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Interviews

L’homme qui vandalise les banques pendant les manifs en France

Un extincteur, un burin et des litres de peinture : tout ce qu'il faut pour éclater un distributeur.
Toutes les photos sont publiées avec l'autorisation de Seday.

L'artiste et vandale Seday a défoncé environ 100 banques françaises en quelque six années de pratique. Après avoir longtemps maintenu un silence relatif, il est devenu une figure de proue des mouvances d'extrême gauche ces derniers mois en attaquant systématiquement, en marge des manifestations anti-loi travail, les distributeurs et devantures de banques sur son chemin. C'est notamment à lui qu'on doit les fameuses projections de peinture multicolore à l'entrée des guichets bancaires de France, de même que quelques autres dégâts matériels infligés à l'aide d'un burin.

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Tandis qu'il prépare de nouveaux coups pour les prochaines manifs cet été, je lui ai posé quelques questions au sujet du capitalisme et de sa façon bien particulière de le combattre.

VICE : À quoi ça te sert de vandaliser la façade des banques françaises?
Seday : Eh bien, les banques représentent l'idée de capitalisme dans tout ce qu'il a de plus abject. Ce sont elles qui spéculent. Elles sont à l'origine de la prétendue crise, qui dure déjà depuis huit ans. Durant ce laps de temps, les 500 familles les plus riches de France se sont encore enrichies de plus de 25 %, alors que le reste de la population s'est appauvri. Pareil à l'échelle mondiale. Le jeu est truqué.

Comment ça?
Le jeu est truqué en ce sens que la population est obligée de jouer : on est obligé, par exemple, de disposer d'un compte bancaire. Je casse les banques pour protester face à ça, mais aussi pour faire réfléchir les gens. Imagine une ville où toutes les banques seraient systématiquement défoncées. Je suis certain que cela aurait un impact fort.

C'est déjà le cas depuis trois mois dans les divers mouvements sociaux. À Nantes, Rennes ou Paris, on voit de plus en plus de banques saccagées.
En effet, le mouvement a pris. On était très peu à le faire au début, mais depuis mai, à chaque manif, les banques sont devenues une cible privilégiée. Selon moi, on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. De fait, on ne fait pas de manif sans casser des banques. Cette boutade fait d'ailleurs désormais partie du langage contestataire.

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Parle-moi de la première banque que tu as défoncée.
C'était un Crédit lyonnais. Au début, je ne cassais que des banques Crédit lyonnais. Avec un tag qui disait : « Give me my money back. » C'était il y a environ six ans, lorsque le Crédit lyonnais était à deux doigts de faire faillite. Le gouvernement avait alors obligé chaque citoyen inscrit à la banque à payer 250 euros – c'était directement prélevé de notre compte pour « sauver la banque », prétendu pilier de notre économie. Est-ce que maintenant qu'ils font à nouveau des milliards de bénéfice, ils nous ont rendu nos 250 euros ? Non, bien sûr. Ils ont juste changé de nom. Ils s'appellent désormais le LCL.

Je sais bien que l'on n'arrêtera pas le capitalisme en cassant des banques – il s'agit d'un symbole.

Ces derniers temps, il me semble que tu t'es diversifié. Tu attaques d'autres enseignes que le LCL.
En effet. Aujourd'hui, je m'attaque à toutes les banques, avec une petite préférence pour la Société Générale, surtout depuis la fuite des Panama Papers. Je dirais que l'inspiration de mon style, c'est Jackson Pollock. Je veux que ce soit très voyant et que l'on y ressente toute la colère. Que l'on perçoive le geste en lui-même. Je cherche à ce que ça ne passe pas inaperçu. Je sais bien que l'on n'arrêtera pas le capitalisme en cassant des banques – il s'agit là d'un symbole.

Depuis le début des manifestations cette année, on a vu de nombreux casseurs de banques débarquer sur le marché. Dirais-tu que chaque casseur a un style particulier?
Oui, il y en a que l'on reconnaît tout de suite. Quand je vois telle ou telle slogan, je sais direct qui est l'auteur. C'est un peu comme dans le graffiti, chacun a sa patte. Il y a aussi celui qui peint toutes « ses » banques systématiquement en jaune. Pour moi c'est comme du land art, en version hardcore. Sinon, je crois en effet avoir influencé des plus jeunes avec mes bank paintings, pourvu que le mouvement prenne de l'ampleur.

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As-tu une méthode que tu essaies de suivre à la lettre?
Ma méthode, c'est la destruction maximum. J'attaque les vitres de l'écran des distributeurs au burin, pareil pour les fenêtres : masse et burin. Je mets de la colle forte dans les fentes – celles dédiées au passage de la carte et celle du retour billets –, puis j'asperge le tout de peinture multicolore. C'est esthétique et efficace. J'essaie de mettre de la peinture sur la plus grande surface possible pour que les mecs de la banque soient contraints de changer le plus d'éléments. J'adore l'extincteur aussi. T'ouvres un extincteur, tu remplaces la poudre anti-incendie par de la peinture, et ça donne un jet puissant. Ça en fout partout.

Le rituel, c'est dans l'avant : préparation de l'extincteur, cagoule, puis gants, marteau, un K-way, et un joint.

Comment tu t'organises pour tes repérages?
Ça dépend beaucoup des parcours de la manifestation. En général, avant le jour J, je sais à quelle hauteur se situent les banques qui m'intéressent. Puis, au moment où ça part en manif sauvage, j'improvise. De toute façon il y a toujours une grande part d'improvisation sur place. L'ambiance, le rythme des marcheurs, la pression, et le temps, qui est compté.

Le rituel, c'est dans l'avant : préparation de l'extincteur, cagoule, puis gants, marteau, un K-way, et un joint. Je sais qu'il ne faut pas se faire serrer et que la police guette les bords de cortège.

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Justement, la police a-t-elle déjà réussi à t'arrêter?
[Rires] Pas encore. Mais une fois, il est arrivé que ça passe à deux doigts. Je venais d'attaquer la banque au marteau, et j'étais en train de sortir l'extincteur. Je m'apprêtais donc à dégainer et là, j'entends des manifestants crier : « Oh, y a les Bac-eux ! » Je me retourne et je les vois qui déboulent. J'ai dû décharger tout l'extincteur de peinture couleur rose fuchsia sur eux ! L'un d'eux s'est pété la gueule à cause de la pression. C'était la grosse débandade. Du coup, j'ai pu repartir dans la foule, tranquille.

Mais disons qu'en général ça se passe bien. La foule est solidaire – souvent même, elle applaudit.

Tu opères toujours seul ?
Dans mon cas, oui. J'ai mon propre rythme, mes rituels. Mais j'ai des potes qui sont dans la manif, plutôt délire cortège de tête, et eux ont besoin d'être à plusieurs pour charger ou se défendre. Ils s'attaquent à tout ce qui se trouve sur leur passage, d'ailleurs. Moi je ne vise que les banques. C'est comme partir à la chasse.

Et cette chasse t'a rapporté combien de trophées?
Trop peu : je viens de passer la barre des 100 banques. Mais parmi les 100, il n'y en a qu'une dizaine que je considère comme de vraies œuvres d'art. De l'art éphémère, certes. Je ne prends jamais de photos : toutes celles que je possède, je les ai retrouvées sur internet. C'est l'instant présent que j'aime. Je ne vais pas commencer à faire des petits albums photo comme un papy.

Tu as déjà une prochaine cible en vue ?
Secret défense. Mais disons que les prochains jours vont être chargés. Je me prépare d'ailleurs un petit tour de France pour étendre la pratique. Et qui sait, faire de nouveaux adeptes.