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#jdtap : 140 signes et pas d’idées

Vendredi 19 avril, de 11 heures à 18 heures, la mairie de Paris a organisé un « jour de tweets à Paris ». L’initiative consistait à demander aux Parisiens de décrire leur ville en 140 caractères et de les diéser jdtap pour que des crieurs de rue les...

Vendredi 19 avril, de 11 heures à 18 heures, la mairie de Paris a organisé un « jour de tweets à Paris ». L’initiative consistait à demander aux Parisiens de décrire leur ville en 140 caractères et de les diéser jdtap. Après sélection des « plus beaux tweets » par l’équipe de communication de Bertrand Delanoë, des « crieurs de tweets » – parmi lesquels Oxmo Puccino et l’écrivain pour mamans David Foenkinos, mais surtout des intermittents du spectacle désireux de continuer à toucher du fric chaque mois – devaient jouer les gavroches en les déclamant un peu partout dans la capitale, perchés sur des caisses en bois.

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Comme ces poèmes ratés qu’on voit dans le métro, le hashtag #jdtap a fait pleuvoir dès 10h30 du matin des haïkus nuls : « Cet aiguillage du rail et mon sommeil fatal. Je tente de résister à la nuit de Paris mais je rame. Émotions, au départ attention », écrivait @Cellequivousparle. Parmi les nombreuses exaltations des Parisiens les plus en verve se trouvaient évidemment des gens qui n’avaient pas bien compris le concept de la journée, comme @Citizen_Sam qui recherchait sa sacoche perdue sur la ligne 6. Son tweet n’a malheureusement pas été repris, même s’il représentait plus Paris que le meilleur des mauvais poèmes clamés tout au long de cette journée.

De midi à 16 heures, nous avons maraudé dans Paris, de la place de la Bastille aux Halles en passant par Stalingrad, pour assister au fruit des efforts culturels de la mairie de Paris. Crieurs en pause déjeuner (qu’ils avaient arbitrairement prise de 12h à 15h), spectateurs absents et tweets moisis, cette journée s’est avérée injustement négligée, tout comme les récentes expositions organisées à l’Espace Baudouin et le lancement de la Carte musique.

À Bastille, nous avions en tête que Gavroche ressemblerait à l’un des clochards avinés qui glandent sur les marches de l’Opéra. Mais le comédien engagé par la ville de Paris était l’inverse. Vêtu d’un chapeau à carreaux et d’un blazer en velours côtelé affublé d’une tête de cerf, Philippe déclamait les tweets qu’il recevait depuis une tablette numérique soigneusement cachée dans un livre, à deux pas d’une circulation intense, irradiant la petite place vide.

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VICE : Salut. Vous ne deviez pas être déguisé en Gavroche ?
Philippe :Non, j’ai pu m’habiller comme je voulais.

Quel est le plus beau tweet que vous ayez eu à lire pour l’instant ?
Certains petits poèmes sont assez mignons, comme celui-ci, « Une souris trottine entre les rails du métro, à quoi ressemble son Paris à elle, fait de trous et de passages comme un énorme fromage ? » D’autres m’ont fait rire, comme celui-ci : « Dialogue de djeun’s aux Halles, question existentielle qui vient de nulle part : c’est lequel ton Schtroumpf préféré ? »

OK. Vous faites quoi dans la vie à part déclamer des tweets ?
Je suis comédien, je vais partout où on m’engage, donc parfois dans les rues de Paris. La mairie de Paris me rémunère.

Combien ?
C’est bien rémunéré.

Des gens s’arrêtent des fois pour vous regarder ? Ça n’a pas l’air de bien prendre, pour être honnête.
De temps en temps, des gens s’arrêtent. Attendez, voilà des spectateurs. [Il prend un ton péremptoire et une voix de fausset] « Hier derrière mes carreaux impers, j’ai vu revenir l’hiver, rue de la Croix-Nivert… »

Deux adolescents se sont arrêtés trente secondes avant de repartir, pas très impressionnés.

Vers 14 heures nous atteignons la place Stalingrad, où devait déclamer un autre comédien. Contre toute attente, elle était vide. Vide de tout signe de vie, mis à part les crackheads vagabondant avec une cadence métronomique dans les coins sombres autour du bassin de la Villette. Après avoir récupéré le contact du crieur de rue par l’intermédiaire de la mairie de Paris, nous avons pu appeler Maxime, qui était en pause déjeuner depuis déjà deux bonnes heures.

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VICE :Bonjour Maxime, vous n’êtes pas à Stalingrad ?
Maxime : Non, je prends ma pause déjeuner, là.

Vous revenez bientôt ?
D’ici une heure, ce n’est pas très pratique avec la pluie.

Il y avait beaucoup de monde sur la place lorsque vous criiez ?
Non, quasiment personne. Ce n’est pas un endroit de passage comme les places de la Bastille ou du Trocadéro. Là comme il pleut, c’est vraiment vide.

À Bastille non plus, il n’y avait pas grand monde.
C’est aussi parce que les passants pensent que nous sommes des SDF et que nous demandons de l’argent. Ils n’ont pas été mis au courant qu’il s’agissait de la journée du tweet. Ils nous évitent et nous ignorent.

Que comptez-vous faire cet après-midi ? Crier plus fort ?
Je vais revenir avec un badge et une affiche de la mairie de Paris pour qu’on n’ait plus peur de moi.

Merci Maxime.

Nous atteignions les Halles aux alentours de 15h, convaincus d’écouter enfin les pires merdes poétiques jamais écrites sur un clavier de #sm@rtphone. Mais une nouvelle fois, nous ne trouvions pour compagnons qu’une bande de deux, trois vendeurs de cartes postales ayant pour thème le Sacré-Cœur et la Tour Eiffel, à peine menaçants lorsqu’ils nous ont accueillis par un sobre « Hé t’as rien contre les jeunes de banlieue ? C’est pas une agression hein, t’as l’air sympa toi ! »

Comme personne n’avait l’air de s’intéresser au théâtre dans les environs et encore moins de clamer des tweets, nous avons demandé à un jeune, qui pratiquait un sport bizarre mêlant un tabouret et des acrobaties, de prendre sa place. C’est ainsi qu’Hervé, qui s’est avéré être le futur de ce sport urbain, s’est improvisé clameur de rue tout en exécutant des figures extrêmes sur un tabouret au milieu des Halles de Paris.

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Vers 16h, au moment de dire au revoir aux monde des planches et de la plancha, nous apprenions que tous les comédiens embauchés ce jour-là faisaient partie de la même troupe, mais que celle-ci n’avait pas de nom, et encore moins d’organisation. Mais je ne vois pas pourquoi je blâmerais ces intermittents du spectacle, à qui l’on propose un salaire plus que raisonnable, d’accepter un truc aussi pourri que d’hurler des tweets dans la rue écrits par des internautes qui instagrament tout ce qu’ils voient. Le seul truc que j’ai eu envie de twitter lors de cette journée, c’était pour signaler le fait que la mairie de Paris avait fait des pochoirs sur les trottoirs – ce qu’elle seule a le droit de faire – afin de faire la pub d’un événement aussi triste qu’une flashmob, et dont le contribuable paiera le nettoyage. Mais comme ça faisait plus de 140 caractères, j’ai décidé d’abandonner.

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