de son amour des chiens, elle adorait tricoter. Ici, on peut voir les deux amours de sa vie enfin. Dans mes moments de déprime, je me suis souvent demandé si Peter arrivait au moins en troisième position. »

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Maman, Chammie et Studley, Newton, MA, 1971

« Ici, une photo de Maman avec son chien Chammie (à gauche) et le cousin de Chammie, Studley, le chien de ma sœur. J'ai remporté mon premier prix grâce à cette photo – la deuxième place de la catégorie portrait pour The Real Paper, un hebdomadaire local. Pour y arriver, j'ai utilisé un objectif Nikon de 105mm avec une ouverture à 2,8. »

The Holy Modal Rounders, Aengus Studios, Fayville, MA, 1972

« Les Holy Modal Rounders ont connu leurs plus grands succès pendant les sixties et les seventies, même s'ils avaient de nombreux points communs avec la Beat Generation des années 1950. De toute façon, leur musique était géniale, il se rapprochait d'Uncle Dave Macon, la star du Grand Ole Opry, et il chantait des vieux morceaux comme « Boobs a Lot », bien avant que le politiquement correct ne vienne tout détruire. C'était au moment où Greenwich Village regroupait tous les trucs branchés. Pendant un temps, The Rounders (notamment Peter Stampfel et Steve Weber, photographié ici) ont fait partie des légendaires Fugs. Peu après, Sam Shepard, un jeune acteur prometteur, a rejoint le groupe.»

Bill Monroe au Take It Easy Ranch, Callaway, MD, 1973

« Combien de musiciens peuvent se targuer d'avoir lancé un nouveau genre musical ? Et ne me parlez pas de Chubby Checker et du twist, par pitié. Bill Monroe and his Bluegrass Boys ont créé la musique bluegrass. Enfin, à peu de choses près. OK, deuxième question : Quel musicien peut se targuer d'avoir lancé un nouveau genre musical et écrit une partie de « Blue Moon of Kentucky », le premier 45 tours d'Elvis ? »

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Christine, Boston, MA, 1972

« Cette photo montre un bébé tout sage et un brin sceptique devant un mur couvert de motifs. Pour moi, cette photo représente le passage à l'âge adulte – c'est le premier bébé que j'ai connu qui ne faisait pas partie de ma famille. J'avais alors 25 ans, et mes nouveaux amis semblait prendre le pas sur ma famille. »

Une amie de Barbara, New Bedford, MA, 1971

« Elle, c'est une amie de ma sœur. Je me rappelle pas de son nom. Je l'ai photographiée pour ma première commande et publication, quand je commençais tout juste. Il s'agissait d'une brochure pour un éditeur qui faisait de la prévention pédagogique contre la drogue, ça s'appelait DRUGS AND YOU,TOO. C'était OK pour moi. Je me suis fait 10 dollars par photo. Comme je n'avais pas de budget pour les modèles, j'ai demandé à des amis et à la famille de jouer les drogués pour les besoins de la brochure. »

Un joueur d'harmonica, Merchant's Cafe, Nashville, TN, 1974

« Ici, c'est un mec qui joue de l'harmonica dans un bar honky-tonk de Nashville. Je n'ai rien de spécial à dire sur lui. Peut-être qu'il espère qu'un producteur va finir par le signer et le révéler au grand public. Ou peut-être qu'il se laisse juste porter par la musique. Je suis sûr qu'il y a toujours des endroits et des gens comme ça à Nashville, mais il n'y a en plus beaucoup. Aujourd'hui, ils essayent de se faire du fric sur leur côté vintage, s'ils ne se sont pas déjà transformés en piliers de bar. Les gens disent que la musique était mieux à l'époque. Je ne sais pas si c'est vrai, mais je suis sûr qu'elle était plus sincère. »

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Des fans entourent Ernest Tubb pour obtenir un autographe, Lone Star Ranch, Reeds Ferry, NH, 1974

« Certains trouvent ça étrange, mais la country fait depuis longtemps partie d'une forte tradition en Nouvelle-Angleterre. L'une des raisons de cette popularité était liée a un parc côtier très populaire autrefois, qui passait sur tout le nord-est du pays – du Maryland jusqu'au Maine et de l'Ohio au Canada. Ces touristes se tournaient vers des maisons d'été abordables, ou alors ils louaient un emplacement et y posaient un camion, une caravane ou une tente. Ils venaient avec leur famille pour profiter d'un week-end ou de quelques jours de vacances, préparaient des burgers et des hot-dogs. Les enfants allaient jouer dans la nature, et ils pouvaient aller voir des concerts de country. De nombreux groupes très populaires faisaient la tournée de ces parcs toute l'années, attirant les fans et récoltant de l'argent pour acheter de l'essence, afin de continuer à tourner et à se faire du fric. »

Un combat de boxe au Harvard Club, Boston, MA, 1977

« Les anciens élèves d'Harvard avait l'habitude de se réunir tous les ans dans la grande salle de leur résidence, pour manger du rosbif, fumer des cigares et hurler sur les boxeurs occupés à combattre. On entendait des menaces racistes, on faisait des affaires. J'ai pris cette photo pour un livre sur lequel je bossais avec l'écrivain Brendan Boyd, qui n'a jamais été publié. 10 ans plus tard, nous avons tous les deux collaboré sur le livre Racing Days, qui parle des courses de chevaux. »

Secretariat prend son bain, Claiborne Farms, Paris, KY, 1989

« Le plus grand des chevaux de course a passé les 15 dernières années de sa vie à saillir des juments et à se faire dorloter. J'ai pris cette photo des mois avant qu'il ne décède. Bon, je sais que cette photo a été prise 10 ans après la fin des années 1970, mais en 1973 Secretariat est devenu l'un des 11 chevaux à gagner la Triple couronne, alors je me suis dit qu'elle serait à sa place ici. De plus, un petit malin de Kickstarter m'a dit que pour obtenir des dons, il fallait proposer des animaux et des célébrités. Et sur cette photo, on a les deux. »

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Steve Cauthen, Saratoga Race Course, Saratoga Springs, NY, 1977

« Le dernier vainqueur de la Triple couronne était un cheval nommé Affirmed. C'était en 1978. Steve Cauthen était le cavalier. Il avait 18 ans à l'époque. Peu de temps après, il est parti en Angleterre dresser des chevaux de compétition pour des princes arabes et enregistrer des disques de country. Cette photo illustre toute la force du jockey – les mains qui guident la monture jusqu'à la ligne d'arrivée. »

Un collecteur d'urine, Fair Grounds, Nouvelle-Orléans, LA, 1977

« Si vous trouvez que votre job craint, pensez aux collecteurs d'urine. Leur rôle consiste à récolter l'urine du cheval après une course pour l'envoyer au laboratoire, afin de vérifier que ce dernier ne soit pas dopé. J'imagine que le procédé est désormais plus sophistiqué qu'en 1977. Néanmoins, les raisons qui poussent à droguer un cheval restent les mêmes. Peut-être que c'est pour améliorer ces performances, afin de pouvoir parier sur lui. Ou peut-être est ce pour faire perdre un favori afin de relancer l'intérêt de la course. Le problème, c'est que l'on ne sait pas toujours qui fait quoi. »

Des danseurs bourrés, Merchant's Cafe, Nashville, TN, 1974

« Bizarrement, dans les années 1970, il y avait très peu de concerts à Nashville. C'était une ville industrielle, avec le Grand Ole Opry et une émission de radio live pour seuls lieux de concert. Mais il y avait aussi quelques vieilles salles, comme le Merchant Cafe,où un couple pouvait danser tout en étant complètement déchiré. »

Koko Taylor, Blues Club, Cambridge, MA, 1972

« Je prenais de nombreux clichés de musiciens country à cette époque, mais j'ai aussi pris des photos de blues, de jazz et de R&B, sur commande ou juste pour moi. Je ne me rappelle pas pourquoi j'ai immortalisé Taylor, une solide chanteuse de blues, c'était un shoot tout simple. Je n'ai fait que 3 ou 4 cadres différents, et c'est celui-ci que j'aime le plus. Taylor représente le vieux blues de Chicago qui était très populaire à l'université et auprès des fans de musique folk dans les années 1970 et 1980 – des morceaux comme « Wang Gang Doodle » sont devenus des tubes. »

Loretta Lynn, en backstage, Annapolis, Md., 1975

Loretta était l'une des premières chanteuses vedettes de la country, après Kitty Wells et Patsy Cline. Elle a eu une vie difficile, marquée par la pauvreté. Avant l'âge de 20 ans, elle avait déjà quatre enfants. Je l'ai photographiée après qu'elle se soit effondré sur scène, et ici, on voit qu'elle se ressaisit pour les photographes qui l'attendent près de son bus. C'étais une chanteuse old school qui se rebellait de temps à autre, notamment avec sa chanson pro-contraception, « The Pill », ou « Rated X », sur les inégalités homme/femme. A 82 ans, Loretta tourne toujours, notamment grâce à un album produit par Jack White qui est sorti en 2004.

Aidez Henry Horenstein en pré-commandant votre exemplaire de Histories: Tales From The 70s ici.

Matthew Leifheit est photo editor pour VICE. Il enseigne également la photographie à la School of Visual Arts. Suivez-le sur Twitter.