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LE NUMÉRO D'OÙ TU REGARDES, TOI ?

L'Amérique en bâtonnets

Bruce Gilden a immortalisé les plus beaux visages aperçus à la fête foraine du Wisconsin.

Photos : Bruce Gilden

Bruce Gilden, le photographe de Magnum – qui, étrangement, est aussi mon mari – a immortalisé les yakusas japonais, crapahuté dans les bidonvilles de Haïti et passé plus de trente ans à errer dans les pires rues de New York. Mais, c’est une récente visite à la fête foraine du Wisconsin qui lui a offert le matériau photographique le plus exotique de toute sa carrière.

En août, chaque année, plus d’un million d’êtres humains se donnent rendez-vous au State Fair Park de West Allis, dans la banlieue de Milwaukee. Ils viennent ici pour goûter aux cookies frits en bâtonnets, aux Milky Way frits en bâtonnets, au gouda frit en bâtonnets ou encore aux chamallows frits en bâtonnets. Ils viennent aussi pour les tartes à la crème, les hot-dogs de 30 cm, les cuisses de poulet de la taille d’un bébé de six mois et les succulentes pâtes au fromage et au bacon fondues dans un mélange de bière tiède et de Jack Daniels 12 ans d’âge. Bien sûr, ils viennent également pour les spécialités au houblon : les Miller Lite, les Miller Genuine Draft, les Miller 64 ou la « bière de tradition » Leinenkugel (dont les propriétaires ne sont autres que les gérants de la compagnie MillerCoors LLC). Lorsque Bruce est revenu de son escapade, je lui ai demandé comment ça s’était passé.

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VICE : Pourquoi as-tu choisi cet endroit – et cet événement en particulier – pour ton nouveau shoot ?
Bruce Gilden : J’étais à Milwaukee pour Postcards from America, un projet collaboratif en cours que je fais avec d’autres photographes, dans lequel nous choisissons un lieu qui nous intrigue avant de nous y rendre pour jouer avec – comme un groupe de musique visuel, si l’on veut. Martin Parr et moi-même sommes allés à Milwaukee en août dernier et deux autres groupes de photographes iront en janvier, puis en avril. J’ai participé à la troisième session du projet ; le premier avait lieu à Rochester, dans l’État de New York, et le second à Miami. À présent, j’ai un partenariat avec le Guggenheim pour continuer ce boulot dans de nouvelles villes.

Existe-t-il un lien entre les trois segments de Postcards ?
Évidemment, ils ont pour point commun de tous se dérouler aux États-Unis. Mais pour moi, il s’agit d’une continuation de la série que j’avais faite sur les saisies judiciaires dans quatre villes d’Amérique. Ce qui est bien avec Postcards, c’est qu’il s’agit d’un projet en tant que tel et également – pour la plupart des photographes impliqués – d’un espace de créativité permettant de nourrir nos projets personnels.

Comment ça ?
À Rochester, le deal était de revenir avec au moins 100 photos en deux semaines. C’est plutôt dur, donc pour commencer, j’ai décidé de prendre, en plus de mon vieil appareil noir et blanc, un numérique Leica M9, afin de comptabiliser les photos utilisables. Les rues étaient vides et je devais prendre 100 photos ; c’est pourquoi je me suis mis à faire des portraits. Puis je suis allé en Floride et j’ai fait toute la série avec un numérique couleur – des visages pour la plupart. Donc maintenant, tu es un photographe couleur ?
Non. Je vais continuer à faire de la couleur, mais je ne fermerai pas la porte au noir et blanc. Je n’avais pas fait de couleur depuis 1968, et j’ai été surpris de voir à quel point il était simple d’y revenir. Quand je suis arrivé à Milwaukee, je me suis dit que j’allais tout faire au numérique et en couleurs.

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Et tu t’es concentré sur les portraits, donc ?
Oui, en grande majorité, mais ces photos n’ont pas surgi de mon cerveau du jour au lendemain. Ça fait au moins vingt ans que je pense à faire des portraits, juste les visages, et l’idée se réalise seulement aujourd’hui. C’est un long processus et il demande de se poser beaucoup de questions.

Tous les gens que tu as photographiés étaient à la fête foraine ?
Les premiers jours à Milwaukee, je voulais photographier des gens dans la rue, mais il n’y avait personne, sans doute parce qu’environ 120 000 personnes se pressent à la fête chaque jour – c’est pour ça que j’y suis allé à mon tour. Je ne shoote pas des masses. Je prends, en moyenne, dix portraits par jour.

Qu’est-ce qui t’attire dans un visage ?
Pour moi la beauté est partout, mais je suis très difficile. Il y a toujours un détail que je trouve visuellement intéressant et je sais que la force de la photo résidera dans ce détail. Tu dois savoir à l’avance ce qui rendra une photo intéressante, puis tu disposes d’un temps de collaboration entre toi et ton sujet pour en faire une réalité. À la fête foraine, la plupart des gens que j’ai demandé à prendre en photo ont dit oui, mais les photos qui en ont résulté n’ont pas été bonnes à tous les coups.

À quoi tu pensais quand tu prenais ces gens en photo ?
Des tonnes de trucs : Je n’ai jamais vu des gens si larges. Qu’ont mangé ces gens pour devenir si gros ? Ce gamin est sur le point de s’envoyer son bâtonnet de fromage fondu dans l’œil. Ce mec est en train de rentrer chez lui avec 12 pots de crème glacée après avoir fait la queue pendant trente minutes. Il y a beaucoup de femmes aux magnifiques yeux bleus, sont-ils vrais ou s’agit-il de lentilles ? Certaines femmes ont les pieds enflés, je ressens leur douleur à chaque pas. Après sept heures de marche non-stop, je me disais, Allez, encore un dernier tour de la fête foraine, puis je trouvais un endroit où dîner et dormir, afin de pouvoir répéter le cycle le lendemain.

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Quel sera ton prochain projet ?
Tout dépendra des visages.

Photos : Bruce Gilden

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