Libéré après 46 ans dans le couloir de la mort

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Culture

Libéré après 46 ans dans le couloir de la mort

Iwao Hakamada a été condamné à mort pour un crime qu'il n'avait pas commis. À sa libération à l'âge de 78 ans, le réalisateur Kim Sungwoong a filmé sa réintégration dans la société.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

À quoi ressembleriez-vous après avoir passé un demi-siècle isolé dans une chambre minuscule en attendant la mort venir ? C'est la question que pose Kim Sungwoong dans « Freedom Moon », documentaire sur le Japonais Iwao Hakamada. Cet ancien boxeur professionnel avait été accusé de meurtre et condamné à la peine capitale en 1968. Il a passé 46 ans dans le couloir de la mort – le record mondial – avant d'être libéré en 2014.

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En 1966, il y eut un incendie chez l'un des patrons d'Iwao. Iwao raconte qu'après avoir aidé à éteindre le feu, il a retrouvé les corps de son patron, de sa femme et de leurs deux enfants. Ils avaient été poignardés à mort. Deux mois plus tard, Iwao a avoué le crime et a été arrêté. Il s'est ensuite rétracté lors du procès, affirmant avoir avoué sous la contrainte, après avoir été torturé par les policiers.

D'après ses avocats, Iwao a subi 264 heures d'interrogatoires en 23 jours. Les preuves de sa culpabilité étaient pourtant bien maigres : une petite quantité de gazole et de sang avait prétendument été retrouvée sur le pyjama qu'il portait cette nuit-là. Surtout, depuis, des « vêtements tachés de sang » appartenant au véritable meurtrier avaient été retrouvés.

Un nouveau procès a été maintes fois refusé, jusqu'à ce que Norimichi Kumamoto – l'un des juges qui avaient condamné Iwao – déclare être convaincu de son innocence. En 2014, on lui a donc accordé un nouveau procès. Le président du tribunal a fini par admettre que « la possibilité de son innocence était devenue plus évidente », et il a été libéré de prison.

Mais les dommages sont irréversibles : Iwao souffre aujourd'hui de sévères troubles psychiatriques. Ce sont les conséquences des méthodes de détention inhumaines du couloir de la mort japonais – les prisonniers sont confinés dans de minuscules cellules et ne connaissent pas la date de leur mort.

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Après sa libération, Iwao a été confié à sa soeur, Hideko Hakamada, 83 ans, qui n'a jamais douté de son innocence. C'est cette partie de la vie d'Iwao que le réalisateur Kim Sungwoong relate dans « Freedom Moon ».

Interview chez Iwao

« Hideko a vu "Sayama" [le précédent film de Sungwoong sur un autre Japonais emprisonné à tort] et a compris que je voulais me concentrer sur leur vie quotidienne, déclare le réalisateur. Après avoir fait connaissance avec moi, elle a accepté que je fasse ce film. »

Sungwoong a passé un an et demi avec eux. Hideko lui a offert l'hospitalité et Iwao a repris contact avec le monde extérieur.

La première chose qui frappe dans le film est la gravité de la condition d'Iwao. Il fait les cent pas dans le petit appartement d'Hideko, inconscient des gens qui l'entourent. Il semble ne plus savoir qui il est, se prenant parfois pour Dieu, parfois pour le dirigeant d'une entreprise, d'autre fois encore pour un empereur invaincu.

« L'affaire était tellement célèbre que, parfois, notamment lors de son anniversaire, les médias se pointaient, posaient des questions indiscrètes, et repartaient aussitôt », explique Sungwoong. Ces passages du film avec des foules de journalistes et de caméras tassées dans ce petit appartement sont les plus pénibles à regarder. Invariablement, on l'interrogeait sur « l'incident » – le meurtre dont il a été accusé à tort – et, à chaque fois, il niait catégoriquement qu'un tel événement se soit produit.

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Sungwoong a adopté une approche différente des autres médias japonais. « Pendant les six premiers mois de tournage, nous n'avons jamais orienté la caméra sur lui, et nous n'avons posé aucune question sur l'incident. Ça ne me semblait pas être la bonne chose à faire, déclare-t-il. Si je lui avais posé la question, il m'aurait donné la même réponse qu'aux autres et se serait replié dans son monde. »

Au fil du temps, on sent qu'une familiarité s'installe entre les deux hommes – cette familiarité est très bien représentée par leurs parties d'échecs interminables.

Kim Sungwoong, le réalisateur du film, avec Hideko et Iwao

Afin de rendre son film plus poignant, Sungwoong le conclut par des photographies de toutes les lettres qu'Iwao a écrites à Hideko avant de tomber malade. À l'époque, il ressentait clairement la douleur et l'injustice de sa situation, et parlait de son innocence, de son expérience de détenu et de la sensation de liberté qu'il ressentait en regardant la Lune depuis sa cellule.

Alors que les effets destructeurs de l'emprisonnement d'Iwao sont manifestes, l'optimisme d'Hideko est inébranlable. Elle parle de sa bataille avec patience et humour, toujours en souriant. Elle ne semble jamais aigrie par ce que le système judiciaire a fait endurer à sa famille, seulement heureuse que son frère soit libre. C'est ce que Sungwoong a voulu montrer.

« Le film parle de la force d'Hideko, du pouvoir de sa famille et de la résilience de l'esprit humain », déclare Sungwoong, expliquant que c'était la seule façon de faire résonner l'histoire d'Iwao dans la société japonaise. « Les Japonais ont une confiance absolue en la police, les tribunaux et le système judiciaire. Elle est persuadée qu'ils ne peuvent pas faire d'erreurs. Mais bien sûr qu'ils en font, et ce film essaie de le prouver. Les gens ici ne parlent pas vraiment des problèmes de droits humains, donc ça ne sert à rien de les bassiner avec ça. Il vaut mieux user de métaphores. Ce film est dur : on ne s'en rend pas compte au début, pourtant il hante l'esprit. »

Malgré sa thématique déchirante, le film est plutôt agréable à regarder – certains pourraient même se surprendre à rigoler.

On connaît bien les stéréotypes sur les Japonais – ils sont bizarres, polis et ont des toilettes qui lavent les fesses –, mais peu de gens savent que la peine de mort y est encore pratiquée. La plupart des exécutions au Japon se font par pendaison, et les appels sont rarement fructueux.

Tout comme les États-Unis, le Japon est le seul État développé à pratiquer la peine de mort – un fait peu médiatisé. À la fois honnête et accessible, « Freedom Moon » va peut-être enfin mettre en lumière le système judiciaire japonais.

Le documentaire « Freedom Moon » est diffusé en ce moment au Japon. Pour en savoir plus sur les projections à l'étranger, rendez-vous sur le site officiel.