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L’histoire de l’homme prêt à tout pour faire revoler le Concorde

Depuis le crash de l'avion franco-britannique, Paul James passe sa vie à imaginer comment l'utiliser de nouveau.
Photo via Reuters

Paul James a une idée fixe. Un rêve qui l'empêche de dormir et lui fait dépenser toute son énergie durant la journée. Son fantasme, c'est « Elle ». Le fleuron de l'aviation franco-britannique des années 1970, « le plus beau bijou technologique du XXe siècle », m'explique-t-il des étoiles plein les yeux. En juillet 2000, lorsque le Concorde s'écrase sur la ville de Gonesse quelques minutes après son décollage et provoque la mort de 113 personnes, Paul James est sous le choc. Mais, trois ans plus tard, quand British Airways et Air France décident d'arrêter l'exploitation de l'avion supersonique, l'affaire se transforme en véritable traumatisme pour le Britannique.

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La soixantaine et doté d'une chevelure blanche bien fournie, Paul James est un ancien tour-opérateur. Il est connu pour ne pas se laisser abattre facilement. Ce Britannique – qui a affrété 19 charters de luxe dans sa vie – se vante d'avoir réalisé le voyage le plus cher au monde, avec un aller-retour au Caire en une journée pour visiter les pyramides. Aujourd'hui, il fait appel à tous les contacts glanés au cours de sa carrière : pilotes d'avion, ingénieurs en aéronautique, employés de British Airways ou simples passionnés. Son objectif est de rassembler les amoureux du Concorde qui, comme lui, n'ont qu'une idée en tête, un rêve complètement fou : « la » faire voler de nouveau.

En 2010, il crée donc le Club Concorde – dont il se nomme président. À l'aide de ses nouveaux compagnons de route, il fixe rapidement une marche à suivre. La première étape consiste à racheter l'un des Concorde encore en état pour le ramener à Londres et le transformer en attraction touristique. « Ça va être formidable, précise M. James, enjoué. Il sera installé sur une plateforme flottante située à quelques encablures du London Eye. Tous ceux qui le souhaitent pourront visiter l'avion (…). Nous ouvrirons également un restaurant luxueux où vous pourrez commander les plats qui étaient servis à bord il y a 15 ans. » Une fois la première partie du plan exécutée – il faut déjà trouver un vendeur – le plus dur restera encore à faire : trouver un second Concorde, le restaurer et le voir voler de nouveau.

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« Nous avons réussi à convaincre certaines personnes importantes : le patron de la Formule 1 Bernie Ecclestone, Boris Johnson [l'ancien maire de Londres], ainsi que des Lords britanniques. »

Le moins que l'on puisse dire, c'est que le rêve de grandeur de Paul James n'est pas donné à tout le monde. Le Britannique a passé une grande partie des six dernières années à démarcher de généreux mécènes. Mais, depuis la fin de l'année 2015, ça y est : il pense enfin tenir sa victoire, et s'empresse de l'annoncer à grands coups d'interviews. « Nous avons collecté 160 millions de livres [environ 220 millions d'euros, N.D.L.R.] grâce à plusieurs investisseurs, dont un riche homme d'affaires britannique », affirme l'excentrique sexagénaire. Paul James a refusé de me donner le nom du mystérieux businessman mais m'a garanti que les preuves du financement avaient été dévoilées aux parties intéressées.

Pipeau ou pas, difficile à dire. M. James précise que sur cette supposée somme, 40 millions seront alloués au rachat et à l'installation du Concorde sur la Tamise, tandis que les 120 autres millions de livres seront destinés à l'accomplissement de son véritable rêve. « Nous voulons refaire voler un Concorde. Maintenant que l'argent est là, nous allons le faire », m'assure-t-il avec une grande confiance, avant de lâcher quelques noms pour me prouver qu'il est sérieux. « Et il n'y a pas que l'argent. Nous avons réussi à convaincre certaines personnes importantes : le patron de la Formule 1 Bernie Ecclestone, Boris Johnson [l'ancien maire de Londres], ainsi que des Lords britanniques. »

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Si le président du club Concorde assure à qui veut l'entendre que le plus dur est fait, l'argent ne suffit pas toujours à acheter ses rêves. Un avion supersonique n'est pas une vieille Peugeot 405, et les différents propriétaires semblent plutôt réticents à s'en séparer. En 2013, après avoir essuyé un premier refus de la part de British Airways, le Concorde Club pense avoir trouvé la perle rare pour son projet sur la Tamise.

Athis-Mons, petite commune de l'Essonne sise au sud d'Orly, a hérité de l'un des prototypes en 1986 en échange d'un franc symbolique, comme le précisait Le Parisien il y a quelques mois. La municipalité n'ayant pas les moyens d'entretenir une telle structure, l'avion a fini dans un champ, oublié de tous, excepté des rares personnes qui se rendent au musée local – lors de l'une des deux après-midi par semaine où il est ouvert. Sur la demande du Club, François Garcia, alors maire d'Athis-Mons, a accueilli la délégation et fait visiter l'appareil. « Nous avons été très bien reçus, se souvient Paul. À la fin, il nous a demandé de faire une offre, et nous avons proposé trois millions d'euros. Il semblait intéressé mais devait attendre de se faire réélire aux municipales de 2014 afin de valider le projet. »

Manque de chance, François Garcia n'est pas réélu et Christine Rodier, la nouvelle maire, n'a aucune envie de céder l'avion. « C'est hors de question ? Un don pareil, un tel joyau, ça ne se vend pas », clame-t-on à la mairie. Du côté du Club Concorde, c'est l'incompréhension. « L'avion n'est pas mis en valeur là-bas, le musée n'attire personne et le Concorde a même été recouvert de graffitis il y a quelques années ! » À titre personnel, Paul James souhaiterait que les habitants soient consultés directement sur la question via un référendum local. « À mon avis, les habitants ne sont pas au courant de notre offre, sinon ils seraient intéressés, dit-il. Pour eux, cela correspondrait à 500 euros par couple, et donc à de nombreuses retombées pour l'économie locale. » En attendant, le Concorde d'Athis-Mons ne semble pas près de prendre la direction de Londres. Le Président du Club, toujours aussi mystérieux, assure avoir d'autres plans en réserve.

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« Ces deux avions font partie du patrimoine national. Comme l'indique le Code du Patrimoine, ils sont inaliénables et imprescriptibles, comme le sont la Joconde ou le Château de Versailles. »

Quant à l'avion qu'il souhaite faire voler, les aficionados du Concorde se heurtent également à des bourrasques contraires. Ce n'est pourtant pas faute d'ambition. Tout en haut de leur liste se trouve le Concorde Sierra Delta – l'une des fiertés du musée de l'Air et de l'Espace de Bourget. La partie hydraulique n'ayant pas été entièrement drainée, ce modèle pourrait valoir 120 millions de livres. Problème : lorsque la direction du musée a eu vent du projet des Britanniques via les sorties de Paul James dans la presse, elle a refusé tout de suite.

« Ces deux avions font partie du patrimoine national. Comme l'indique le Code du Patrimoine, ils sont inaliénables et imprescriptibles, comme le sont la Joconde ou le Château de Versailles », a tenu à rappeler le musée via un communiqué. Paul James a tenté de minimiser cet incident en précisant la chose suivante : « Nous n'avons aucune intention de racheter le Concorde du Bourget. Nous voulons simplement l'emprunter. » Les discussions sont pour l'instant au point mort.

Le projet sur la Tamise, en images de synthèse

En imaginant que les Britanniques arrivent à leurs fins, refaire voler l'avion est-il un projet réalisable ? « Techniquement, presque tout est possible aujourd'hui », m'a affirmé Jacques Rocca, chargé du département héritage chez Airbus. « C'est avant tout une question de financement. Avec assez d'argent, on pourrait envoyer des hommes sur Mars. En revanche, c'est un projet extrêmement complexe à mettre en œuvre. » Selon M. Rocca, Il faudrait créer des bureaux d'études et ressortir des cartons les vieux plans des années 1970, afin de les convertir numériquement. « Certains éléments ne sont pas remplaçables, ajoute-t-il. On n'a pas gardé les pièces : il faudrait les fabriquer de nouveau. »

Selon ce spécialiste du Concorde chez Airbus, la facture avoisinerait le demi-milliard d'euros. Pourtant, impossible de faire entendre raison à Paul James. « Nous n'abandonnerons pas, affirme-t-il. Maintenant que nous avons trouvé l'argent, nous irons jusqu'au bout pour redonner vie au Concorde ! »