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Je vis avec la phobie d’aller me coucher

Les confessions terrifiantes d'un mec victime de paralysie du sommeil.

Geoffrey, dans son lit. Photos publiées avec son aimable autorisation.

Tout a débuté lorsque j'étais à l'école primaire. J'étais un gamin plutôt anxieux et au moment de m'endormir, j'ai commencé à faire l'expérience d'une manifestation peu commune. Entre la phase d'éveil et de sommeil, je me retrouvais paralysé. J'étais incapable de parler et de bouger. Tétraplégique. J'arrivais juste à pousser quelques gémissements discrets. Je ne savais pas encore que je m'apprêtais à passer toute ma vie avec cette maladie, la paralysie du sommeil – aussi appelée manifestation de la Dame en noir.

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Quoique liée à diverses formes de narcolepsie, la paralysie du sommeil touche aussi un nombre important de personnes « saines ». Elle consiste en une paralysie ponctuelle de tous les membres au moment de l'endormissement, et parfois du réveil. Toutes entraînent des hallucinations. Le site anxiolytiques.net avance qu'« entre 2 et 10 % de la population en est victime de manière récurrente », tandis qu'environ une personne sur quatre y sera confrontée dans sa vie. Les chercheurs auraient identifié trois étapes d'hallucinations au cours de ces moments : une pression sur la poitrine, une sensation de lévitation et la présence d'un intrus quelque part dans la chambre.

Je n'ai jamais parlé de mon problème à ma mère. Mais il a laissé de nombreuses séquelles dans ma vie de jeune homme de 29 ans. Quand j'étais enfant, je dormais dans sa chambre et ma mère m'entendait pousser des râles dans mon sommeil. Elle m'appelait et je me réveillais aussitôt. Ça me rassurait beaucoup, comme si j'avais un bouclier. Peu à peu, je me suis mis à refuser catégoriquement de dormir seul dans ma chambre ; je voulais toujours qu'il y ait quelqu'un avec moi.

Et pour cause ; quand la chose arrive, il vaut mieux ne pas être seul. Lorsque cela se produit, je ressens une présence manifeste, assez floue, noirâtre et qui se déplace lentement autour de moi. Morphée prend alors une forme désagréable. C'est toujours au moment de l'endormissement. L'ombre flotte et se rapproche inexorablement – puis je ferme les yeux. J'ai chaud mais je ressens une froideur qui ne correspond pas avec la température ambiante. Je suis en nage.

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« Quand elle arrive, j'entends d'abord un bruit. Celui-ci augmente, peu d'abord, puis violemment, et devient de plus en plus effrayant. »

Il s'agit d'une présence féminine, une « dame en noir ». À quelques reprises néanmoins, très rarement, je l'ai interprétée comme une présence masculine. Quand elle arrive, j'entends d'abord un bruit. Celui-ci augmente, peu d'abord, puis violemment, et devient de plus en plus effrayant. Il entre et ressort de mes tympans comme un voleur ; c'est une sorte de chuchotement qui tisse sa toile autour de mes entrailles. Il est difficile de mettre des mots dessus. Puis la forme s'appuie sur mon torse et ne me quitte plus. Mon corps est engourdi et refuse de répondre.

Au bout de quelques minutes, j'extériorise ma peur en bougeant brusquement.

Image via Wikimedia Commons

Je ne sais plus combien de fois ça m'est arrivé. À intervalles réguliers, je dirais. Aujourd'hui, si je n'arrive toujours pas à m'en accommoder, j'ai au moins appris à vivre avec ce sentiment désagréable d'incompréhension. C'est comme poser une équation et ne jamais réussir à la résoudre. Dans mon enfance, je pensais que ça n'arrivait qu'à moi, c'est pourquoi je n'osais pas en parler. Ce n'est qu'après mon adolescence que j'ai fait des recherches sur le Web ; là, je me suis aperçu que je n'étais pas le seul confronté à ce phénomène.

J'avais déjà plus de 20 ans quand je suis tombé sur les travaux d'un médecin souffrant des mêmes symptômes. Il a entrepris des recherches en s'entretenant avec d'autres « victimes ». Il n'a cependant jamais trouvé de réponse scientifique tangible, à part certaines causes de stress et divers traumas. Tout cela reste encore vague pour la science aujourd'hui. Pourtant, le phénomène trouve ses origines dans des temps ancestraux.

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J'ai plus tard à mon tour entrepris des recherches pour expliquer ces accès de terreur. J'ai appris que la manifestation était présente dans de nombreuses cultures et sous de nombreux noms. En Chine, on parle de Gui ya Chuang, « le fantôme qui écrase le lit ». Dans les pays musulmans, on parle plus classiquement de djinns, ou « génies ». Au Canada, de nombreuses études se réfèrent à « la vieille sorcière ». Au Cambodge, le pays dont je suis originaire, les gens parlent également d'écrasements et d'une présence démoniaque. Au Moyen Âge, on parlait de succubes, démons prenant une apparence féminine et cherchant à séduire les hommes dans leur sommeil. Le succube est censé punir les hommes pour leur traîtrise, et peut parfois prendre la forme d'une femme décédée afin de s'accoupler avec son mari. Dans la mythologie, ces créatures servaient Lilith, la première épouse d'Adam selon le Talmud et la Kabbale judaïques.

Fait étrange, je n'ai pas connu de traumatisme particulier dans mon enfance. En revanche, l'une des causes pourrait provenir de mes voisins de palier, qui étaient pour le moins folkloriques. Le mari était en effet guérisseur. Il touchait donc à l'ésotérisme régulièrement. Un jour, mes frères m'ont conté une histoire à dormir debout : ils étaient avec la fille des voisins dans leur domicile, celle-ci était en train de dormir et brusquement elle s'est levée et s'est mise à parler avec une autre voix que la sienne, très grave. Selon eux, elle parlait une langue inconnue alors même qu'elle était enfant et qu'elle ne connaissait que le français.

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On pourrait croire qu'il n'y a pas de lien de causalité évident, mais je l'ai compris lorsque des cousins sont venus dormir chez moi quelque temps après.

Geoffrey enfant, dans sa chambre.

Ils ont en effet vécu la même expérience de paralysie nocturne dans l'appartement où je vivais alors, alors qu'ils n'avaient jamais connu cela précédemment. D'ailleurs, je ne leur en avais jamais parlé. Voyant leur état d'angoisse devant cet événement qu'ils ne comprenaient pas, je me suis ouvert à eux et leur ai raconté ce qu'il m'arrivait parfois. Ils se sont mis à flipper comme jamais. Ce qui rend la situation énigmatique, c'est que – comme je l'ai déjà dit – j'ai toujours été très stressé ; mais eux étaient plutôt des garçons détendus de nature, ne souffrant pas du moindre problème psychologique notable.

Le truc le plus flippant, c'est qu'à la suite de la mort de mon voisin, la situation s'est améliorée progressivement. Au bout de quelques semaines, mon sommeil était redevenu quasi normal.

Toutefois, en étant parfaitement rationnel, je suis à peu près certain que des frustrations couplées à un mal-être passager sont à même de renforcer les nuits agitées. Lorsque je suis en confiance et détendu, je ressens moins ces perturbations. Il n'en reste pas moins que les origines de cette tension demeurent inexplicables.

J'ai appris avec le temps à apprivoiser cette terreur. Aujourd'hui, je fixe la forme et j'essaie de communiquer avec elle. Parfois je suis agressif et je l'insulte violemment. Auparavant, il me fallait un certain temps pour retrouver mes nerfs et pouvoir me rendormir. J'attends désormais que la manifestation disparaisse puis je me rendors tranquillement.

Mais je me souviens d'une fois, adolescent, où le phénomène a pris des proportions terribles. Je ne l'oublierai jamais. Une pression s'est d'abord exercée dans le bas de mon dos. Je dormais avec des amis, dans une chambre commune. Je revois encore cette présence, masculine à n'en pas douter. Ce que je m'apprête à dire va vous paraître complètement fou, mais j'étais persuadé que cette présence était sur le point de me violer. J'ai hurlé. De toutes mes forces. Je me suis levé et mes potes m'ont regardé, inquiets. À lire leurs regards médusés, ils n'avaient aucune envie de rire. J'ai essayé de leur dire ce qui s'était passé. Mais j'ai abandonné ; leur expliquer aurait pris trop de temps. Tout ce que je voulais, c'était quitter cet endroit maudit.

Mathieu est sur Twitter.