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LE NUMÉRO « LE MONDE VOUS HAIT »

La guerre de Troyes a bien eu lieu

À la fin des années 1930, en France – ou en Angleterre, personne ne s’en rappelle précisément – une poignée de types ont combiné dans une même discipline...

Dernière mise au point entre joueurs du SUMA avant le match de samedi contre les sudistes de Carpentras. À la fin des années 1930, en France – ou en Angleterre, personne ne s’en rappelle précisément – une poignée de types ont combiné dans une même discipline deux trucs qu’ils aimaient par-dessus tout : le foot et la bécane. Sans le vouloir, ils avaient donné naissance à un sport à part entière, qui connaîtra son apogée dans les campagnes françaises au cours des années 1980, le motoball. En 2013, après de nombreux ajustements réglementaires, ce sport consiste à faire s’affronter deux équipes de cinq participants, dont tous les joueurs, sauf les gardiens, sont à moto ; le but est de marquer le plus grand nombre de buts au cours des 80 minutes de jeu, en usant de tous les moyens, notamment pousser, faire tomber ou rentrer sauvagement dans le véhicule de ses adversaires. Aujourd’hui, le motoball n’est plus pratiqué que dans une dizaine de pays d’Europe ; tous les licenciés sont amateurs, sauf en Russie, où l’on trouve encore des équipes semi-professionnelles. C’est dans ce climat de désertion que nous nous rendions à la fin du mois d’avril à Troyes, dans l’Aube, afin de tourner un documentaire sur l’équipe de motoball du coin, le légendaire SUMA. Lorsque nous sommes arrivés un jeudi soir au stade Gaston-Arbouin, les membres de l’équipe avaient déjà enfourché leurs destriers de métal pour leur quatrième entraînement de la saison. Ils avaient l’air prêts à en découdre, mais étrangement inquiets. « Les pluies du printemps ont ravagé le terrain », soupirait Nicolas, pilier du SUMA et ancien capitaine. Il est le seul de l’équipe à avoir la trentaine ; les autres étaient encore cadets la saison précédente. « Ils sont tous minots, ça fait plaisir de les voir jouer ; comme moi, ils donnent tout pour ce sport. J’ai même manqué le mariage de ma sœur pour jouer un match à l’extérieur. » Après avoir mis sa passion en stand-by pendant deux ans, Nicolas est de retour cette saison au SUMA, au sein d’une équipe en pleine reconstruction. Créé à la fin des années 1930 suite à l’union de deux clubs locaux, le SUMA de Troyes est l’un des plus vieux clubs de France, et l’un des plus titrés. Dans les années 1980, le club de Troyes trônait encore tout en haut du classement et plusieurs de ses joueurs étaient fréquemment sélectionnés en équipe de France. C’était le cas des frères Lenoir, dont l’entreprise de transports routiers demeure aujourd’hui l’un des principaux sponsors du club. Idoles du club vantées pour leur jeu physique et symboles des plus belles années du SUMA, les Lenoir ont quitté les terrains il y a des années. Philippe, le cadet, est aujourd’hui l’entraîneur de l’équipe 1. D’apparence moins dure que les autres motoballers du coin, il hurlait pourtant depuis le banc de touche lorsque je l’ai abordé pour la première fois. « Je leur apprends à jouer en équipe ; on a perdu trop de ballons au dernier match », m’a-t-il dit, irrité. Nicolas Wieckzorek, pilier de l’équipe, à l’entraînement. Il reconnaît avoir dédié sa vie au motoball. Le SUMA affichant les résultats mitigés d’une victoire, un nul et une défaite, Philippe Lenoir avait mis la pression sur ses joueurs afin de remporter un match qui s’annonçait difficile contre Carpentras. Outre les joueurs, une dizaine d’autres personnes étaient présentes devant le local du club, une petite cabane de béton et de tôle ondulée. Les planches de bois y ployaient sous les nombreux trophées du SUMA, entassés au-dessus des motos. Président du club, mécaniciens, cadets, compagnes et anciens joueurs étaient réunis autour d’une bière qui, pour certains, allait se prolonger tard dans la soirée autour du barbecue que J.-F., l’un des mécanos de l’équipe, installait déjà devant le local. Tandis que les joueurs nettoyaient méticuleusement leurs motos, les anciens, dont certains avaient remporté une Coupe de France, exprimaient leur regret du bon vieux temps. Jean-Michel, l’une des figures illustres du club, affable et tout bide dehors, nous a dit : « Je me souviens de l’époque où le motoball était un vrai sport d’hommes. C’était comme un sport de contact ; les spectateurs venaient pour le rugissement du moteur, mais surtout pour la castagne. » Près de vingt ans plus tard, cet âge d’or est révolu. Les nouvelles règles imposées par la fédération sanctionnent tout contact, les dirigeants essayant d’adoucir l’image ultra-violente du motoball. Selon Jean-Michel, cette prise de position dénature l’esprit originel de son sport favori. Depuis, il ne se rend aux matchs qu’à de rares occasions. « Il manquerait plus qu’on passe à la moto électrique », nous a-t-il dit, dégoûté. Lorsque l’on retrouvait le stade Gaston-Arbouin deux jours plus tard, il était rempli de plusieurs centaines de personnes. Outre les passionnés de toujours et les Diables rouges, le fan-club officiel du SUMA, de nombreuses familles étaient venues soutenir leur équipe. Pas un bruit ne s’échappait des gradins remplis, où tout le monde semblait savourer les ronronnements des moteurs et l’odeur d’essence qui s’élevait dans la nuit tombante. Après le dernier coup de sifflet d’une rencontre virile, les joueurs des deux équipes retrouvaient leurs parents, compagnes, supporters et entraîneurs au bord du terrain, où les bénévoles du club avaient posé des tréteaux et sorti Ricard et merguez. On a passé les heures suivantes à boire à leurs côtés, souriant à leurs blagues parfois agressives. Les rivalités du terrain semblaient avoir disparu en même temps que les motos. Philippe Lenoir a posé son verre, fendu la petite foule et rejoint les arbitres qui s’apprêtaient à partir : il les a remerciés de ne pas avoir sifflé les fautes, comme à la grande époque. La mère d’un joueur de l’équipe adverse a acquiescé, avant d’ajouter : « C’était vraiment du beau motoball. » Regardez notre documentaire Allez la France sur le motoball à Troyes, la semaine prochaine sur VICE.com.