La Classe armoricaine

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La Classe armoricaine

Abattoirs, fêtes populaires et meetings communistes : un aperçu de quarante ans d'archives sur la région du nord-ouest – et ses habitants.

Il y a quelques mois, le photographe français Guy Le Querrec me parlait de son attachement profond pour la Bretagne, région dont sa famille est originaire. Si sa carrière de photographe l'a amené à voyager partout dans le monde, il ne s'est jamais vraiment détourné de ses racines. Après avoir passé l'essentiel de ses vacances scolaires dans la région, il y est retourné à de multiples reprises – documentant aussi bien des fêtes populaires que des abattoirs industriels et le quotidien des ouvriers agricoles de Saint-Pol-de-Léon.

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Après avoir passé des années dans des tiroirs, ses impressionnantes archives sur la Bretagne viennent de faire l'objet d'un livre et de trois expositions. « Il m'a fallu du temps pour m'y replonger », m'explique Guy Le Querrec. Ces images représentent quand même 45 ans de reportages, durant lesquels j'ai pas mal bourlingué. » Sous l'impulsion de Guy Bourreau, qui l'a accompagné tout au long du projet, le photographe a réétudié des milliers d'images et s'est doucement mis à les assembler.

À rebours des photos qu'il a réalisées sur commande, presque toutes les images tirées de ses séjours en Bretagne sont nées d'une envie personnelle – ce qui peut expliquer la difficulté qu'il a éprouvée à se départir de certaines d'entre elles. « À une époque, les filles allaient souvent au bal pour écouter des orchestres et attendre que quelqu'un daigne les inviter à danser. Certaines avaient plus de chances que d'autres – peut-être parce qu'elles étaient plus jolies ou mieux apprêtées –, et j'ai toujours eu beaucoup de peine pour celles qui n'étaient pas invitées. Je ressens le même sentiment quand j'embarque des photos pour les montrer à un éditeur, et qu'il m'annonce finalement qu'elles ne pourront pas être retenues. » Le livre qui a résulté de ce long processus de tri est en tout cas à l'image de son travail – beau, déconneur et empli d'empathie.

Le livre Guy Le Querrec en Bretagne vient de sortir aux éditions de Juillet et est disponible à cette adresse – en voici quelques extraits, où le photographe revient sur la réalisation de plusieurs de ses photos prises dans les années 1970 :

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Course hippique dans la baie du Kernic, Plouescat, dimanche 5 août 1973

Comme souvent, pour repérer et choisir mes sujets de reportage, je consulte les quotidiens (Le Télégramme, Ouest France …). C'est ce qui guide mon œil et mon Leica vers des manifestations qui motivent ma curiosité. Je ne cherche pas à en connaître trop pour maintenir une naïveté et un regard sur le qui-vive : en effet comme le souligne le grand photographe Marc Riboud selon un proverbe africain « L'étranger voit ce qu'il sait ». J'avais opté ce jour-là de grande marée pour les courses hippiques dans la baie du Kernic, à Plouescat, qui offre un sable ferme pour le galop et le trot attelé. Se confirme très vite que j'avais fait le bon choix : abondance de situations m'offrant une partition mélodieuse à partir de laquelle mon œil pouvait improviser tout en maintenant une distanciation pour ne pas être happé par le sujet.

Plutôt tourné vers les à-côtés que vers les courses, j'ai été particulièrement attiré par une scène que j'intitulerai « un jeu de foulard ». Comme je me dis dans ces cas-là, il y a de l'éventualité dans l'air. On peut parler d'une situation enceinte d'un réel qui va accoucher d'une photographie. Mon instinct est récompensé. En peu de secondes, je déclenche sans compter, pour enregistrer sans discontinuité, en observant les modifications, les trajectoires des corps, les postures, le foulard, les visages, les mouvements des bras et des mains sans négliger les autres composantes de l'image.

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Fête des anciens, Languidic, dimanche 30 juillet 1978

Reconstitution d'un mariage avec six couples. Je ne me souviens plus si c'est dans le journal, sur une affichette ou dans une vitrine que j'avais repéré cet événement reconduit, je crois, chaque année, plus pour les locaux que pour les touristes. […] Avant que je ne débute le défilé et la fête, je suis surpris par ce baiser fougueux de deux anciens. Scène inattendue. Je cadre et déclenche pour ne pas rater cet instant impromptu de baiser de cinéma. Sur la planche contact puis sur le tirage, je découvre la présence d'une partie du visage entre le col et le ruban du chapeau de l'homme de dos. Une énigme qui offre une place à l'imaginaire, rôle que, selon moi, doit tenir une image photographique : tel un conte.

La Chapelle-Caro, samedi 26 mai 1979

Deux routes qui se séparent et s'éloignent pour mieux se retrouver. Peut-être est-ce proche des impressions visuelles que l'on éprouve quand, dans un train, on laisse notre regard s'abandonner aux mouvements des rails qui s'écartent et se rapprochent. Donnée importante pour la photographe, sa capacité à anticiper, une sorte de pré-visualisation qui lui permet de maîtriser l'aléatoire. Par déduction, par instinct, par spéculation, j'avais choisi un cadrage qui mettait en jeu et en exergue cette bifurcation. Décision rapide : j'opte pour un point de vue élevé intégrant la branche au premier plan à droite, installant, en relation et en contradiction, les bandes claires et les éléments géométriques sombres. Le décor est bien placé dans le viseur. Il suffit d'attendre et contrôler le passage du cortège en ce lendemain de noces, lorsque l'enfant en mal d'autonomie lui fausse compagnie et s'échappe. Ne perdons pas de vue que ma Bretagne est aussi composée de moments familiaux, en l'espèce le mariage d'un cousin côté maternel, provenance Saint-Martin-sur-Oust.

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Après une réunion de paysans opposés au remembrement, Esquibien, lundi 1er octobre 1973

Mon métier de photographe est composé de reportages de mon initiative, de productions personnelles et de commandes, peu de Paris Match et, sur la Bretagne, cela ne s'était jamais produit. Ce fut cependant le cas pour réaliser un court reportage à Esquibien, sur les problèmes de remembrement auquel les paysans étaient opposés. Je photographiais les réunions, hommes et femmes, dans les fermes ou à l'extérieur. Il fut décidé par le journaliste de Match qu'ils se retrouveraient dans un champ pour mieux expliquer leur désapprobation et leurs revendications. Au retour, dans une lumière de semi contre-jour ourlant et sculptant bien chaque personnage, les tracteurs, dont le plus proche « offre » une fumée qui participé à la luminosité de la scène. La marche du retour s'effectue dans un chemin creux bordé de haies scintillantes de soleil, revendiquant leur existence alors qu'elles sont menacées de disparition par le remembrement. Ainsi composée cette situation me convenait ; elle évoquait la solidarité et une certaine clandestinité. Ce n'est pas cette photo qui sera retenue par le magazine.

Des photos de Guy Le Querrec en Bretagne sont actuellement exposées dans la galerie Le Lieu à Lorient, au Centre Atlantique de la Photographie de Brest et à la galerie L'Imagerie à Lannion. Ces expositions se termineront respectivement le 11 décembre 2016, le 7 janvier 2017 et le 3 décembre 2016.

Image d'ouverture : Bretagne. Finistère Sud. Scaer. Meeting du candidat du Parti communiste Français, Albert Henot. Lundi 27 février 1978. Toutes les photos sont de Guy Le Querrec/Magnum Photos