J’ai assisté à la manifestation contre l’antisémitisme et Dieudonné

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J’ai assisté à la manifestation contre l’antisémitisme et Dieudonné

Et ça n'a fait qu'accroître mon dégoût pour les deux camps.

Photos : Glenn Cloarec

Je suis arrivé place de la Bastille hier, jeudi 16 janvier, vers 18 heures 20, pour assister à la manifestation contre l'antisémitisme et contre Dieudonné. Parmi les associations qui organisaient le raout, les plus importantes étaient : Europe-Israël, le Betar, la LDJ, Haverim, les Fils et Filles des Déportés Juifs de France. Le CRIF, en revanche, n'avait pas appelé à manifester. Le rassemblement promettait donc d'être plutôt orienté à droite.

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Dès le début, les emmerdes ont commencé. Des individus se présentant comme « membres de la sécurité » (tous habillés en noir avec le visage plus ou moins dissimulé) m'ont demandé ma carte de presse. Je n'en avais pas, mais ils m'ont laissé passer et circuler à l'intérieur de la foule tout en m'interdisant « de filmer et de photographier ». Pour justifier cela, ils ont émis des prétextes fumeux : ils n'auraient « pas reçu l'autorisation de la préfecture pour laisser des gens sans carte de presse tourner des images ». J'ai acquiescé poliment mais j'ai évidemment refusé de ranger mon matériel.

Je me suis plongé dans la foule. À plusieurs reprises, on m'a demandé qui j'étais et pour qui je travaillais. Ils commençaient à me faire chier avec leurs interrogatoires, d'autant qu'il était censé s'agir d'une manifestation publique. Un autre mec « de la sécurité » m'a interpelé pour me demander ma carte d'identité. Cela s'est reproduit à trois reprises en tout. J'ai prononcé quelques mots en hébreu et leur ai dit que mes images étaient à la fois destinées à VICE et à des médias israéliens, histoire qu'ils me lâchent la grappe. Ça les a convaincus. Il est fort possible qu'ils m'auraient viré si mon visage ne leur était pas revenu. J'ai commencé à prendre des photos. Il devait y avoir quelque 400 manifestants présents sur le parvis – les organisateurs ont annoncé « plus d'un millier de personnes » à la fin de la manifestation, quoique le Twitter de la LDJ en ait annoncé 1500. J'ai entendu un type se dire déçu de cette faible mobilisation. Très peu de journalistes étaient présents : j'en ai identifié un de France Info, et un autre du Parisien. J'étais surpris de ne pas apercevoir les caméras d'iTélé et de BFM TV, qui sont d'habitude partout.

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Vers 19h, la musique yiddish a cessé d'être diffusée et les discours ont commencé. Il y avait évidemment un problème de sono et les propos des intervenants étaient souvent incompréhensibles. Je les ai néanmoins entendus assez bien pour comprendre que ces gens avaient plus ou moins le sentiment de vivre dans l'Allemagne des années 1930. Au bout de quelques minutes, l'un d'eux a annoncé : « Dieudonné, t'es foutu, les Français sont dans la rue », avant de se faire reprendre par un autre intervenant qui a déclaré, avec un air dépité : « Non, Dieudonné n'est pas foutu, car les Français ne sont pas dans la rue ce soir. » Au même moment, tout autour du petit parvis, un important groupe de jeunes (des membres de la LDJ) s'est mis à courir dans tous les sens : apparemment, des gens étaient en train de « glisser des quenelles » de l'autre côté de la rue, et le groupe de jeunes s'était mis en tête de les intercepter.

Très vite, la tension est montée, de nombreux policiers sont arrivés en renfort et, en raison de l'ambiance, de nombreux manifestants se sont tirés. Au bout de quelques minutes, le parvis s'est retrouvé totalement encerclé de CRS et de camions de police ; il est devenu impossible d'entrer ou de sortir de la manifestation. Les jeunes de la LDJ continuaient à courir dans tous les sens, pendant que certaines personnes se faisaient contrôler par les flics. A proximité, j'ai aperçu quelques jeunes manifestants en train de forcer un mec à supprimer les photos qu'il venait de prendre. La raison invoquée n'était pas la même que celle que j'avais jusqu'à présent entendue : les images étaient « interdites » car les organisateurs auraient « reçu des menaces de gens annonçant qu'ils viendraient prendre des photos des manifestants pour les mettre en ligne et divulguer leur identité », comme l'a fait le site JSSNews (qui, visiblement, n'a pas assisté à la même manifestation que moi) avec les sympathisants de Dieudonné, suite au hackage de la tristement célèbre dieudosphère. Comment les pro-Dieudonné auraient deviné l'identité de ces inconnus restait un mystère, mais les manifestants n'en étaient pas à une contradiction près.

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Les intervenants ont appelé au calme et demandé aux jeunes d'arrêter de courir dans tous les sens en menaçant d'arrêter immédiatement la manifestation, comme s'ils s'adressaient à des gamins de 3 ans trop agités pour finir leur assiette de pâtes alphabet. Ils ont également annoncé ne pas être responsables « en cas d'éventuel incident ». L'un d'eux a crié : « Vous êtes venus ici pour manifester contre l'antisémitisme ou pour foutre le bordel ? » J'ai discuté avec plusieurs personnes, mais toutes n'avaient pas grand-chose d'intéressant à déclarer. Elles disaient à la fois « condamner et comprendre » ces légers débordements. L'ambiance allait rester la même pendant toute l'heure qui a suivi : toujours encerclés par un important dispositif policier, les intervenants continuaient à tenter de s'exprimer face à une minorité de gens d'âge moyen, les écoutant sagement et les applaudissant, tandis qu'une majorité de jeunes excités gueulaient des slogans sionistes et couraient partout.

Derrière le barrage policier, sur les marches de l'opéra, j'ai cru apercevoir au loin les partisans de Dieudonné – en tout cas, c'est ce que les manifestants disaient, arguant les voir « faire des quenelles ». Ils devaient avoir une meilleure vue que moi. Ce que je peux garantir en revanche, c'est que, contrairement à ce qu'a annoncé le fil Twitter de la LDJ, je n'ai pas entendu de chants « Shoah-nanas » ni de « sales juifs » fuser. La soirée s'est terminée sur des applaudissements pour Manuel Valls et sur des chants : la Marseillaise (peu reprise par la foule), l'Hatikva – l'hymne israélien – (plutôt bien repris) et le Chant des Partisans (pas du tout repris). Enfin, pour clore la soirée, une femme s'est mise à chanter une version détournée de la Marseillaise, appelant les « enfants de Sion à prendre les armes contre l'antisémitisme ».

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À vrai dire, je trouvais tout cela plutôt consternant. La foule s'est enfin dispersée, après que les organisateurs ont conseillé au micro de ne « surtout pas se rendre du côté des marches de l'opéra » – à les entendre, on aurait cru qu'aller là-bas conduisait à une mort assurée. J'ai essayé d'aller voir les quelques manifestants pro-Dieudonné censés être là-bas. Une fois arrivé, après avoir traversé toute la place afin de contourner le barrage policier, il n'y avait personne.

Je suis rentré chez moi vers 21 heures. J'ai checké Internet et les sites d'info pour voir qui avait parlé de la manif, et ce qu'ils en avaient dit. Il n'y avait quasiment rien, à part une dépêche AFP reprise sur les sites de Libération, du Parisien et de 20 Minutes. J'ai appris par celle-ci que des manifestants pro- et anti-Dieudonné avaient « échangé des provocations verbales et des invectives devant le Théâtre de la Main d'Or, mais qu'aucun incident majeur n'avait été constaté ». L'ambiance devant le théâtre était donc sans doute plus ou moins la même qu'à Bastille, où j'ai été plus consterné par l'attitude de tous les gens présents qu'autre chose. Cette manifestation assez grotesque n'a fait qu'amplifier ma gêne et mon dégoût pour les deux camps.

​@GlennCloarec

Cette femme qui ressemble à Jabba Le Hut portait un sticker de l’organisation Lehi, un groupe armé radical sioniste des années 1940 influencé par le fascisme italien

Plusieurs manifestants arboraient des affiches avec des slogans philosophiques, mises à disposition par Haverim

Environ 400 manifestants s'étaient réunis sur le parvis de la Bastille – 1500 selon les organisateurs

Une étoile de David mal découpée sur une banderole des Fils et Filles des déportés juifs de France

Arno Klarsfeld était de la partie, sa folle crinière en moins

Des manifestants agitent le drapeau de la LDJ ; beaucoup de jeunes avaient choisi de dissimuler leur visage

La foule était composée d'une minorité de personnes d'âge moyen, plutôt calmes, et d'une majorité de jeunes excités courant dans tous les sens sur les bords du parvis (hors-cadre)