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Les jeunes filles indigènes du Canada sont sacrifiées à la prostitution

Dans le Grand Nord, les pères de famille partagent leurs filles avec la communauté.

La ville d'Iqaluit. Photo via Wikimedia Commons

Kimmy [ce n'est pas son vrai nom] avait tout juste 12 ans la première fois qu'elle a masturbé un homme pour de l'argent. Sa sœur de 13 ans l'a aidée, et plus elles gémissaient, plus elles se remplissaient les poches. « C'était bizarre, dit Kimmy. C'est un de ces moments où l'on se demande : ce truc est-il réellement en train de se passer ? »

Kimmy est entrée dans l'industrie du sexe via sa sœur tandis que toutes deux vivaient dans un foyer d'accueil du nord de l'Ontario, au Canada. Il s’agissait d’une jeune fille exploitée parmi tant d'autres au sein de la population indienne canadienne. À ceci près que ce ne sont pas des proxénètes qui les mettent sur le trottoir ; il s’agit souvent des propres membres de la famille des filles. Et tout cela a cours au sein même des communautés indigènes, au beau milieu des villes du pays.

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D'après la définition de la justice canadienne, le trafic d'êtres humains se fait par la force, la menace ou la contrainte. Cependant, un groupe d'intervention national spécialisé dans le trafic d'êtres humains tente de modifier la définition juridique. « Les trafiquants ont changé de méthode pour recruter les femmes, pour les attirer et pour les contrôler », précise Diane Redsky, directrice de projet au sein de Human Trafficking Task Force, groupe d'intervention contre le trafic humain à la Fondation canadienne des femmes. Diane Redsky est originaire de Shoal Lake, dans l’ouest de l'Ontario.

Elle affirme qu’aujourd’hui les femmes indigènes – lesquelles sont pourtant la cible privilégiée du trafic – craignent encore rarement pour leur sécurité. Parfois, il ne serait même pas nécessaire de les intimider. « Le trafic de filles indigènes est mené d’une façon bien particulière, explique-t-elle. Les victimes sont d’une manière ou d’une autre liées à leurs trafiquants. »

Diane Redsky ajoute que ces liens sont moins liés à la peur qu'à un fort sentiment de loyauté : « Les trafiquants deviennent des pères, des maris aux yeux de leurs victimes. »

Dans le cas de Kimmy, son maquereau était sa propre sœur.

Kimmy déclare qu’elle vendait son corps non seulement par loyauté envers sa sœur, mais aussi par culpabilité. « Il existe un lien très fort avec le proxénète, en particulier chez les enfants et les adolescents. C’est normal ; ce lien est familial », précise Helen Roos, chercheuse pour la Fondation canadienne des femmes. Elle est à l'origine d'un rapport publié cette année sur l'exploitation sexuelle et le trafic d'êtres humains au Nunavut, le territoire le plus au nord du Canada.

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Selon Roos, les enfants et jeunes atteints du syndrome d'alcoolisation fœtale – et qui ont en conséquence de graves difficultés d'apprentissage – courent également le risque d'être contraints de se prostituer pour rapporter de l'argent à leur famille.

Elle ajoute que la pauvreté peut être un facteur déterminant dans l'exploitation des enfants par les membres de leur famille. Les enfants qui se prostituent sont aussi de plus en plus jeunes. Le rapport révèle qu’au sein même de leur communauté, des filles de 10 ou 11 ans sont parfois forcées à se prostituer.

« Ils recherchent des filles de plus en plus jeunes. C'est une obsession sexuelle extrême », selon les dires d’Helen Roos.

Pour mener à bien la recherche, la Fondation canadienne des femmes a rencontré entre 2013 et 2014 plus de 250 organisations, de même que 160 femmes ayant subi une quelconque exploitation sexuelle. Ce plan fait partie d’une stratégie proposée par le gouvernement canadien à hauteur de 2 millions de dollars afin éradiquer le trafic d'êtres humains. La fondation développe également une stratégie anti-trafic et propose des recommandations à l'adresse du gouvernement fédéral. En gros, ces gens savent qu'il faut agir vite.

« Ce que l'on sait du trafic d'être humains au Canada, c'est que les trafiquants gagnent davantage d'argent avec les mineures qu'avec les femmes adultes, affirme Diane Redsky. Une fois passées la vingtaine, les filles perdent de leur valeur aux yeux des trafiquants. Celles qui restent dans l'industrie courent de graves risques. »

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Elle ajoute : « À 40 ans, elles sont considérées comme mourantes. Nos corps ne sont pas faits pour avoir des rapports sexuels avec une quinzaine d'hommes par jour, 7 jours sur 7. » Helen Roos affirme également que les enfants indigènes se trouvent désensibilisés quant aux problèmes d'exploitation sexuelle. Elle met donc en garde les familles de tribus indiennes contre l’expansion de l’exploitation sexuelle à travers les générations.

« Ma grand-mère aussi faisait cela », dit Kimmy. Aujourd'hui la propre fille de Kimmy se prostitue dans le nord de l'Ontario.

En plus d’élaborer des recommandations à l’adresse de la justice canadienne afin d’agir au plus vite sur la législation, la Fondation canadienne des femmes a mis en place une stratégie anti-trafic. « Il y aura un rôle pour chacun : le gouvernement, les ONG, les acteurs financiers et pour la fondation elle-même, déclare Diane Redsky. Chacun aura un rôle à jouer au Canada. »

Leur stratégie contre le trafic d'êtres humains sera lancée à l'automne 2014.

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