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LE NUMÉRO EMBARGO

Jesse Sykes

La première fois que j’ai entendu la voix de Jesse Sykes, j’ai cru que c’était celle d’un vieil homme, et j’ai adoré ça. Jesse est une chanteuse country qui habite Seattle...

PHOTOS ET LÉGENDES : JESSE SYKES

INTRODUCTION : ESTELLE HANANIA

Il me semble que ce qui frappe dans cette photo, c’est le côté évident de tous les éléments du cliché. La position dans laquelle elle se trouve est tellement dégradante que la photo va forcément au-delà. Tu en viens à ne même plus faire gaffe à sa posture. L’exercice du striptease est un truc que j’ai toujours trouvé un peu absurde – trop éloigné de la réalité pour être vraiment sexy. Mais le côté cru et crade de l’endroit, lui, était bien réel – et je trouvais ça sexy. Elle ressemble à une carcasse dans un tableau de Francis Bacon, un morceau de bœuf accroché dans une boucherie – mais ses yeux expriment autre chose, vraiment.

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La première fois que j’ai entendu la voix de Jesse Sykes, j’ai cru que c’était celle d’un vieil homme, et j’ai adoré ça. Jesse est une chanteuse country qui habite Seattle, elle est en train d’enregistrer son cinquième album. Un jour, alors que je me promenais sur son Myspace, je suis tombée sur un dossier un peu étrange intitulé « Vieux documents ». En l’ouvrant, j’ai été éblouie par les images que j’y ai trouvées. Des « street photographies » en noir et blanc, visiblement prises dans les années 1980. Un chatoyant mélange de stripteaseuses, de drag queens et de bikers à moitié nus. J’ai voulu en savoir plus sur cet échantillon de clichés, alors je suis entrée en relation avec la dame. Elle m’a raconté son adolescence passée dans le nord-est des États-Unis : elle avait entre 18 et 21 ans quand elle a pris ces photos, à l’époque où elle étudiait à l’école de design de Rhode Island à Providence et allait à Manhattan rendre visite à sa maman – c’est là qu’elle a pris la majorité de ses photos. Elle m’a expliqué qu’elle était très intriguée par ce qu’elle percevait alors comme le côté obscur de la ville, et c’est cet esprit-là qu’elle a essayé de capturer avec son Leica. Pour diverses raisons – dont un stage calamiteux chez une photographe célèbre –, elle a mis de côté la photo et déménagé à Seattle, se concentrant totalement sur sa musique. Depuis, elle écrit des chansons. J’ai toujours adoré découvrir les projets obscurs et marginaux liés à un moment précis de la vie d’un artiste. Leurs travaux plus anecdotiques, comme les pola érotiques secrets de Carlo Mollino ou encore les portraits amateur de la femme de Eugene von Bruchenheim, sont selon moi les choses les plus intéressantes de leurs carrières. Ces photos inédites de Jesse Sykes sont une merveilleuse immersion dans son esprit adolescent et une vision unique du New York de l’époque. J’ai demandé à Jesse la permission de publier en exclusivité dix de ses clichés, et elle a commenté chacun d’entre eux.

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Lori était stripteaseuse dans un club appelé Fantasies à Providence. Elle a été la première fille du club à me laisser prendre des photos. Elle était à peine plus âgée que moi, comme beaucoup de filles qui travaillaient là. C’était une autre époque ; le silicone n’était pas encore généralisé – avant que les clubs « haut de gamme » deviennent la norme, les clubs de striptease étaient glauques et foutaient la chair de poule. Elle me disait toujours : « Chérie, tu es magnifique comme tu es, ne change rien. » Je crois que c’est ce qu’elle m’a dit juste avant que je ne prenne cette photo. Il me semble qu’elle s’était fait refaire le nez, et qu’elle le regrettait, probablement.

J’adorais prendre en photo les drag queens du Pyramid Club à New York. À cette époque, j’analysais leur côté extravagant comme la manifestation d’une grande force intérieure. C’était drôle, plus ils étaient méchants et désagréables avec moi, moins j’arrivais à les ignorer et j’exagérais alors mes attitudes pour compenser. La vérité, c’est que certains m’intimidaient vraiment. Mais d’autres étaient vraiment adorables. Celui sur la gauche s’appelle Olympia.

Il y avait un parc à Rhode Island avec un énorme lac et une plage. C’était génial d’y prendre des photos, l’été. On y trouvait une diversité culturelle incroyable. Ce que j’aime dans cette photo, c’est la confiance qu’ils arborent tous les deux, individuellement et en tant que couple. Ils sont magnifiques. Ils étaient super fiers d’être pris en photo. Je me souviens bien de ça, ça m’a touchée. J’ai toujours trouvé cool qu’elle porte un bikini bicolore.

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J’ai photographié The Lonely Bird Lady un soir d’Halloween. Il était tard dans la nuit, et je rentrais chez moi. Elle marchait toute seule et a aperçu mon appareil photo, alors elle s’est arrêtée et a posé pour moi – sans prononcer un mot.

Quand je me rendais à New York pour voir ma mère, j’allais systématiquement me balader dans les rues avec mon appareil photo et je photographiais les gens que je croisais. Je pense que cette photo a été prise au Rockefeller Center. La ville me semblait alors remplie de femmes comme ça, des femmes aux expressions presque sculptées, les sourcils peints, les cheveux coiffés… Pour moi, les années 1980 constituent, aux États-Unis en tout cas, la période ultime durant laquelle les références aux années 1940 et 1950 étaient encore tolérées. Et maintenant que fumer est de plus en plus un truc cool du passé, les dames de ce genre vont être de plus en plus difficiles à croiser !

J’aime bien celle-là, parce qu’il y a un truc avec cette assiette sale. Je ne sais pas… Ça met en exergue sa fragilité, la vérité sous la violence des néons fluorescents. Pour être honnête, l’ambiance était toujours un peu malsaine dans cette pièce. Ça puait la vieille clope, le parfum de mauvaise qualité, la laque et les sous-vêt’ en nylon pas cher…

J’ai pris cette photo lors d’un concert de Nina Hagen. Ces femmes sont tellement expressives ! Pour moi, elles ont toujours possédé un aspect mythologique – comme les sirènes, ou une espèce d’hydre à trois têtes, exactement comme si elles se partageaient un même corps.

Je faisais un roadtrip avec mon petit ami, en 1987, et on est tombés en panne à Rapid City, dans le Dakota du Sud. Ces bikers squattaient le motel dans lequel on est restés plusieurs jours. Ils s’apprêtaient à aller à Sturgis, pour un grand rallye de bikers dans les Black Hills. Ces gars étaient plutôt hardcore ! Je me suis retrouvée à traîner avec eux quelques jours, puisqu’ils avaient comme nous un problème technique. Du haut de mes 19 ans, je leur vouais un véritable culte, et franchement, je pense que c’est encore le cas aujourd’hui. De nos jours, il est rare de croiser des mecs aussi passionnés et fidèles à une vision et une idéologie propre, qui ne sont pas des wannabe. Ces mecs sont plus proches des cimetières de voitures que des open space de cadres. C’est ce que le type à droite disait ; posséder une casse, et réparer ou construire des Harley, c’était sa principale activité dans la vie.