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Je suis (content d’être) un type moyen

Pourquoi avoir fait le choix d'être un Français basique a sauvé ma vie.
Paul Douard
Paris, FR

Je n'ai pas eu le Bac avec mention. Je ne sais pas jouer du violoncelle, je n'ai pas fait HEC et je ne parle pas cinq langues. Selon les codes de la société en vigueur en 2015, je suis indubitablement un Français moyen. Cependant, malgré mon apparente banalité, je pense être quelqu'un de tout à fait fréquentable.

Être banal ou moyen, c'est ne pas être assez travailleur pour avoir intégré une Grande École mais pas assez con pour avoir terminé en art du spectacle à la fac. Comme moi, vous avez peut-être grandi dans une famille de classe moyenne, ou de classe moyenne supérieure. Du collège jusqu'au Bac, vous avez fait le strict minimum (c'est-à-dire : rien) pour passer en classe supérieure, au grand dam de vos professeurs qui voyaient en vous « un moteur pour la classe ». Perdu. Faire du skate, rouler des pelles – parfois – à des filles et manger des chips devant MTV avec vos potes était pour vous nettement plus intéressant que de résoudre des équations, qui de toute évidence ne vous ont jamais servi. Aujourd'hui je me dis que c'était une manière comme une autre de « développer ma créativité ». Puis, toujours comme moi, vous vous êtes inscrit en fac de droit. L'unique branche de l'université (avec médecine) à encore entraîner ceux qui y décrochent un diplôme vers un semblant de réussite sociale. La suite ? On navigue dans un entre-deux, un courant de nonchalance en espérant que la vie débloquera d'elle-même la situation, qu'on deviendra d'un coup quelqu'un d'important. Le capital social et culturel est censé faire le reste. Finalement, être banal c'est avant tout avoir eu la chance et la présence d'esprit de ne pas finir dans la rue avec deux clébards, sans pour autant être devenu un enculé.

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Mais il s'est quand même passé deux, trois trucs avant d'en arriver à ce constat.

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Quand on est un type banal comme moi, personne n'en a rien à foutre de vous. Vous n'attirez ni la pitié, ni la reconnaissance et encore moins l'admiration. Vous devez même vous justifier auprès de tout le monde. Pour les plus pauvres, vous n'êtes qu'un petit merdeux qui ne réalise pas la chance qu'il a eue de naître sous la bonne étoile et de faire des études. Pour les plus riches et autres surdiplômés, vous n'êtes qu'une merde car vous n'avez jamais vraiment travaillé, ni été voir la moindre expo à Beaubourg. Et en plus, vous avez fait le choix d'études le moins risqué au monde : droit. De ce fait, vous ne méritez que de moisir dans un pavillon du Centre France.

Personne n'a jamais voulu me prendre comme modèle , de même que personne n'a jamais voulu me ressembler.

Michel Houellebecq représente lui aussi l'archétype d'un mec normal s'étant attitré les faveurs de l'élite. Il est relativement éloigné des standards de beauté, n'aime pas parler en public et picole quotidiennement.

L'homme normal n'est pas une création de la société moderne, ni postmoderne. Il ne s'agit pas non plus d'un phénomène récent de type « normcore », ou ce genre de conneries visant à faire émerger un semblant de courant philosophique derrière tout style vestimentaire. La normalité a de tout temps accompagné des types relativement sympas. Parmi eux, l'un fait figure de pionnier : Jésus. Fils de charpentier, mal peigné, mal rasé et vêtu d'une simple toge, il se contentait de passer du bon temps avec ses amis avant de connaître la célébrité grâce à quelques tours de passe-passe et une fin tragique. Plus récemment, Michel Houellebecq représente lui aussi l'archétype d'un mec normal s'étant attitré les faveurs de l'élite. Il est relativement éloigné des standards de beauté occidentaux, n'aime pas parler en public et picole quotidiennement. Avant de devenir un écrivain riche et controversé, il a connu le chômage, le divorce et est tombé en dépression. C'est avant tout le fait d'avoir vécu des choses normales qui ont fait de lui quelqu'un d'unique. Le personnage de François Hollande pour les élections de 2012 n'est qu'un rip-off de l'attitude de ces mecs-là. Sourire niais, ventre flasque, costume trop grand et sorties extraconjugales en scooter à l'heure du dej'. Quoi de plus normal ?

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Mais le vrai problème, c'est surtout que personne ne peut comprendre le problème d'être noyé au milieu d'extrêmes. Pour beaucoup, le concept d'échec leur est totalement inconnu. Le sentiment de se sentir submergé par des gens qu'ils ne comprennent pas leur est étranger. « Vous avez une carte d'identité mais vous savez que vous n'êtes personne . »

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La presse non plus n'a jamais oublié de me rappeler à quel point je suis basique, à intervalles réguliers, tous les ans. Chaque année, la presse nous présente ses fameuses études sur « Les meilleurs masters pour 2015 », « Les meilleures Grandes Écoles » et le magazine des entrepreneurs bien dans leur tête Challenges y va de son classique « Comment faire fortune en Californie ? ». Tomber sur ce genre de publication quand on rentre d'un rattrapage raté dans sa fac de province peut vite donner envie de se défenestrer. Les plus âgés aiment nous gifler avec cette idée qu'on n'est jamais « assez bon », qu'il faut perpétuellement viser « plus haut ». Il semble donc que la préoccupation d'aujourd'hui soit de devenir le meilleur, l'unique, le dernier survivant, un nouveau Duncan MacLeod.

Notre vie est peu à peu devenue un genre de concours de bite qui ne s'arrête jamais.

Un diplôme prestigieux vous donnera accès à une réussite financière sur le long terme puis fera de vous une personne meilleure. Dans un modèle capitaliste où l'accumulation de richesses est la règle absolue, notre société nous pousse à agir de la même manière avec notre propre vie. Celle-ci est d'ailleurs peu à peu devenue un genre de concours de bite qui ne s'arrête jamais. Mais pour être meilleur que qui ? Et surtout, en quoi ? En nombre d'expositions vues en une année ? En bonnes manières ? En nombres d'heures passées au boulot ? En connaissance du cinéma italien des années 1960 ? Notre société reste finalement dans cette logique qui veut que le travail acharné et la connaissance soient toutes deux nécessairement bénéfiques et fassent de vous une authentique personne, un véritable adulte.

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Celui qui ne travaille pas autant que l'autre finira toujours par être considérer comme une belle merde qu'il faudra à un moment ou à un autre évincer. On nous pousse à snober notre prochain avant même de l'avoir rencontré. Quelque part, c'est comme si le monde entier se devait d'accéder à une sorte d'élite, modèle de créativité, d'intelligence et de culture. J'ai parfois le sentiment qu'on me pousse tranquillement vers un entrepôt pour me gaver de savoir – jusqu'à en crever.

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L'ambition est également devenue une norme que notre génération s'est vue en devoir d'intégrer dès le plus jeune âge. Ce qui est tout à fait normal dans un pays qui rejette l'inculture. On est là face à une probable conséquence de la tradition égalitariste française, qui veut faire croire à tout le monde que tout est possible et que choisir de ne pas « faire carrière », c'est être un raté. Quand je dis à quelqu'un qui a fait une Grande École que je suis allé à la fac, il pense immédiatement que cela ne relève pas d'un choix mais d'un échec à un concours ou bien d'un manque d'ambition de ma part. Il se positionne en situation de supériorité face à moi, alors que nous sommes simplement deux types différents. L'idée même que j'ai pu concevoir ma vie autrement que par l'intermédiaire d'une course au diplôme et/ou à l'argent lui traverse à peine l'esprit. Qu'une personne puisse n'en avoir absolument rien à branler de sortir en boîte à Paris et d'être Digital Project Manager d'une entreprise de consulting n'est pas une preuve de non-ambition, mais au contraire, d'un choix de vie. Être un expert en fusion-acquisition ne fait pas de vous quelqu'un de plus intéressant qu'un type qui astique ses vaches toute la journée. Au contraire, être banal ou moyen peut finalement s'avérer être la meilleure chose à faire pour être unique.

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Faire le choix d'être banal aujourd'hui, c'est avoir fait inconsciemment le choix de « vivre sa vie » – en lieu et place d'une fétichisation d'un travail qui lui seul est censé vous permettre d'accéder à une vie meilleure.

Je crois qu'aujourd'hui, décider de n'être personne est un choix nettement plus fort que celui de devenir « quelqu'un ». Devenir « quelqu'un » dans notre société revient à tout faire pour intégrer le plus grand des moules, celui des petits cons, à se calquer sur un modèle de personnes supposées – ou se vantant d'être – meilleures que les autres. Sauf qu'à la fin on se retrouve au milieu d'une armée de clones. Et surtout de connards.

Être banal, c'est au contraire choisir une forme d'indépendance et d'autonomie, choisir de ne pas avoir besoin du regard des autres pour exister, mais simplement de leur présence pour s'en nourrir. C'est se fier à ce qu'on est et non à ce que les autres pensent de vous. C'est aussi se construire soi-même au lieu de vouloir ressembler à tout prix à tel ou tel fantasme créé de toutes pièces par notre société. Le truc assez déprimant – et drôle en même temps –, c'est de voir que ce sont ceux qui travaillent à créer des clichés auxquels les gens normaux (comme moi) peuvent s'identifier dans le but d'acheter leurs produits, sont en fait les premiers à tomber dedans.

Faire le choix d'être banal aujourd'hui, c'est avoir fait inconsciemment le choix de « vivre sa vie » – en lieu et place d'une fétichisation d'un travail qui lui seul est censé vous permettre d'accéder à une vie meilleure. Cette mécanique se retrouve en réalité à tous les étages d'une vie. On travaille dur à l'école pour rentrer dans une bonne prépa, puis dans une Grande École et enfin on s'arrache au boulot pour pouvoir faire augmenter son salaire le plus régulièrement possible. Sauf qu'on meurt tous un jour ou l'autre. Cette logique d'investissement sur le long terme n'a donc finalement aucun sens, si ce n'est celui d'accéder à un métier rêvé, toute considération financière mise à part. Ce qui est impossible pour 99,9 % des gens, moi y compris.

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La vie n'est pas une action qu'il faut faire fructifier le plus possible dans le but d'obtenir toujours plus. Mais vivre c'est bien aussi. Ça permet d'avoir des choses à raconter plutôt que des choses à espérer.

Pour ma part, je n'ai clairement rien foutu au collège et au lycée. J'ai dû me réveiller un peu à l'université, puis j'ai eu l'occasion de me recoucher aussitôt en école de commerce avant de trouver un boulot. J'ai peut-être laissé de côté des « opportunités de carrières » importantes, loupé des concours, déçu des professeurs ou repassé des matières que je n'avais, par fainéantise, pas révisées. Ou simplement parce qu'à 20 ans, certaines choses me paraissaient déjà plus importantes qu'obtenir une bonne note. Mais qu'importe.

En lieu et place de cette souffrance qu'est le travail scolaire, j'ai vécu des choses qui valent bien plus qu'un boulot mieux payé. Comme aujourd'hui avec mon job, j'ai choisi de ne pas me concentrer uniquement sur mon apprentissage scolaire mais aussi de découvrir ce qu'il se passait ailleurs. J'ai profité de la vie sans penser à ma situation dans dix ans. Faire la roadmap de sa vie me paraît être la chose la plus déprimante qui soit.

Aujourd'hui, certains ont probablement envie de me tuer quand ils voient leur situation actuelle face à la mienne, comparée à la différence d'effort fourni à l'école. Désolé les mecs. Mais sans regrets.

Paul cultive aussi la désambition sur Twitter.