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Deux heures avec les indignés catholiques

Il est 18h10, samedi 29 octobre, et la manifestation est déjà en marche.

Il est 18h10, samedi 29 octobre, et la manifestation est déjà en marche. Les retardataires chopent leurs banderoles aux pieds de la statue dorée de Jeanne d’Arc place des pyramides et s’en vont grossir les rangs du cortège qui se dirige vers l’Opéra. À notre grande surprise, les catholiques venus manifester contre toute une série de pièces de théâtre sacrilèges ne sont ni 8, ni même 100 : la rue des pyramides est noire de monde. Ou plutôt bleu blanc rouge, aux couleurs des drapeaux brandis par les 1500 manifestants.

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La population qui constitue le cortège rassemble toutes les générations. On retrouve de nombreuses personnes âgées venues pour la plupart en couple ou en groupe. Mais aussi des jeunes à mèches, chevalière au doigt et lunettes Aviator qui ne dépareilleraient pas dans un rassemblement Jeune Pop.

Damien, 24 ans, est organiste (son métier est d’organiser des professions de foi et autres cérémonies religieuses et non pas de jouer de l'orgue). Le jeune homme, plutôt sympathique, annonce la couleur direct : « Je suis venu de Boulogne-sur-Mer avec 50 amis dénoncer le fait qu’on insulte l’image du Christ. » Plus précisément, lui, ses amis et les 1 449 autres manifestants sont hyper remontés contre la pièce de Roméo Castelluci, « Sur le concept du visage du fils de Dieu », qui s’est jouée au Théâtre de la Ville et qui sera au 104 du 2 au 6 novembre.

À l’origine du malaise, un quiproquo à propos d’une scène de la pièce : des enfants viendraient sur scène balancer de la merde sur un gigantesque portrait de Jésus [il s’agit en fait de grenade factice, ndlr]. Par contre, c’est vrai qu’à la fin de la pièce, le portrait fini lacéré. « Ça vous plairait, vous, qu’on balance de la merde sur une photo de votre mère sous prétexte que c’est de l’art ? », nous demande Damien, pensant nous rallier à sa cause.

Les « Christianophobie, ça suffit ! », « scatophiles à l’asile ! » et autres slogans fédérateurs qui retentissaient jusqu’alors se taisent pour laisser place aux prières : on entend « Je vous salue Marie » version a cappella, en plein Paris. À ce stade on a perdu Damien, et c’est là qu’on tombe sur les musulmans intégristes.

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Les membres du Centre Zahra France sont une petite vingtaine et ont amené leurs propres caméras de télé. Jamel Tahiri, président de l'association, marche d’un pas déterminé, sans prêter attention aux « La France est chrétienne et doit le rester », scandés par la foule. « Nous sommes venus exprimer notre solidarité envers les chrétiens », nous explique M. Tahiri. « Nous sommes ici pour demander une vraie liberté d’expression qui ne diffame plus et qui ne porte pas atteinte à la dignité de lʼhomme. » En partant, ils nous glissent quand même qu’ils sont « antisionistes et antivermines. » C'est là qu'on comprend que ces mecs, derrière leur volonté de montrer un visage de respect et d’ouverture œcuménique, sont surtout là pour faire un peu de com.

Il n’est pas loin de 19h quand on arrive au niveau de l’Opéra de Paris. La foule est comme électrisée par ses « Christus Vincit », et les langues se délient. On discute avec une brochette de fillettes de 12 et 13 ans qui n’ont pas la langue dans leur poche question religion. De vieilles Polonaises nous expliquent que « c’est encore un coup des Francs-maçons. »

Les mamies polonaises en question, membres de l'ordre des chevaliers de Jésus-Christ.

On papote avec les mecs d’Action Française, le groupuscule monarchiste, qui marchent derrières les drapeaux de la chrétienté et du royaume de France « pour protéger la culture chrétienne française. » On rencontre aussi Hugues, 23 ans, cuisinier. Il nous explique ce que représente le drapeau bleu blanc rouge, frappé d’un cœur entouré d’une couronne d’épines et surmonté d’une petite croix, et que l’on voit beaucoup : « C’est le drapeau du Sacré-Cœur. Il signifie que le Christ-Roi doit régner en France. Notre pays a des racines chrétiennes, et ceux qui connaissent l’Histoire savent que la France est la fille-aînée de l’Eglise depuis Sainte Jeanne d’Arc », nous explique-t-il.

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Le drapeau du Sacré-Coeur, dans sa version épurée.

Au fur et à mesure de nos rencontres, une expression revient obstinément : « La fraternité Sacerdotale Saint-Pie X ». Apparemment, cette société de prêtres catholiques à laquelle l’église Saint Nicolas du Chardonnet - dans le Vème arrondissement - est rattachée est responsable de la présence des familles catholiques traditionnelles à la manifestation.

Notre échange avec un curé de cette fraternité nous en apprend un peu plus sur ce fameux Christ-Roi. Pour ses disciples, opposés à la loi de 1905 sur la laïcité, les institutions françaises seraient bien meilleures si elles suivaient les lois chrétiennes. En gros, notre père nous explique que la crise morale dont souffre la France pourrait être réglée grâce à l’Eglise qui se chargerait de l’éducation. Évidemment, l’avortement serait interdit. Il enchaîne ensuite avec le discours habituel : les attaques trop nombreuses et jamais réprimées contre la religion catholique. « Lors de l’affaire des caricatures de Mahomet, la mairie de Paris avait fait un communiqué pour appeler au respect de la religion. Là, rien. Jeudi 27 octobre, les policiers ont fait une rafle de 140 jeunes car ils priaient avec un chapelet devant le théâtre. S’il s’était passé la même chose avec des musulmans, l’intelligentsia serait montée au créneau pour condamner les policiers. On assiste à une persécution sourde, silencieuse des catholiques. »

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Car c'est de ça qu'il s'agit : les fidèles de la plus grande religion du monde en ont assez de tendre l’autre joue, de pardonner quand ils sont offensés. « Dieu est amour, Dieu est amour… d’accord, mais bon, on en a marre de se faire insulter », confirme Maximilien, 20 ans, membre de l’institut Civitas à l’origine de l’appel à manifester. Il fallait que ça sorte. Et apparemment, même les filles sexy sont ok avec ça. Isabelle Collin, une beauté brune de 19 ans à la chevelure envoûtante, approuve et en rajoute : « Je suis là pour défendre notre Foi, trop souvent piétinée. » Elle a l’impression qu’avec la religion catholique, on peut tout se permettre : « C’est injuste. » Elle aussi est membre de la Fraternité Saint-Pie X, plus authentique selon elle. « Mon curé, dans la ville d’où je viens, se balade l’été en short et en tongs : cʼest inacceptable ! »

Il fait maintenant complètement nuit et la pluie tombe fort, mais le cortège ne désenfle pas. Au premier rang, un homme porte une imposante croix en bois en posée sur son ventre. Lʼambiance est à la ferveur et à l’exaltation. Les slogans et les prières sont amplifiés par un sound system monté sur une camionnette Kiloutou. Les riverains passent la tête par leurs fenêtres, attirés par le brouhaha. Ils sont applaudis et invités à rejoindre les manifestants qui leur tendent les chapelets quʼils portent enroulés au creux de leur main.

 À 20 heures, le parcours est fini. Les manifestants sont arrivés place André Malraux mais ils crient et chantent encore. Des cierges et des flambeaux sʼallument et le secrétaire général de l’institut Civitas, Alain Escada, commence son discours perché sur la camionnette. Les artistes concernés – Roméo Castelluci, Rodrigo Garcia et Andres Serrano - mais aussi Frédéric Mitterrand, Bertrand Delanoë, le journal Le Monde et le gouvernement Sarkozy sont mis en garde et hués pour « complicité ». Le tribun excite les foules qui l’acclament : « Après le printemps arabe, je vous promets un automne catholique », hurle-t-il, avant de fustiger les « bobos snobinards laïcards ». Une fois le discours fini, le prêtre supérieur de la Fraternité Saint-Pie X entame une demi-heure de « Je vous salue Marie » ; la foule reprend en chœur, à genou dans les flaques d’eau.

TEXTE : ARANUD AUBRY ET ELVIRE CAMUS

PHOTOS : ELVIRE CAMUS