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La jeunesse dorée chinoise dépense ses yuans sans compter

J’ai passé un week-end de luxe et de tristesse dans les clubs élitistes de Shanghai.

Si vous dites à un jeune de Shanghai que vous avez l'intention de faire la fête, il y a peu de chance qu'il s'imagine que vous allez passer votre nuit à boire des cocktails hors de prix dans un club qui pue la transpiration en compagnie d’adolescents cocaïnomanes. Pourquoi ? Parce que la vie nocturne des jeunes Chinois est très différente de la nôtre.

Alors que la jeunesse européenne préfère neutraliser ses neurones à grand renfort de substances psychoactives illicites, une nouvelle classe de jeunes Chinois passe son temps à vider des jéroboams de champagne et à se pavaner dans des voitures de luxe. La Chine a l'économie la plus dynamique au monde et produit des millionnaires par milliers, bien plus que n'importe quel autre pays – exception faite des États-Unis. J'ai décidé de passer un week-end dans les clubs de la ville afin de découvrir comment la jeunesse chinoise dépensait ses yuans.

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Ma première escale s’est faite au Linx, un club qui a ouvert récemment ses portes en partenariat avec le Yacht Club de Monaco. Les videurs se sont assurés qu'aucun prolétaire ne puisse entrer dans la boîte en ne laissant passer que des types qui avaient réservé une table à l'avance. Cette dépense importante leur assure le droit d'être servis par une jeune fille habillée en gogo-danseuse – les seins à peine couverts par un haut très léger. Cette demoiselle leur évite ainsi de devoir se baisser pour remplir leur verre – un effort bien trop important pour une génération peu habituée à se servir soi-même.

La première chose qui m'a frappé en arrivant au Linx est l'absence de dancefloor. À l'endroit où il devrait se trouver, les concepteurs du lieu ont en effet eu l’idée de créer un carré VIP bâti sur des pompes hydrauliques, ce qui permet aux plus riches de s'élever littéralement parmi les clients et de dominer la foule du regard en buvant du champagne hors de prix.

Si le fait de déboucher des bouteilles de champagne en permanence n'est pas un phénomène réservé à la Chine, force est de constater que les serveurs locaux font ce qu'ils peuvent pour rendre la chose extravagante. Munis de gants luminescents, ils fendent la foule avant d'accéder au carré VIP.

Ci-dessus, vous pouvez observer des danseurs engagés pour divertir les clients. Au Linx, les mecs dépensent sans compter pour voir des gens danser à leur place. Vous n'aurez que très peu de chance de croiser quelqu'un en pleine une démonstration de hakken, j'en suis navré.

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Le manager du club, Kyle Sun – qui est en veste noire sur la photo – m'a parlé des différentes prestations proposées par le Linx : « Pour ce que l'on appelle le « train de champagne », vous devez commander au moins six bouteilles. Un Dom Pérignon coûte 3 180 yuans (377 euros), la bouteille la plus chère 9 000 yuans (1066 euros) – si les gens la commandent, ils ont le droit d'avoir les plus belles serveuses de notre club. »

Le club entier est pensé pour mettre en avant l'opulence de ses clients et les inciter à dévoiler leur fortune aux autres – de la caisse à champagne transparente qui traverse la foule jusqu'aux tables visibles par tout le monde. Même si l'ambition de Sun à long terme est de transformer le Linx en un club privé, son art de cultiver la consommation outrancière a fait du lieu un véritable succès.

« Les riches Chinois veulent venir à Shanghai pour voir une ville internationale, m'a-t-il raconté. Ils viennent avec beaucoup d'argent et veulent impressionner les autres. S'ils voient une table avec 50 bouteilles de champagne, ils en voudront aussi. Certaines personnes sont des nouveaux riches et ils commandent du Dom Pérignon sans savoir vraiment ce que c'est. Nous ne devrions peut-être pas les inciter à boire autant, mais d'un point de vue économique nous sommes très satisfaits. »

John Osburg, professeur d’anthropologie à l'Université de Rochester, a passé des années  à trinquer avec les nouveaux riches chinois afin de rédiger son livre Anxious Wealth : Money and Morality Among China's New Rich « La consommation des élites est assez différente de ce que vous voyez aux États-Unis, où les très riches cherchent à se démarquer, » m'a-t-il dit. « En Chine, la logique est la suivante : je veux acheter ce que tout le monde peut reconnaître. »

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« De nombreux nouveaux riches sont originaires des régions rurales du pays. On parle de ces gens comme des tuhao – des péquenauds, en fait. Le type qui vient de la campagne et qui débarque dans un club va être impressionné en voyant du Dom Pérignon. De nombreux Chinois disent : nous ne voulons pas le meilleur, nous voulons le plus cher. »

La notion de réputation est centrale pour la société chinoise. « Un jour, un de nos clients a commandé 100 bouteilles pour seulement 10 personnes », m'a dit Sun avec un petit sourire. « Mais ça ne pose pas de problème – nous les gardons de côté et ils pourront les boire une prochaine fois. Ce client est devenu célèbre en faisant ça, et c'était son objectif. »

Le samedi après ma visite au Linx, Nicole Kidman – qui était dans la ville pour un festival – a été invitée dans le carré VIP du club. « Oui, il nous arrive de payer des célébrités pour qu'elles viennent chez nous, a admis Sun. Le tarif minimum pour s'assoir à la table voisine était de 40 000 yuans (4700 euros). »

Avant de quitter le Linx, j'ai pu discuter avec cette fille, Meggy, qui avait l'air d'avoir une très bonne image d'elle-même. « La nouvelle génération de jeunes Chinois veut simplement en mettre plein la vue », m'a-t-elle confié. Les mecs veulent impressionner les filles en achetant du champagne, et généralement ça marche. Ce n'est peut-être pas bien – je veux dire, il y a tellement de pauvres en Chine. Mais je suis ici – tout se passe bien, et je n'ai pas besoin de payer mes verres de champagne. »

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En sortant du Linx, j'ai remarqué un alignement de voitures de luxe et j'ai un peu flippé en imaginant ces jeunes reprendre le volant après une nuit passée à boire du Dom Pérignon.

Puis j'ai pris la direction du Mook, un club ouvert il y a deux ans. On m'avait dit qu'il était un peu moins « chic » que le Linx.

Voilà à quoi il ressemblait.

Il était 1h du matin et tout le monde était bourré. Le champagne était l'alcool le plus populaire par ici, mais j'ai aussi vu pas mal de bouteilles de whisky – souvent d'une taille très impressionnante.

Le manager du Mook, Hu Hong, m'a donné quelques informations sur l'identité de ses clients. « Ce sont généralement des jeunes de Shanghai qui sont des enfants de nouveaux riches. Certains ne font rien de leur vie, mais d'autres travaillent assidûment avec leurs parents. Ils viennent ici pour mettre en avant leur réussite. Leurs parents se connaissent tous et lorsque l'un d'entre eux débarque une fille sexy et commande 100 bouteilles, la compétition démarre. »

Hu Hong a tissé des liens très forts avec ses clients, qui le lui rendent bien en commandant parfois pour plus de 50 000 yuans (5900 euros) par table. Ces types demandent généralement à être placés au milieu de la boîte – là ou la piste de danse devrait être – afin que tout le monde puisse les voir. « Nous avons aussi un système de badges lumineux », m'a expliqué Hu. Lorsque les gens commandent plus de cinq bouteilles, ils ont le droit à un seau à champagne avec un badge ultra-visible. »

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« Certains clubs ont des feux d'artifice qui vont avec le champagne, a poursuivi Hu. Mais ça me paraît complètement ringard. »

Il existe bien des clubs comme le Mook dans de nombreuses villes de Chine, mais aucun autre endroit n'a une culture club aussi ostentatoire que celle de Shanghai. Les capitales occidentales ont tendance à réunir l'élite fortunée dans des lieux très privés, mais Shanghai a fait de l'opulence une norme – en plus du Linx et du Mook, il existe des clubs comme le M2, le M on The Bund, le 7th Floor et le Myst (en photo ci-dessus).

Mais pendant combien de temps cette génération pourra-t-elle se permettre de commander 100 bouteilles de champagne par soirée ? L'économie chinoise montre actuellement quelques signes de faiblesse. « Certains Chinois ont peur de perdre leur statut, m'a raconté Osburg.  Ils veulent en profiter tant qu'il est encore temps. »

Jamie Fullerton est un journaliste indépendant dont le travail a été publié par The Times, le Sunday Times et The Independent.