La fille qui a quitté l’Europe pour combattre l’État islamique

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La fille qui a quitté l’Europe pour combattre l’État islamique

Joanna Palani a dit adieu à sa vie confortable au Danemark pour rejoindre les peshmergas en Irak et en Syrie.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

L'appel à la guerre sainte contre les « infidèles » a convaincu plus de 27 000 combattants étrangers venant de 81 pays différents de rejoindre la Syrie et l'Irak – la vaste majorité d'entre eux combattent désormais aux côtés de l'État islamique. La plupart des femmes qui partent faire la guerre se font enrôler par les recruteurs de l'EI. Joanna Palani, elle, est partie combattre aux côtés des Kurdes ; d'abord avec les Unités de protection du peuple (Yekîneyên Parastina Gel, abrégé en YPG), puis avec les peshmergas, la branche armée du Gouvernement régional du Kurdistan. Les peshmergas (littéralement « ceux qui vont au-devant de la mort ») ont joué un rôle important dans le renversement de Saddam Hussein et dans la capture d'Oussama Ben Laden. Ils remportent des victoires significatives face à l'EI en Irak.

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Palani, âgée de 23 ans, étudie la philosophie à Copenhague. Cette fille et petite-fille de combattants peshmergas est née en 1993 dans un camp de réfugiés de l'ONU à Ramadi, en Irak. Sa famille a fui son pays durant la guerre du Golfe. Ils ont emménagé à Copenhague lorsqu'elle était petite. Elle y a mené une « vie normale et confortable ». Ses passe-temps favoris étaient la lecture et le tir. Après avoir touché son premier fusil en Finlande à l'âge de neuf ans, elle est devenue obsédée.

« J'adore ça, déclare-t-elle, c'est ma vie. Il est tout à fait normal pour une Kurde d'apprendre à utiliser des armes comme cela. » Palani parle parfaitement l'anglais avec un accent américain. Elle rigole beaucoup et m'appelle « Madame ».

En 2014, elle a quitté les bancs de la fac pour rejoindre les Kurdes en Syrie. Palani voulait les aider à vaincre l'EI et Assad. « Le 14 novembre 2014, je suis partie en Irak, puis à Rojava, en Syrie. Je suis restée avec les YPG pendant six mois, puis avec les peshmergas les six mois suivants – j'ai combattu pendant un an. »

En novembre 2014, l'armée de Bachar el-Assad avait déjà à son actif trois longues années de meurtres arbitraires sur des civils. Elle avait accumulé une multitude d'armes et de munitions, dont des armes chimiques utilisées sur son propre peuple. Quant à l'EI, il confirmait son expansion dans le nord de l'Irak.

La première expérience de Palani sur la ligne de front a été pour le moins brutale. Alors qu'elle patrouillait aux côtés d'un combattant suédois, ils ont été attaqués par un sniper qui avait repéré la fumée d'une cigarette. Il a tiré une balle pile entre les deux yeux de son camarade. Elle se souvient que la cigarette de ce dernier se consumait alors qu'il était mort, et que son sang se répandait sur son nouvel uniforme.

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« Je lui avais bien dit de ne pas fumer – il ne m'a pas écoutée. Je n'étais pas prise au sérieux en arrivant là-bas, avoue-t-elle. Mais ça a changé après la première attaque. »

En Syrie, elle s'est découvert un don pour tirer au bon moment et garder le silence au bon moment – selon elle, les deux qualités essentielles d'un bon soldat. Son combat contre l'armée d'Assad allait être le plus difficile de sa carrière. Elle avait eu vent d'attaques au chlore, aux bombes barils, et même aux bombes aérosol – toutes étant interdites par le droit international. Le régime d'Assad est jugé responsable de la mort de 81 000 civils. Il fait désormais l'objet d'enquêtes pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

« Les combattants de l'EI sont très faciles à tuer, Madame, déclare-t-elle en riant. Ils sont très forts pour ce qui est de sacrifier leur propre vie. Les soldats d'Assad, en revanche, sont de vraies machines de guerre. »

Palani s'épanche avec fierté sur son rôle dans la formation des jeunes combattantes kurdes. « Les jeunes filles sont incroyables – elles sont euphoriques lorsqu'elles reviennent du front. Elles sont vraiment courageuses, bien plus que je ne l'étais à leur âge. »

Palani quand elle combattait en Syrie. Photos publiées avec son aimable autorisation

Les YPG ont également aidé les familles yazidies à évacuer clandestinement leurs proches hors du territoire de l'État islamique. « Même si je suis une combattante, il m'est difficile de lire l'histoire d'une fillette de dix ans qui meurt suite aux séquelles d'un viol », déclare-t-elle. Les lettres et témoignages de tortures sexuelles ont commencé à affluer à partir d'octobre 2014. Palani s'est vu confier une nouvelle mission début 2015 – elle a découvert, dans un village près de Mossoul, un groupe de fillettes détenues par des militants de l'EI. C'était une « maison de détention » où les jeunes filles étaient enfermées, violées et prêtées aux combattants.

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« Toutes les filles avaient moins de 16 ans – certaines étaient vraiment jeunes. À l'hôpital, j'ai rencontré une chrétienne syrienne de 11 ans. Elle est morte en me tenant la main – elle était enceinte de jumeaux. Son petit visage était tellement enflé. C'était tout simplement injuste. Je me souviens du médecin qui pleurait et nous criait dessus. »

Alors que son père et sa mère à Copenhague craignaient pour la vie de leur fille, Palani a trouvé le bonheur au combat. « Je n'ai jamais eu envie de rentrer chez moi. Pour être honnête, j'ai eu peur par moments. J'espérais survivre. Mais, pas une seule fois, je n'ai voulu rentrer chez moi. Je savais que j'étais au bon endroit. »

Sa carrière militaire semblait être florissante. Puis, l'année dernière, elle est rentrée voir sa famille. « Les peshmergas m'avaient accordé 15 jours de vacances, explique-t-elle. Quand je suis arrivée au Danemark, la police m'a envoyé un mail pour m'informer que mon passeport n'était plus valide et qu'il me serait retiré si je tentais de quitter le pays. Je risquais six ans de prison. »

Et Palani de poursuivre : « J'ai déçu beaucoup de monde. Je formais des filles au combat. Ça revenait à les laisser tomber. »

Palani de retour à Copenhague, où elle étudie la philosophie à l'université. Photo de Sarah Buthmann

Elle en veut énormément au gouvernement danois de lui avoir confisqué son passeport en vertu de lois destinées à empêcher les jeunes pro-EI de prendre part au conflit – ce qu'elle décrit comme une « trahison ». Elle a dû choisir entre renoncer à son passeport ou attendre à Copenhague que la loi soit modifiée et la différencie enfin des combattants djihadistes. « Je dois me souvenir de ce que j'ai vu au combat ; des gens que j'ai laissés là-bas », me dit-elle.

« Ces petites filles – les esclaves sexuelles – je ne peux pas les ignorer, d'une part en tant qu'être humain, mais surtout en tant que fille kurde. Je ne peux pas ignorer ce qu'ils font à ces filles au Kurdistan, sous prétexte que je mène une vie paisible au Danemark. »

Malgré cela, elle est tout aussi réticente à l'idée de perdre les libertés que l'Europe lui offre. Pour l'instant, elle est coincée à Copenhague. Au lieu de combattre avec ses « sœurs » peshmergas, elle étudie à contrecœur la philosophie au Danemark, où le gouvernement paie pour ses études universitaires.

« Je suis une fille kurde européenne. La plupart de mes convictions et idées sont européennes. Je n'aurais pas pu vivre au Kurdistan plus d'un an ou deux – en tant que femme, ce n'est pas idéal. Je donnerais ma vie pour l'Europe, pour la démocratie, pour la liberté et pour les droits des femmes. J'ai la sensation d'avoir été trahie par un système pour lequel j'étais prête à sacrifier ma vie. »