Bruxelles est un beau trou à rats

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Des fanzines et des Hommes

Bruxelles est un beau trou à rats

Hobos, fêtards et marginaux : une visite guidée dans les bas-fonds de la capitale belge avec le photographe Christopher de Béthune.

« Bruxelles est probablement la ville la plus laide au monde. C'est un gros bordel, et ça pue la merde. Mais c'est l'odeur d'une bonne merde. » En juin dernier, le chanteur Arno balançait sa prose odorante à la face orangée de Donald Trump, qui avait osé qualifier la capitale belge de « hellhole » et de « trou à rats ». Parmi ceux qui se tiennent aux côtés de l'interprète des « Yeux de ma Mère » se trouve Christopher de Béthune, photographe de son état.

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Ce grand gaillard à la dégaine de Slender Man parcourt sans relâche les artères sinistres et les arrêts de métro malodorants pour donner naissance à divers fanzines qui partagent tous un point commun : le noir et blanc lugubre. On l'a rencontré pour en savoir plus sur son amour de la photo de rue, du milieu bruxellois du tatouage et de celui, encore timide, de l'édition photo indépendante.

Toutes les photos sont de Christopher de Béthune.

VICE : Salut Christopher. Pour commencer, peux-tu nous dire si, au fond, tu aimes vraiment Bruxelles ?
Christopher de Béthune : J'aime la détester, et l'inverse est vrai. C'est vraiment du 50-50 : il y a des moments où je me dis que c'est pas si mal et d'autres où je me dis que c'est une ville ridicule.

Après, j'y vis depuis 38 ans. Bruxelles c'est 99,99 % de ma vie. Du coup, je pense que je l'aime quand même un petit peu plus que je ne la déteste. Tout ce qui s'y rapporte me tient à cœur : le beau comme le triste.

Dans ton premier photozine, Night Ride, tes photos ont toutes été prises de nuit. C'est quoi le visage de Bruxelles, à la tombée du jour ?
Je pense que si tu m'avais demandé d'emblée si j'aimais ou détestais Bruxelles la nuit, je t'aurais répondu que je l'aime. Tout le côté ridicule disparaît. On y croise pas mal de gens un peu étranges.

J'ai toujours mon appareil avec moi, du coup 80 % de mes photos sont prises en allant dans un bar on en rentrant chez moi. Ces moments-là, c'est vraiment une bulle dans laquelle je me sens le mieux. Je suis comme un chat, je me balade, je ne fais pas de bruit, j'essaie d'être discret.

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Tu fais deux mètres, quand même.
Oui je sais, mais ça, ça m'aide. Les gens n'osent pas trop me regarder : je ne sais pas si c'est la barbe, la taille ou les tatouages…

Tes photos révèlent la dimension « sauvage » de Bruxelles. C'est ce que tu recherches ?
Non, rien n'est choisi, il faut juste qu'un truc m'interpelle. Je pense que c'est lié à mon éducation et aux films que j'ai regardés plus jeune : ceux de Kitano, Blade Runner, Valhalla Rising et Kurosawa – en particulier Stray Dog. Ça a modifié mon regard sur l'espace qui m'entoure.

Parfois, les gens me disent que sur telle photo, un endroit a l'air vraiment crade, alors qu'en fait il est tout à fait normal. Mais le soir, les gens se relâchent, ils sont eux-mêmes. S'ils ont envie de dormir par terre, ils dorment par terre.

Tu es très proche de la scène bruxelloise du tatouage – ce qui ressort dans tes clichés. Qu'espères-tu transmettre à ce sujet ?
En fait, je trouve ces personnes tatouées tellement belles que je n'ai pas envie de leur coller une étiquette, de transmettre quoi que ce soit.

Après, en ce qui concerne le tatouage en général, j'aimerais bien qu'on en parle un peu moins. Les médias l'évoquent à longueur de journée et sont à côté de la plaque. J'aimerais que les gens qui observent mes photos voient des individus avant de voir des tatouages.

Certaines de tes photos jouent là-dessus pourtant, non ? Je pense à celle de ce mec aux paupières tatouées.
Le tatouage, c'est son métier à ce mec. Évidemment, quand je choisis de le mettre dans un photozine, ça signifie que d'autres personnes vont le voir. Mais tant mieux, c'est radical, c'est pas un mec tatoué pour une pub H&M. J'espère qu'en voyant mes photos, les gens se disent que c'est aussi ça, le tatouage.

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La brutalité de tes photos est évidente. Quelque chose de cru s'en dégage. C'est voulu ?
Si la photo est crue, c'est que le moment était cru. Il n'y a jamais de mise en scène. Après, il est évident que le noir et blanc renforce le côté dramatique et brutal de l'image. Ça donne également moins d'indices sur l'endroit, le moment de la journée, l'époque.

Quand tu assembles tes photographies sous forme de fanzine, je trouve que ça ressemble au découpage d'un scénario de film. Tu en penses quoi ?
C'est comme n'importe quelle soirée en fait : si tu as une caméra, tu peux faire un court-métrage. De nouveau, c'est cet héritage rampant du cinéma que je traîne derrière moi. C'est ce que je voulais faire quand j'étais jeune, mais comme je vivais seul avec ma mère, j'ai fait du dessin – c'est beaucoup moins cher.

J'essaie toujours de raconter des petites histoires, même si ce n'est que celle d'un gars qui part de chez lui à 20 heures pour rejoindre ses potes et qui rentre à 4 heures du matin à pied parce qu'il n'y a plus de tram.

Tes deux premiers photozines sont sortis chez Luciver, un éditeur indépendant suisse. Qu'est-ce qui t'a plu chez lui ?
Il a un chouette concept : il sort un zine par mois et, si tu prends un abonnement, on te les livre et tu n'en paies que dix sur douze.

Mon dernier photozine est sorti c'est chez les Allemands de Dienacht, mais j'en referai un autre avec Luciver entièrement dévolu à Bruxelles, avec 100% de photos volées. Je suis pressé qu'il sorte, je l'aime particulièrement celui-là.

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Pourquoi avoir choisi Dienacht ?
Je suis fan de tout ce qui sort chez Dienacht. Il y a un bon magazine papier, qui couvre de jeunes artistes. À côté de ça, la partie édition est incroyable. C'est toujours ultra-soigné et les papiers sont sublimes. La maison ne se limite pas aux grands noms. Il n'y a pas cet élitisme que l'on peut retrouver ailleurs.

Pourquoi ne cherches-tu pas un éditeur « important » ?
Parce que le fanzine, c'est incroyable. Tu fais ce que tu veux, il n'y a pas de diktat. Un livre, c'est ce qu'il y a tout en haut, c'est la cerise sur le gâteau. T'es super regardant, il y a des enjeux financier. Un zine, tu te lèves un matin, tu te dis que tu veux en faire un et c'est lancé : ça coûte trois balles. Si tu rentres dans tes frais, t'es content, sinon tant pis.

Je vois. Merci Christopher.

Allez faire un tour sur le site de Christopher. Son dernier fanzine, Outland, est sorti chez Dienacht. Les précédents, Pale Tales et Night Ride, sont disponibles chez Luciver ou au Tipi Bookshop.

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