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Culture

Pour comprendre la France, j’ajoute des cons sur Facebook

La meilleure étude sociologique d'aujourd'hui consiste à s'inscrire sur FB et lire les conneries que les gens y disent.

Il y a plusieurs moyens de faire de la sociologie en 2016. Vous pouvez faire des études dans ce segment, lire des livres ou des articles sur le sujet, aller au bureau et prendre des notes sur les gens autour de vous. Vous pouvez aussi, comme moi, simplement ajouter des gens que vous ne connaissez ni d'Ève, ni d'Adam, sur Facebook.

C'est comme cela que je suis peu à peu devenu un spécialiste des Français cons. Grâce à cette habitude transformée en passion, je connais désormais leurs mœurs, leurs habitudes. Je connais la musique qu'ils écoutent. Je sais quelles émissions ils regardent. Je sais ce qui les fait rire. Je vois à peu près pour qui ils votent. Je sais qui ils sont.

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Depuis l'enfance, je m'efforce de comprendre le monde dans lequel je vis. Cette volonté d'entendement des choses et des êtres s'est pleinement révélée par mon obtention de nombreux diplômes, souvent inutiles, afin de bénéficier d'expériences professionnelles diverses. Mon désir de savoir est sans borne. J'aime connaître les gens. Et aujourd'hui, avec Internet, les connexions en réseaux et les télécommunications à grande échelle, il est tout à fait possible de savoir ce que fait son prochain sans trop d'efforts. Et ce, de manière étonnamment précise.

Je crois que mon intérêt pour les réseaux sociaux a commencé le jour où j'ai lu la timeline Twitter de Nadine Morano. Je ne sais pas si vous en avez fait l'expérience, mais au bout d'un moment, en théorie, vous vous sentez mal. Le deuxième effet – toujours en théorie –, c'est que vous avez l'impression de ne plus être si con que cela. Et étrangement, cette démarche m'a fait du bien. Au bout d'une demi-heure de scroll, j'étais même parfaitement détendu.

Jusque très récemment, je m'étais gardé de m'inscrire sur le plus grand réseau social du monde. Facebook en France, c'est 30 millions d'utilisateurs actifs, soit un Français sur deux. Hormis échanger des photos de nourrissons ou de mariages, Facebook est fort utile pour discuter en direct, savoir ce que sont devenus vos vieux potes du collège, Angèle du lycée et ce bon vieux « Max », rencontré en bossant au McDo. Facebook, c'est le lien pour organiser des réunions de groupe, des events. Ne pas y être constituait une sorte d'exclusion sociale volontaire. Au début de cet été, j'ai néanmoins dû m'y résoudre. Afin de faciliter les discussions au sein d'un groupe aux intérêts communs via la messagerie instantanée interne qui est, avouons-le, pratique, j'ai donc été amené à me créer un compte. En le faisant et en ajoutant plusieurs premiers amis, j'ai pu voir avec une certaine circonspection qu'ils jetaient devant moi les banalités de leurs vies, leurs réflexions sur bon nombre de sujets de société et même, des états d'âme parfois relativement profonds.

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Vite, j'ai constaté que ces amis directs me ressemblaient ; de fait, peu, voire aucun ne se révélait aux antipodes de mes goûts ou de mes pensées. Mais cette homogamie, j'avais la possibilité de la faire disparaître. Pour ce faire, je devais simplement ajouter des groupes de personnes présélectionnés, connues (via leurs amis communs, leurs avis politiques plus ou moins gratinés et leurs likes divers) pour être à l'opposé de moi dans à peu près tous les sujets.

Photo via Flickr.

C'est comme cela que je me suis mis en quête d'une sorte de cartographie des comportements éloignés des miens. Toujours dans le même but, donc : comprendre comment une personne pouvait tenir telle ou telle position qui me semblait absurde. L'objectif n'était surtout pas de me moquer. Je tenais réellement et sincèrement à explorer le ressenti de ces personnes aux profils atypiques (pour moi) afin de définir, à une échelle réduite, le comportement et le ressenti des Français. Ainsi, en récupérant les positions de 500 candidats sur 50 faits de société, j'ai été à même de dresser un panel aussi complet que représentatif de ce que la France de Facebook pense.

Concrètement, j'ai mis au point un tableur Excel, divisé en 51 colonnes. La première reprenait l'identité des profils et les 50 autres, leurs positions sur divers choix de société. Ce travail me prit un mois complet. Au cas où vous en douteriez, récupérer les profils de 500 personnes qui affirment chacune leurs positions sur 50 réalités différentes n'est pas une mince affaire. Sans compter qu'il faut être précis et considérer très sérieusement les points les plus essentiels. Par exemple : l'INSEE estime que 54 % des Français sont contre la peine de mort ; il me fallait en conséquence 270 profils partageant ce point de vue sur les 500 sélectionnés.

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Au bout d'un certain temps, je suis tombé sur des posts qui expliquaient, en toute sérénité, que Christiane Taubira était « une guenon ». Ou bien d'autres affirmant sans détour que les homosexuels n'étaient « pas des personnes à part entière ».

Environ trois mois après cette réalisation, j'ai ainsi pu voir sur mon mur Facebook l'activité et les réflexions de ces personnes dûment ajoutées. Dans leur état naturel, si l'on veut. Vous me direz, à juste titre, qu'un biais existe : ce n'est en effet pas parce qu'une personne pense quelque chose qu'elle l'affiche délibérément. J'ai essayé d'anticiper ça. Je n'ai ainsi sélectionné que des profils qui, intentionnellement, assumaient leurs choix et acceptaient de m'avoir en ami sans la moindre gêne. Des gens qui pouvaient dire des trucs tels que : « On n'a pas à accueillir les immigrés, ce sont des lâches. Sinon, ils seraient dans leurs pays, en train de faire la guerre » ou bien : « Ils sont bien contents de travailler et d'être payés à rien foutre. »

Les premiers débats auxquels j'ai assisté concernaient des sujets aussi vastes, complexes et polémiques que l'immigration, l'emploi ou la, je cite, « surreprésentation des Juifs à la télévision. »

Aussi, assister au fil des jours à la radicalisation d'une personne sur tel ou tel sujet de société est un spectacle impressionnant. Sinistre, mais impressionnant. J'en suis parvenu à la conclusion que seule une malheureuse succession d'événements disparates – et pas toujours interconnectés – pouvait expliquer ces choix. Au bout d'un certain temps, j'ai donc commencé à tomber sur des posts qui expliquaient, en toute sérénité, que Christiane Taubira était « une guenon ». Ou bien d'autres affirmant sans détour que les homosexuels n'étaient « pas des personnes à part entière », mais au contraire, « des pécheurs », lesquels n'avaient manifestement « pas encore trouvé la foi ».

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Photo via Flickr.

Je rappelle que l'été dernier était politiquement chaud. À peine les résultats des élections départementales annoncés, la campagne pour les régionales débutait. Un trésor de phrases démagogiques s'apprêtait à fleurir sur le réseau social. Je me souviens d'un échange complètement fou à intervenants multiples portant sur une uchronie où la France aurait perdu la Seconde Guerre mondiale et serait encore sous le joug du Troisième Reich. Chacun y allait ainsi de son commentaire ou de son anecdote afin de dire en substance que « oui, ce serait le paradis. »

Même si ces faits sont graves et condamnables, ce fut loin d'être l'apothéose de mon étude. Des choix tels que le végétarisme, l'abstinence sexuelle ou même la volonté de ne porter que des vêtements de couleur noire sont des positions étranges ; mais elles ne présentent, de fait, qu'un intérêt limité. Néanmoins, en fouillant plus loin parmi ces scènes presque coupées du monde extérieur, j'ai pu remarquer que certaines personnes qui devenaient friends avec des gens plus extrémistes qu'eux encore, étaient amenées à se radicaliser d'autant plus – et beaucoup plus vite. Concernant le végétarisme par exemple, j'ai pu voir des personnes se mettre, peu à peu, à ne plus poster que des vidéos sur le sujet ; souvent, ces mêmes personnes répondaient ensuite aux commentaires de leurs amis extérieurs à la scène, lesquels critiquaient – à juste titre – l'inondation de leur mur par toutes ces vidéos orientées sur le végétarisme ; vite, mes friends, déchaînés, leur répondaient avec véhémence et en arrivaient, à la vue de tous, à un niveau de radicalisation définitif, à un manque de recul criant et plus globalement, à une fermeture d'esprit totale sur le sujet. Leur passion, le végétarisme, était aussi devenue leur folie.

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Plusieurs comportements m'ont également ouvert l'esprit sur pas mal de points. Je me souviens notamment d'une discussion que j'avais engagée par chat avec l'une de mes nouveaux friends ; c'était au sujet du mariage pour tous. En lui demandant pourquoi celle-ci pensait que seuls, selon ses dires, les « hétérosexuels fertiles » avaient le droit d'accéder au mariage, j'ai découvert une personne qui, maladroitement, exprimait ses craintes vis-à-vis de la notion même de famille qu'elle pensait « en danger » à cause du vote de cette loi. Autrement dit, cette position extrême et absurde s'expliquait par une seule crainte, celle du simple changement.

Je sais bien que remettre en question son confort, idéologique comme moral, est chose ardue. C'est pourquoi je comprends que certaines personnes soient rebutées à l'idée de mettre sur la balance leurs habitudes de vie depuis 50 ans. J'ai ainsi le souvenir de ma mère gardant son Minitel dans le meuble du téléphone, même si ce dernier était devenu inutile depuis longtemps. « Oui Clément, mais j'y suis attaché », me répondait-elle.

Un autre point qui m'a marqué, c'est la relative aisance de nombreuses personnes à afficher sans ambages des positions très personnelles. Ou souvent, à dévoiler des détails intimes et embarrassants de leur vie. Balancer à tous ses amis Facebook que l'on a « envie de se suicider » ne me viendrait, par exemple, jamais à l'esprit. J'en ai pourtant été le témoin à de nombreuses reprises. Car en plus des 500 personnes nécessaires à mon étude, je me trimballais 300 vrais amis que je pensais connaître. Pensais, je dis bien.

Après trois mois de lecture de comportements et nombre d'épisodes gênants rendus visibles en direct sur ma timeline, je me pose à mon tour cette question : comment continuer à rester ouvert d'esprit ? Car les innombrables scissions parmi les hommes, toutes leurs différentes prises de position, m'amènent à me demander si moi aussi, je n'ai pas un jour pris le risque de m'enfermer dans tel ou tel schéma de pensée ; si moi aussi, je ne me suis pas volontairement voilé toute possibilité de réflexion sur un sujet ou un autre. Du coup, je me pose aussi la question. Et si, au bout du compte, je ne suis pas en train de devenir ce que je pensais que les autres étaient. Un con.

Clément est sur Twitter.