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Interviews

Une interview exclusive de Michael Moore sur « American Sniper », Sarah Palin et le trouble de stress post-traumatique

Après avoir causé une récente polémique aux États-Unis, le réalisateur a accepté de sortir de son silence.

Michael Moore, lors des Oscars 2013 ; Photo de Tommaso Boddi via Getty

Le 18 janvier, deux jours après la sortie de American Sniper, le dernier film de Clint Eastwood, Michael Moore a tweeté : « Mon oncle a été tué par un sniper durant la Seconde guerre mondiale. On nous a appris que les snipers étaient des lâches qui vous tirent dans le dos. Les snipers ne sont pas des héros. Et les envahisseurs sont encore pires », suivi de : « Mais si vous êtes sur le toit de votre maison pour la défendre contre des envahisseurs qui ont fait 10 000 bornes, vous n'êtes pas un sniper, vous êtes un brave, un voisin ». La riposte de la droite ne s'est pas faite attendre. Breitbart.com a qualifié ces tweets de « trolling pathétique », John McCain les a jugés comme « idiots » et « outrageants » tandis que Kid Rock a publié sur son site internet : « Va te faire foutre Michael Moore, tu n'es qu'une sale merde et ton oncle aurait honte de toi ». La réaction la plus spectaculaire est venue de Sarah Palin, qui a posé en compagnie du sergent Dakota Meyer avec une affiche sur laquelle on pouvait lire « Fuc_ You Michael Moore », les deux « o » de son nom de famille ayant été remplacés par une mire de fusil.

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Même si elle s'est attirée les critiques des deux camps politiques, Sarah Palin persiste. Dans son étrange discours au sommet de la Liberté de l'Iowa le 24 janvier dernier, elle a affirmé que « cette affiche disait ce que le reste d'entre nous pensait ».

De son côté, Moore n'a fait aucune apparition télévisuelle et n'a pas réagi à cette polémique, hormis par quelques tweets et posts Facebook. Il a tout de même accepté de s'entretenir avec Eddy Moretti de VICE. Ils ont notamment discuté de American Sniper, de snipers en général, de Sarah Palin, du trouble de stress post-traumatique et de la tempête médiatique qui a suivi ses récentes déclarations.

VICE : Bonjour Michael. Commençons avec vos tweets. Avant de vous donner l'opportunité de vous clarifier sur ceux-ci, je souhaiterais savoir ce qui a inspiré leur écriture et comment vous vous sentiez au moment de leur rédaction.
Michael Moore : Je ne ressens pas vraiment le besoin de clarifier ce que j'ai écrit. Je suis fier de ce que j'ai tweeté. Je ne retire rien et, en fait, depuis leur écriture, j'en ai plutôt rajouté. Je ne suis pas intimidé par ces gens qui brutalisent une nation entière en la plongeant dans une guerre absurde et illégale. Alors vraiment, cela ne m'affecte pas du tout. J'ai dit ce que j'ai dit. Evidemment, si j'avais tort ou fait une erreur, je me serais probablement corrigé, mais ce n'est pas le cas ici. Quand j'entends des gens dire : « Michael Moore fait machine arrière », ça me fait grincer des dents parce que ce n'est pas ce qui s'est passé. Je n'ai pas à présenter d'excuses pour mes convictions qui vont à l'encontre de l'attitude va-t-en-guerre de ce pays. Le problème, avec Twitter – et c'est pourquoi vous avez besoin d'utiliser le mot « clarifier » – est qu'en 140 caractères, on ne peut pas exprimer des idées trop profondes. Donc Facebook et cette interview me donnent une bonne opportunité de développer ce que j'ai dit.

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Sur Twitter, vous avez évoqué le problème des snipers – un sujet qui mérite que l'on s'y attarde – puis le film American Sniper. Il me semble que vous parliez de deux choses différentes. Ai-je raison ?
Oui, c'est juste. Je n'ai volontairement rien dit dans mes premiers tweets au sujet de American Sniper. J'ai écrit ce que j'ai écrit parce qu'on commémorait ce week-end-là l'assassinat de Martin Luther King, et j'ai trouvé déplacé qu'un film intitulé American Sniper sorte au moment où nous honorions la mémoire d'un grand homme, justement tué par un sniper. Et si vous n'avez pas de problème avec ça, demandez-vous comment vous vous sentiriez si American Sniper 2 était présenté un 22 novembre [date de l'assassinat de Kennedy par un sniper].

Trailer de American Sniper

Mises à part vos considérations sur les snipers, est-il juste de dire que vous n'avez aucun soucis avec le film en lui-même ?
Si vous suivez mon Twitter, vous verrez qu'en général je ne commente pas le cinéma. Il y a une sorte d'accord tacite entre producteurs et réalisateurs qui implique de ne pas critiquer nos films. Si on n'aime pas le film d'un autre producteur, on dit rien. Si on aime un film, dans ce cas, on en parle haut et fort et on encourage les gens à aller le voir. C'est pourquoi il est si rare de voir un réalisateur en attaquer un autre sur un de ses films – nous savons à quel point il est dur de faire un bon film. La seule fois où je me suis permis cela, c'était car je me sentais mal que tant de gens payent pour aller voir un film qui ne tenait pas ses promesses. Les gens travaillent dur toute la semaine et, désormais, voir un film et acheter quelques friandises à ses enfants représentent beaucoup d'argent. Dans mes deux premiers tweets, je n'ai donc rien dit du tout sur le film en lui-même. Ensuite, quand j'ai dépassé les 140 caractères, je suis allé sur Facebook et j'ai écrit : « Je ne vais rien vous dire à propos d'American Sniper, mais je dirai ça : Bradley Cooper, une des plus grandes performances de l'année. Chapeau bas. La manière dont il se transforme… Vous ne croiriez même pas que c'est Bradley Cooper. »

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Je suis certain que vous avez vu la pancarte que Sarah Palin a brandi – celle avec les deux « o » de Michael Moore barrés par une croix, représentant une mire.
Celle qui a signé la fin de sa carrière politique ?

Ouais.
J'ai fait ces deux tweets et le lendemain j'ai compris que j'aurais mieux fait de faire un post Facebook car je vis dans un pays où beaucoup de personnes n'ont pas un bon niveau de compréhension. Alors, j'ai fait mon post Facebook et j'ai ensuite décidé que je ne m'exprimerais plus pendant une semaine. Donc je n'ai plus rien tweeté à ce sujet. J'ai laissé ces tarés brasser du vent et hurler toute la semaine. Ils ne m'ont pas vu répondre, ce qui a eu pour effet d'accentuer leurs cris et de révéler leur absence de raisonnement. C'est tout ce que j'attendais. Pensez à cela – l'essentiel de leur base est faite de chrétiens convaincus. Des bons cathos. Ils ont été abasourdis de la voir brandissant une inscription disant « Fuck you ».

Here's a tribute to you — Dakota Meyer (@Dakota_Meyer)January 23, 2015

C'est quelqu'un qui se décrit elle-même comme la parfaite mère américaine.
Ouais, les valeurs de la famille et tout le tralala. Je crois qu'elle a tellement pété un plomb qu'elle a baissé sa garde et révélé qui elle était vraiment – la droite chrétienne a aussi vu cela et ses partisans étaient tous plus ou moins horrifiés. Elle s'est immédiatement faite lyncher sur les réseaux sociaux puis une nouvelle fois le dimanche avant qu'elle ne fasse son discours. Ma théorie est qu'elle a vu à ce moment là ses propres partisans se retourner contre elle et que ça l'a ébranlée. Et ensuite, le prompteur s'est arrêté, non ? Elle n'était pas capable de se rattraper alors qu'elle était en plein milieu de son discours. Je devrais revoir cette séquence, je ne m'en souviens pas bien. Je l'ai vue sur le câble. Au début, elle parlait de moi, elle se remettait tout juste de sa photo, elle avait reçu beaucoup de commentaires négatifs de ses partisans et a donc recommencé à parler de moi. Puis, le prompteur a foiré donc c'est devenu n'importe quoi. J'ai pensé qu'un chic gars ou une chic fille avait…

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Débranché la prise ?
[Rires] Débranché la prise. Admettons que ce soit ça. Elle a été désarçonnée, et si vous suivez un peu les commentaires des infos de ces derniers jours à son sujet, ils disent tous qu'elle est foutue. Même Fox et Bill Kristol – qui était pourtant un fervent supporter – l'attaquent… Tous ces gens l'abandonnent du fait de ces deux trucs : cette pancarte avec le mot « Fuck » et son plantage en direct.

Au sujet des mires dans les « o », ne s'est-elle pas déjà attirée quelques ennuis – il me semble qu'il y a quelques années, son site internet représentait certaines régions des Etats-Unis avec des mires ?
Oui, et elle avait dû les retirer. Et avec le « Fuck you » elle a ajouté deux mires dans les « o » de mon nom. Ça fait aussi partie du retour de flamme, merci de l'avoir rappelé.

Je suis en train de regarder la photo où elle fait ce signe de la main trop beauf avec le petit doigt et le pouce levés… Je ne sais même pas comment ils appellent ça. Il y a pourtant un mot.
Oui, je vois ce à quoi vous faites allusion.

C'est un peu comme un signe de soirée. C'est plutôt marrant.
[Rires] C'est plus comme, « fumons ce fils de pute et ensuite c'est la FÊTE ! »

Une dernière chose : bien entendu, un film ne peut pas à lui seul couvrir différents sujets. Il y a certainement énormément d'histoires sur l'Irak dont American Sniper ne traite pas, mais cette dernière scène où Chris passe la porte alors que nous savons tous ce qui se passera ensuite, qu'en est-il de cette partie de histoire qui n'est pas racontée ? Devrions-nous en savoir plus sur ces types ? Quelqu'un raconte-t-il seulement l'histoire et les problèmes psychologiques de ces vétérans d'Irak rentrés au pays ?
Non, ceci n'est pas raconté. Personne n'y pense dans sa vie de tous les jours. Les gens ne veulent pas prendre conscience de l'importance de ce problème. Nous en payerons le prix un jour ou l'autre si nous ne nous en occupons pas. Nous payons d'ailleurs déjà le prix, c'est un problème majeur qui devrait être la première des priorités.

Où doivent aller les gens pour en savoir plus ? Vers qui les dirigeriez-vous ?
Vers les permanences téléphoniques qui ont été mises en place par des groupes d'anciens combattants. Il y a un court-métrage documentaire intitulé Crisis Hotline : Veterans Press 1 qui a été nominé aux Oscars cette année. C'est tellement puissant. Le film est basé sur une hotline d'anciens combattants à deux pas d'ici. Donc je pense que tout ce que vous pouvez faire à votre niveau c'est encourager les psychologues et les psychiatres à donner un maximum de leur temps. Ne comptez pas sur le bureau des anciens combattants pour le faire. Il y a aussi de très bonnes organisations comme les « Vétérans américains d'Irak et d'Afghanistan » qui tentent de défendre réellement les anciens combattants, et je pense que les gens devraient rejoindre ce groupe. Ils devraient le soutenir et je pense que nous devrions faire pression sur nos représentants pour qu'ils en fassent une priorité. Il y a un problème avec notre système de santé, dans le sens que nous ne mettons pas la santé mentale sur un pied d'égalité avec la santé physique. Nous devrions être aussi concernés par l'une que l'autre.

Combien de vétérans se suicident par jour ?
22 par jour.

C'est sidérant.
Le pourcentage de sans-abris chez les anciens combattants est également sidérant. Si l'on montrait ici aux lycéens comment le pays compte les remercier pour leur service… J'ai tenu un blog l'année dernière sur lequel j'invitais tout le monde à arrêter de dire aux soldats et aux vétérans « Merci du service que vous rendez au pays ». Ils ne veulent pas entendre ça, ils veulent simplement que vous fermiez votre gueule et fassiez quelque chose. Soutenez les hommes politiques qui ne les enverront pas à la guerre sans raison. Vous savez, c'est le meilleur moyen de les remercier.

Suivez Eddy Moretti sur Twitter.