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LE NUMÉRO PHOTOS 2010 : NATURES MORTES

Le numéro photo 2010 : Natures mortes

Dès que j’ai l’occasion de faire des fautes en anglais, je suis ravie. Le pluriel « still lifes » devrait être incorrect, et pourtant, ce n’est pas le cas. Et finalement, parler de « still lives », ...

Photo de couverture : Jesper Damsgaard Lund et Lasse Bech Martinussen

ès que j’ai l’occasion de faire des fautes en anglais, je suis ravie. Le pluriel « still lifes » devrait être incorrect, et pourtant, ce n’est pas le cas. Et finalement, parler de « still lives », ça ferait très talk-show sur « les femmes et la résilience ». Et plutôt que vous faire une relecture de Susan Sontag ou de Roland Barthes, qui ont écrit des ouvrages essentiels sur la photographie, je vais me contenter de mentionner que j’ai bien lu ces livres, qu’ils sont là, quelque part, dans ma bibliothèque. À vrai dire, j’ai lu une tonne de bouquins sur la photographie, et je sais deux ou trois trucs là-­dessus. Par exemple, que la photo a commencé avec des clichés de corps nus ou de corps morts. N’est-ce pas ­intéressant ? Je suis assez déçue, d’une manière plus générale, que personne n’ait songé à présenter à

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Vice

une photographie de vomi sur un trottoir, ça aurait fait une très belle nature morte, selon moi. Il m’a d’ailleurs été difficile de ne pas proposer mes propres photos. Des boules à thé avec de tout petits ours accrochés aux chaînes qui pendent dans des tasses trop décorées. D’ailleurs, pas plusieurs tasses de ce genre, juste une. Il faut le dire, tout le monde est dingue de ses propres trucs. Je suis assise ici, dans le cabinet de curiosités d’Eileen, et tout ce que je vois me comble de bonheur. Les draps rouges, le grand tableau, la drôle de petite carte postale qui montre Shirley Temple en train de fumer.

Un intérieur est un petit musée pourri, et quand je me penche sur toutes ces natures mortes (les photographies de ce magazine), ça me rappelle tous ces cadavres que les ­photographes nous ont offerts – je suppose que je crois que chaque photographie est une sorte de macchabée, mais aussi une sorte de cercueil. Censément, les premières natures mortes étaient des peintures ou des mosaïques sur des mausolées, et ces petites images étaient censées transporter comme par magie l’objet dans l’au-delà, pour accompagner le défunt. Je ne sais pas s’ils étaient envoyés d’abord ou au contraire, vous savez, après que vous étiez arrivés là-bas, mais d’une manière ou d’une autre c’est plutôt chouette. Imaginez que vous êtes assis au sommet d’une colline, et voilà qu’arrive une bouteille de vin, un flingue, ou un luth. Il vaut mieux que vous fixiez au préalable vos conditions, sinon les gens vont probablement avoir leurs propres hypothèses sur vos désirs et peut-être que les choses que vous avez feint d’aimer toute votre vie seront vos joujoux pour l’éternité.

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Je suppose que la morale de tout ça, c’est qu’il faut toujours se montrer honnête quant à ce qu’on aime. Les hommes politiques, bien sûr, méritent de devoir s’occuper pour l’éternité avec les merdes qu’ils ont prétendu apprécier. Ce que j’entends par là, c’est que si vous bossez dans le mensonge, genre homme politique ou toute autre profession menteuse – la banque, euh… les cadres du pé­trole… – vous préférerez peut-être ne pas mourir du tout. Mais ce n’est pas une option disponible. Les gens aiment placer des crânes dans les natures mortes parce qu’un crâne est censé vous aider à rester honnête. Ce qu’un animal empaillé est supposé signifier. Un poisson mort. Tout était symbolique dans les premières natures mortes, et toutes ces choses pourvues d’un sens dansaient derrière Dieu parce que tous les tableaux étaient religieux. Donc d’abord, les images étaient un moyen de transporter des choses, et ensuite c’est devenu un avertissement. Encore et encore, il semblerait que le christianisme ait été une grosse erreur. Ça l’est encore.

Est-ce qu’un homme sur une croix peut prétendre à la nature morte ? Quel serait le message, ici ? Les gens ont l’air de le savoir. C’est le moment que choisit mon air conditionné pour se remettre en marche. Est-ce que le vôtre a une vie propre, comme le mien ? On dirait qu’il fait assez frais ici, donc ça s’arrête. Mais il fait chaud. Les choses sont bonnes pour les choses. À part moi, tout le monde s’en fout dans cet appartement. Supposément, la nature morte a fait son entrée quand la classe moyenne a remplacé la religion et l’État. Vous savez quand ça s’est passé ? Le monde s’est mis à être gouverné par des gens qui voulaient des tas de merdes. Et qui étaient prêts à aller n’importe où pour s’en procurer. Les Hollandais qui ont inventé notre cher New York, et c’est pourquoi les choses

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sont

ce qu’elles sont – pleines de gens qui ­veulent des trucs –, et l’époque a eu ses stars, qui ­collectionnaient les merdes des quatre coins du monde et les empilaient sur des étagères, dans des bateaux, pour les emmener ailleurs. Et en faire des peintures.

Et cette époque ne s’est jamais terminée. Ils se sont mis à peindre des marchés, et ce qui est drôle c’est que si vous étiez un peintre et que vous ne vous faisiez pas payer pour peindre quelqu’un de riche, vous auriez probablement peint des trucs et vous auriez vendu ces toiles sur le marché, et donc l’endroit où tout ça arrivait se retrouvait naturellement peint à son tour – ça me donne le tournis. C’est comme un des premiers films amateur, tellement moins stupide que les gens que j’ai vus avec des caméras numériques à Yellowstone, qui attendaient qu’un geyser explose et ensuite restaient là, patiemment, à le filmer. Qu’est-ce que ça veut dire, quand quelqu’un prend en photo une pile de merdes qu’il chérit, ou un truc remarquable dans le monde ? Vous voyez, je crois que la combine du capitalisme et tout ce que ça implique, comme le chien qui court en rond après sa queue, est qu’au bout du compte ce que vous aimez et possédez devient une forme de culte. J’adore cette grande statue de David Armstrong qui tient un petit gars tout nu (page 79). C’est une sorte de Dieu. C’est l’Église de David. Que le bonhomme de neige soit condamné, qu’une pile de chewing-gums mâchés ressemble à un cerveau, qu’un trou béant dans un vieux tronc d’arbre soit de travers et évoque l’arbre qui parle d’un conte de fées ou une chatte, que le pire des faux dioramas, avec des petits arbres et des consignes pitoyables ou des directions – que cette pile de choses ait été à un moment donné l’ambition de quelqu’un, qu’elle ait été déménagée ou laissée à l’abandon à la bonne ou à la mauvaise place, et que quelqu’un d’autre l’ait vue… C’est intéressant que l’image d’une personne, souvent une femme, soit généralement une chose – déformée, tournée sur le côté.

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Et les présidents deviennent vite des petites ­figurines en carton ou des masques. Les présidents, comme les femmes, peuvent être des choses. D’ailleurs, je pensais aujourd’hui – ça n’a absolument rien à voir mais je vais quand même vous le faire partager –, si Internet faisait initialement partie d’un système militaire pour défendre ce pays et que l’idée était qu’il ne pouvait y avoir de sommet à ce système (comme le Pentagone ou la Maison Blanche) parce qu’alors ça deviendrait une cible, donc ce système, le Web, a été conçu de façon à ce que l’information circule dans toutes les directions, afin que « nos dirigeants » ne puissent être précisément localisés… donc la présidence évolue en une sorte de monarchie inversée où nous élisons quelqu’un pour « siéger » dans une position de pouvoir qui n’est pas avérée parce que bien sûr, par exemple, ce sont les corporations qui dirigent le monde, pas le gouvernement, donc on n’a aucun moyen de savoir ce que fait BP, et très certainement le président non plus, donc des types comme George Bush ou comme Ronald Reagan étaient parfaits, alors qu’un type comme Barack Obama est défectueux, antique, parce qu’il pense qu’il est quelqu’un et on veut qu’il le soit, mais au lieu de ça il se trouve à un endroit où il est juste une pile de choses, comme un duplicata de lui-même.

La présidence, c’est pas un boulot difficile. C’est même pas un boulot. La position de l’artiste se portera mieux quand la possibilité de dire quelque chose, n’importe quoi de vrai, de faire du bien au monde à grande échelle, sera au final écartée pour de bon, et que les petits efforts locaux des religionnistes privés, les artistes, seront reconnus comme les seules choses qui restent, pour ériger continuellement quelque chose de nouveau et le placer dans la position du mort, comme un minuscule autel ou une chapelle, donc il se peut que chacune de ces natures mortes soit vivante de la meilleure manière possible. Chacune d’elle vit, bien que rien ne bouge. Je pense que l’artiste, ici le photographe, s’achemine vers ça en le disposant. Et ce n’est pas que je sois folle du vomi. C’est juste que ce que ça veut dire est tellement vrai. Pour tant de gens qui viennent ici, qui vont n’importe où et qui courent follement autour, ça tend à être leur message au monde. C’est une forme de ­discours. C’est

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leur

manière sophistiquée de faire quelque chose, de laisser quelque chose ici, pour tout le monde, même si c’est juste une pile de nourriture et d’alcool prédigérés. C’est ce qu’ils ont. Au moins.

PAR EILEEN MYLES

STACEY MARK

CHARLIE ENGMAN

PETER SUTHERLAND

MAGGIE LEE

JASON NOCITO

Stoner Pile,

JH ENGSTRÖM

Les placentas de ses jumeaux nouveau-nés – photo tirée de la série« Wells », 2010. Avec l’aimable autorisation de la galerie VU’, Paris, et de Gun Gallery, Stockholm.

CARL KLEINER

SHAWN RECORDS

MARTIN FENGEL

JIM MANGAN

GAVIN WATSON

« J’ai fait ce cliché avec mon Zenit TTL quand j’avais 14 ans environ. Mon frère Nev était à fond sur Dracula, alors mon père lui avait fabriqué ce cercueil en bois. J’ai toute une série de clichés comme ça, avec Dracula qui attaque l’incroyable Hulk, Dracula qui pend d’un abat-jour, Dracula qui attaque une poupée à la jupe en tricot, initialement conçue pour orner les rouleaux de papier toilette. »

SPIKE JONZE

Photo prise sur le tournage de

Jackass 3-D

, juin 2010

STEPHEN SHORE

Abu Dhabi,

2009. Avec l’aimable autorisation de 303 Gallery, New York, et de Sprüeth Magers, Londres et Berlin.

LES KRIMS

« Black Bear Road Kill », Module Nature Morte, WNYRHS, Salon d’hiver du jouet et du petit train, Hamburg Fairgrounds, New York, 21 février 2010.

JUSTINE KURLAND

Nature morte, Jungle à la bouteille de bière, Austin,

2008. Avec l’aimable autorisation de Mitchell-Innes & Nash, New York.

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JACK PIERSON

(Idols),

2010, tirage au charbon direct couleur, 210 x 158 cm. Avec l’aimable autorisation de Regen Projects, Los Angeles © Jack Pierson.

DALE YUDELMAN

NOBUYOSHI ARAKI

JEANINE OLESON

KISHIN SHINOYAMA

COLBY BIRD

MARTIN PARR

JAIMIE WARREN

JAMIE LEE CURTIS TAETE