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J’ai tenté de comprendre ce qui poussait les gens à diffuser des images sordides de l'attentat

À la suite de la tragédie d'hier soir, nombre de vidéos et de photos révoltantes ont fleuri sur les réseaux sociaux.
Paul Douard
Paris, FR

Jeudi soir, à Nice, un camion a foncé dans une foule venue profiter du traditionnel feu d'artifice du 14 juillet sur la promenade des Anglais. À l'heure où j'écris ces lignes, le bilan de cette tragédie s'élève à 84 morts et des dizaines de blessés – dont de nombreux enfants. En me rendant sur Twitter le soir du drame, j'ai eu la stupeur d'y voir une avalanche de photos sordides et de vidéos sanglantes. Avant même de lire les informations nécessaires pour comprendre l'horreur qui venait de se produire, j'étais déjà abreuvé d'images de cadavres et de corps déchiquetés.

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Qu'il s'agisse d'une médiatisation poussée à l'extrême ou d'une curiosité malsaine, nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à partager des vidéos difficilement soutenables pour la plupart d'entre nous. Avant de les taxer d'enfoirés désireux de profiter d'une tragédie pour gonfler leur nombre de followers, j'ai préféré leur demander ce qu'ils en pensaient – et surtout, pourquoi ils le faisaient.

Si vous constatez un contenu choquant, ne le diffusez pas, signalez-le sur — Ministère Intérieur (@Place_Beauvau)14 juillet 2016

ALEXANDRE CHOQUART – 16 ANS

VICE : Salut Alexandre. Tu as partagé une vidéo où l'on voit le camion foncer dans la foule. Pourquoi, au juste ?
Alexandre : D'abord, je partage ce type de vidéos pour montrer à quel point le monde part complètement en vrille. Ensuite, c'est aussi une manière de montrer aux Français qu'on n'est jamais loin des attentats, qu'il peut toujours se passer quelque chose.

Pour toi, c'est nécessaire que les gens voient ce type de vidéos ?
À la base, je ne suis pas forcément pour la diffusion de telles vidéos. Je suis partagé : je trouve ça honteux, mais d'un autre côté je pense qu'il faut montrer aux citoyens que nous ne sommes à l'abri nulle part. Il faut montrer aux gens le mal qu'il y a en France. C'est complètement dingue, mais il faut le faire pour mettre en lumière la violence des dégâts qui peuvent être commis si facilement par un seul homme.

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Aurais-tu publié une telle vidéo si tu avais été sur les lieux de l'attentat hier soir ?
Non, je ne pense pas. J'aurais été énormément choqué.

ÉMILIEN – 30 ANS

VICE : Bonjour Émilien, tu as relayé une vidéo de l'attentat un peu racoleuse. Qu'est-ce qui t'intéresse dans ce genre de vidéo ?
Émilien : Ce qui m'intéresse, c'est de voir le déroulement d'une attaque. En l'occurrence ici, le début de l'attaque, si je ne me trompe pas – comment tout a commencé vu la faible vitesse du camion au départ. Je pense que ça peut aider de savoir comment réagir le jour où on sera personnellement confronté à ça.

Pour toi, ces vidéos sont donc un genre de « tuto » qui permettrait aux gens de se préparer à une attaque ?
Oui, c'est ça. Après, je m'oppose fermement à la diffusion de vidéos trash qui révèleraient des cadavres ou des gens blessés qu'on pourrait identifier. Quant aux vidéos avec des corps et des blessés non-identifiables, ça ne me choque pas, mais je ne tiens pas spécialement à diffuser ces images. Pourquoi ces vidéos ne te choquent plus, finalement ?
Les cadavres nous rappellent le tragique de l'existence. La mort fait partie de la vie, et la mort nous pousse aussi à nous interroger sur le sens de l'existence. La culture du divertissement est de plus en plus présente. C'est bien deux minutes, mais il ne faut pas non plus que ça occulte l'essentiel.

UTILISATEUR TWITTER @LOINDEVANT – 50 ans

VICE : Bonjour. Que pensez-vous des vidéos que vous avez partagées sur Twitter ?
@loindevant : Ce sont des vidéos qui offrent la possibilité aux spécialistes d'enquêter sur un crime de masse ou ce qu'on appelle « une opération psychologique ». De leur côté, les non-spécialistes sont avertis du caractère choquant du contenu par le sigle « -18 ».

Si les opérations psychologiques n'existaient pas, je ne posterais pas ce type de vidéos. Malheureusement, elles existent – prenez l'exemple d'Orlando, de Boston, etc. En fait, je partage des éléments qui permettent aux enquêteurs indépendants de travailler. C'est le sens le plus démocratique d'internet.

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C'est une simple question de liberté ?
Je souhaite qu'Internet permette à tout le monde d'échanger librement des informations – même sensibles. C'est devenu nécessaire parce qu'aujourd'hui, ce monde est loin de faire « sens ».

Je pense qu'un média, en tant que personne morale, ne doit pas diffuser un tel contenu. En revanche, un particulier peut le faire en avertissant du caractère choquant et en décrivant clairement les vidéos et images qu'il publie.

Après, il est évident que certains internautes utilisent cette vidéo afin de répandre une propagande islamophobe du type : « Regardez ce que font les musulmans. » Le plus grave est qu'ils nuisent à la fonction initiale d'Internet – qui subira tôt ou tard une censure généralisée sous ce seul prétexte. Quand ce jour viendra, on oubliera la possibilité de « travailler » soi-même la vérité. Si les internautes ne réalisent pas ce travail, ils seront à la merci de professionnels corrompus.

FUSH* – 49 ANS

VICE : Salut Fush. Vous avez publié une vidéo où l'on voit des corps sur la promenade des Anglais de Nice. Pourquoi ?
Fush : Bon, j'ai partagé cette vidéo, mais elle est visible partout sur Facebook. Après, j'admets qu'elle est très violente, mais elle permet aux gens de comprendre à qui l'on a affaire. Ça met en lumière leur barbarie.

Vous pensez donc que les gens devraient voir ces images ?
Chacun est libre de visionner les vidéos de Daesh – qui sont encore bien plus épouvantables. Qui est le monstre : celui qui filme ces atrocités, ou celui qui les commet ?

Pour vous, celui qui filme des atrocités ne fait que nourrir un besoin malsain inhérent à la société ?
Il ne s'agit pas d'un besoin, mais d'une information en temps réel non déformée par les médias – qui sont sous la pression des hautes instances. Selon moi, ces images brutes ne sont pas de l'information, car elle ne font appel qu'à l'émotion. Qu'en pensez-vous ?
Peut-être mais, au moins, elles ne sont pas formatées par l'opinion d'un journaliste qui travaille sous l'emprise d'un groupe de presse dirigé par un patron du CAC 40. Cette vidéo est choquante, certes, mais l'attentat ne se résume pas à des bougies, à pleurer les victimes et à nier la réalité.

*Le nom a été modifié.

Photo : Pierre Longeray / VICE News