FYI.

This story is over 5 years old.

reportage

Il n’y a plus de dieu en Antarctique

Juste des pingouins à moitié dévorés et des panneaux qui vous indiquent que vous êtes paumé.

All photos : Jo Stewart

Beaucoup de gens répètent à tout-va qu’ils vont « foutre le camp d'ici », mais seuls quelques-uns se donnent les moyens d’y arriver. Backpacker à travers l'Asie du Sud-Est ou mettre les bouts vers une île tropicale, c’est déjà un bon changement de rythme, mais au final on est toujours entouré de gens et de tous les problèmes que ça implique.

Mais si vous consacrez assez d’énergie afin d’envoyer la société se faire mettre, il y a une chance que l’Univers vous procure une échappatoire. En tout cas, c’est ce qui m’est arrivé quand on m’a proposé d’embarquer sur un yacht pour le tournage d'un documentaire en Antarctique.

Publicité

J'ai tout de suite dit oui, bien entendu. J'imaginais les majestueux pans de glace, la mer bleu nuit, les orques s’ébattant en toute liberté, les pingouins gambadant dans des paysages si pittoresques qu'on pourrait y ajouter Morgan Freeman en voix off. Mais la réalité de la vie sur ce septième continent gigantesque et isolé est très différente de mon fantasme glaciaire. Oui, il y a cette beauté d'un autre monde mais il y a aussi l'étrange, le cruel et ces choses franchement terrifiantes qui ne figurent sur une aucune brochure touristique. Voici quelques détails de mon voyage que vous ne verrez jamais dans aucun documentaire sur l’Antarctique.

Y aller

Pour beaucoup, faire du trek en Antarctique implique de partir de l’extrémité sud de l'Amérique du sud, la Terre de Feu, et de traverser le passage de Drake, alias « le Drake », connu pour être le point de rassemblement des mers les plus déchaînées de la planète. Pour info, je hais le Drake. La plupart des voyageurs font l'expérience du passage dans un bateau de croisière confortable équipé d'un brise-glace (on est loin d'un dimanche chez mamie quand même), mais si, comme moi, vous êtes dans une embarcation plus petite, c'est une autre paire de moufles. Lors des tempêtes, le navire tangue et tremble tellement que le mal de mer vous envahit. Votre seul exutoire, dormir, s’avère impossible. Être entouré d'un monstre noir-de-gris informe et mouvant qui n'a aucune considération pour votre vie de fourmi est une expérience qui donne à réfléchir pour un homme habitué à la terre ferme.

Publicité

Même si je ne suis pas du genre anxieux, les conditions de vie dans cette région convoquent des fantasmes morbides : des bancs de brume sinistres, de l’écume qui mousse, des vents glaciaux qui vous fouettent le visage, capables de vous faire tomber à la renverse. Avec un temps pareil, l'accès aux traitements médicaux est limité et plus que hasardeux – une jambe cassée peut être fatale, l'hypothèse d'une blessure (et d'une opération chirurgicale à l'intérieur d'un bateau secoué par la tempête) vous hante toujours plus ou moins.

Quelquefois, j'avais peur que le bateau coule, une peur sans doute exacerbée par les épaves qu'on a croisées en route :

Elles nous rappelaient les dangers qui guettent dans ce désert blanc et les risques effrayants pris par les navigateurs au fil des années – imaginez un peu ce que c’est de naviguer sur ces eaux sans radar. Un yacht a coulé l'année dernière en percutant une baleine. Parmi les détritus sinistres, on ne trouve pas que des bateaux – la carcasse d'un avion d'Air New Zealand qui s'est crashé sur le mont Erebus en 1979 est toujours visible. Malgré les vastes recherches lancées, la plus grande partie de l'avion (et quelques restes de passagers) est toujours coincée dans la montagne, cryogénisée.

Les bêtes

Je tire mon chapeau à ce petit bonhomme qui est resté en place pendant que je le prenais en photo, même si la moitié de ses tripes avait récemment été arrachée à son corps par un léopard de mer. Le manchot à jugulaire est assez sympa, contrairement à son cousin le pingouin royal. À Fortuna Bay, j'ai vu un gang de pingouins royaux mettre des baffes à un bébé loutre avant de continuer son chemin comme si de rien n'était. Ces mecs forment une putain de mafia.

Publicité

Mais ne vous en faites pas trop pour le bébé loutre. Si l’on admet que les bébés loutres sont les chiots du monde des phoques, elles seraient plutôt du genre Cujo que Lassie – je m’en suis rendu compte quand une de ces créatures m'a couru après, me forçant à me réfugier sur les collines. Elles n'ont que l'air timides.

Ce petit gars-là, en revanche, a posé comme s’il connaissait son profil le plus avantageux :

Sexy et dangereux. Le James Dean des phoques.

Les églises

À l’évidence, celui qui a construit l'église de la Trinité sur l'île du Roi-George n'avait jamais entendu l'adage de vieux marin : « En dessous de 50 degrés sud, il n'y a plus de loi, en dessous de 60 degrés sud, il n'y a plus de dieu. » Cette petite tranche d'orthodoxie russe est gardée par un prêtre tout au long de l'année, et il fait tellement bien son boulot que ça a même une odeur d'église – ce pot-pourri reconnaissable de bougies, d'encens, de culpabilité et de honte. C'est un exploit impressionnant quand on pense aux effluves de vomi de pingouin et d'excréments de phoque qui flottent presque constamment dans l'air en Antarctique.

Les panneaux

Il y a des panneaux partout. C'est une blague qu'on fait et refait dans toutes les langues en Antarctique. Tout bien réfléchi, c’est une manière cruelle de vous rappeler que vous êtes perdu au milieu de nulle part.

Le massacre

Aaaaah… Encore des loutres toutes mignonnes ! Cependant, vous aurez remarqué dans le fond des formes qui ressemblent à s'y méprendre à des cadavres de rennes. Jadis, l'île de Géorgie du sud était le territoire de milliers de rennes qui formaient le troupeau le plus septentrional du monde. L'important dans cette phrase c'est « jadis », parce qu'un programme d'éradication des rennes a mis fin au règne de ces bêtes natives d'un autre continent – des bergers ont été amenés sur l'île pour s'en débarrasser, et le massacre se prolongera jusqu'à ce que le dernier Rudolf du coin soit éradiqué.

Publicité

Les postes de chasse à la baleine

Avec ses bâtiments délabrés, ses abris rouillés et ses portes qui s’ouvrent sur nulle part, le campement pour pêcheurs de baleines de Grytviken est l'endroit parfait pour une partie de cache-cache lugubre. On y trouve aussi une église flippante et un cimetière flippant qui est le lieu de repos final des explorateurs les plus intrépides d'Antarctique. Et des tas de chaînes aussi :

Producteurs d'Hollywood, prenez note : c'est un calvaire pour y arriver, mais ça répond à tous les besoins d'un bon film d'horreur/de sexe SM.

La glace

Il y a des piles monstrueuses de glace ancestrale en Antarctique, mais il y a aussi des plaques flottantes grandes comme des terrains de foot qui font de la navigation un cauchemar. Le moteur extérieur de notre Zodiac gonflable nous a lâchés plusieurs fois à cause du nombre sans précédent de morceaux de banquise qui se sont détachés lors du dernier été antarctique – c'était un peu comme un vieux blender forcé à mixer trop de margaritas.

Les bases

Big Up aux mecs de la station de recherche polonaise Arctowski, sur l'île du Roi-George. Tandis que les habitants excentriques de McMurdo ont droit à des distributeurs de glace et des légumes hydroponiques, ces mecs-là font de la gonflette façon Dolph Lundgren dans une salle de gym datant de la guerre froide, fournie avec les instructions :

Le plus surprenant c'est que la vie dans cette base est remarquablement similaire à la vie ailleurs. Bien entendu, il y a du désespoir et de l'isolement, mais pas beaucoup plus que dans n'importe quelle boîte de nuit. Les habitants de la base font pareil que tout le monde quand ils ont du temps à tuer : des concours d’absorption de vodka dignes des meilleurs BDE d’écoles de commerce, des disputes sur la playlist qui tournent inévitablement à la partie de bras de fer.

Publicité

Certes, on entend des histoires de gens rendus fous par ce continent glacé. Elles sont racontées et re-racontées jusqu'à atteindre un statut de légende. En voici une : d'après le folklore de l'Antarctique, un médecin cherchait à rentrer chez lui après une longue période passée dans une base argentine. Mais quand l'équipe de remplacement est arrivée, on lui a dit qu'il n'y avait pas de médecin pour le remplacer, ce qui voulait dire qu'il ne rentrerait pas chez lui pendant encore un an. Donc il a fait ce que toute personne sensée aurait fait : cramer la base.

Si cette légende vous semble sinistre, je vous invite à penser aux hommes qui travaillaient sur la base anglaise connue sous le nom de Port Lockroy, ou « base A ». Les temps étaient durs là-bas dans les années 1950. Voici un exemple de porno de l'Antarctique de l'époque :

Je crois que c'est censé être Jayne Mansfield. Et voici ce qui reste d'Elizabeth Taylor :

(Pour être honnête, c'est toujours un meilleur portrait d'elle que celui qu'a fait Lindsay Lohan dans le téléfilm Liz and Dick)

La récompense

L'Antarctique est reconnu pour être l'endroit des extrêmes : températures extrêmes, isolement extrême, gens extrêmes. Mais c'est aussi l'endroit des émotions extrêmes. Quand le moral est bas, il est souterrain – parfois, on a l'impression d'être arrivé aux portes aquatiques de l'enfer. Mais quand le moral est au plus haut, on atteint la stratosphère. Il n'y a pas de meilleur continent pour un gin and tonic et un barbecue à l'arrière du bateau.

Publicité

Plus de voyage :

LE RALLYE D'ASIE CENTRALE A ÉTÉ LE PIRE VOYAGE DE MA VIE – Traverser le Caucase en Nissan Vanette à la rencontre des peuples rieurs de Tchétchénie, du Daghestan et du Kazakhstan

CRÉTINS SANS FRONTIÈRES – Le Mexique dit aux immigrants : « On ne passe pas, José »

LES JOLIES LOULOUTES INSOUPÇONNÉES DE TRANSNITRIE – Un voyage dans un faux pays peuplé de vraies rates