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Hé le Bahreïn, votre campagne RP va tomber à l’eau

Pour régler son problème d’image, le Bahreïn a une solution : dépenser des millions en relations publiques et inviter des journalistes à voir leur magnifique circuit de Formule 1 tout neuf.

Hé, vous êtes membre d’une dynastie moyen-orientale et vous en avez marre de lire des articles au sujet de votre pays du genre « la princesse de Bahreïn accusée de torture » ou « décès d’un adolescent lors d’une manifestation à Bahreïn » ou « poursuite des ventes d’armes à Bahreïn malgré la répression sanglante » ou encore « Haïfa Wahbi victime d’une tentative d’agression sexuelle de la part de l’Emir de Bahreïn » ? Vous souffrez clairement d’un « déficit d’image », comme on dit dans le jargon. Et ce n’est certainement pas un titre isolé comme « Bahreïn, terre de tolérance… » dans un média à la solde du gouvernement qui va faire le poids. Surtout à en croire les points de suspension à la fin du titre qui indiquent clairement que le « journaliste » à l’origine du papier a une famille à nourrir et pas très envie de finir dans une geôle bahreïnie.

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Pour régler ce problème d’image, il faudrait par exemple accepter de faire certaines réformes et arrêter de grossièrement violer les droits de l’homme – haha, je rigole ! C’est certainement pas dans vos projets : il vaut mieux dépenser des millions en relations publiques et inviter des journalistes à venir voir votre magnifique circuit de Formule 1 tout neuf. Selon Bahrain Watch, c’est exactement ce qu’a fait le régime en place : ils ont dépensé au moins 32 millions de dollars en gestion d’image depuis le début du Printemps arabe. Je suis au courant de tout ça parce que l’une des entreprises impliquées a menacé de coller un procès auGuardian pour diffamation, suite à la publication d’un article que j’ai écrit avec Nabeel Rajab et accusant les forces de sécurité bahreïnies de torturer des employés du circuit de F1. On a négocié avec eux d’ajouter une note de bas de page dans l’article contre l’abandon des poursuites, mais le message était clair : nous avons de l’argent et n’hésiterons pas à vous harceler et à vous menacer si vous nous critiquez.

J’ai participé à une réunion intéressante l’autre jour dans un think tank de Londres ; un porte-parole du régime bahreïni m’a confié, naïvement, qu’il n’y avait aucun intérêt à dépenser de l’argent pour améliorer l’image de Bahreïn puisque tout le monde avait pu prendre connaissance du rapport de la Commission d’enquête indépendante de Bahreïn : celui-ci confirme l’usage systématique de la torture à Bahreïn pendant les révoltes. Il est donc surprenant de constater que le régime continue à demander à des entreprises de travailler sur ses relations publiques. D’ailleurs, bon nombre d’individus et de groupes ayant fourni des preuves et des témoignages au Comité d’enquête des affaires étrangères britannique quant aux relations entre le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite et le Bahreïn sont connus pour être des proches du régime bahreïni. Parmi eux, Graeme Lamb, un général à la retraite employé par G3, l’une des plus grosses entreprises travaillant actuellement sur la réputation de Bahreïn – qui a oublié de mentionner ce fait dans la déposition qu’il a présentée au comité.

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Lamb affirme qu’il ne savait pas que le G3 était financé par le Bahreïn lorsqu’il a rédigé sa lettre pro-régime. Il n’a donc pas l’habitude de googler ses employeurs parce que s’il l’avait fait, il aurait appris que le G3 – dont le président se trouve être Gerald Cavendish Grosvenor, duc de Westminster et homme le plus riche du Royaume-Uni – a signé un contrat d’une valeur de 1,7 millions d’euros dans le but d’améliorer la réputation de Bahreïn à l’international. Il a rencontré personnellement le roi Hamad au moins trois fois, dont le mois dernier, afin d’anticiper toute la mauvaise presse que la course de Formule 1 que le Bahreïn organise en avril ne manquera pas de faire naître. Y’a toujours des journalistes pour jouer les rabat-joie.

G3 est un cabinet d’expertise en conseil stratégique qui semble spécialisé dans les affaires fumeuses. Ils étaient impliqués dans le scandale de corruption de Liam Fox en 2011, ils ont bossé pour BAE Systems, la plus grosse entreprise de défense au Royaume-Uni, et viennent d’engager John Yates – l’ex-préfet de police de Londres qui a démissionné suite au scandale des écoutes téléphoniques et qui a ensuite travaillé pour le Bahreïn afin de « reformer » ses forces de l’ordre. Son travail a été aussi inefficace qu’à Londres puisque les flics bahreïnis continuent d’employer la violence contre les manifestants, à grand renfort de gaz lacrymogène et de balles réelles. De l’extérieur, cette entreprise ressemble à un réseau de fonctionnaires et aristos de la vieille école qui, pour gagner de l’argent, utilisent leurs contacts de manière légale mais un peu fourbe. En d’autres mots, c’est le genre d’entreprise qui n’aurait aucuns scrupules à collaborer avec un régime très répressif.

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La ligne principale de la campagne RP de Bahreïn, qui aide à légitimer le régime aux yeux des gouvernements anglais et américain, consiste à dire que le pays est engagé sur le chemin de la réforme. Cela dit, rien n’a changé au Bahreïn depuis, disons, 1950. Les demandes des individus désireux de voir leur pays changer sont restées les mêmes : un gouvernement responsable, élu par le peuple, avec une séparation des pouvoirs et un système judiciaire indépendant. Comme dans le passé, l’opposition est accusée d’être en relation avec des pouvoirs étrangers (l’Iran aujourd’hui, l’Égypte nassériste hier) et le gouvernement reçoit l’aide de « conseillers » anglais. Ces rapprochements sont évidents dans la vidéo ci-dessous, un reportage des années 1950 :

Le Bahreïn a déjà tenté, en vain, d’améliorer son image avec des projets à forte visibilité comme « devenir une destination pour les avions Concorde » ou se lancer dans la Formule 1. (Dans les années 1980, l’Afrique du Sud avait utilisé la Formule 1 dans le même but.) Mais aujourd’hui, la violence empire et les outils numériques à la disposition des manifestants sont beaucoup plus puissants et efficaces que lors du dernier soulèvement, dans les années 1990. Le régime bahreïni doit avoir beaucoup de chutzpah ou d’hybris pour penser qu’une telle « gestion de réputation » puisse tromper quiconque prête ne serait-ce qu’un peu d’attention à ce qui se passe là-bas. Mais s’ils essayaient de prêter un peu plus d’attention à leur peuple, ils ne se seraient pas dans cette situation.

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Le système autocrate sclérosé que les monarques du Golfe affectionnent est décalé, pour en dire le moins, par rapport à la volonté progressiste du peuple sur lequel ils règnent. Les Bahreïnis m’ont souvent répété qu’ils ne voulaient plus être les esclaves de l’État mais des partenaires égaux au sein du gouvernement. Construire un beau circuit automobile et engager quelques conseillers en relations publiques ne changera rien sur le long terme.

John Lubbock a travaillé bénévolement en tant que chercheur au Bahrain Center for Human Rights depuis le début du Printemps arabe. Suivez-le sur Twitter : @jwsal

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