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La manifestation fantôme des Kurdes d'Europe à Paris

Samedi 12 janvier, c’est sous le ciel gris de Paris que plus de 10 000 Kurdes se sont retrouvés à Gare de l'Est pour protester contre l'assassinat, dans le 10e arrondissement parisien, de trois militantes du PKK.

Samedi 12 janvier, c’est sous le ciel gris de Paris que plus de 10 000 Kurdes se sont retrouvés à Gare de l'Est pour protester contre la mort de trois militantes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), tuées froidement la semaine dernière dans le Centre d'information du Kurdistan situé dans le 10e arrondissement de Paris. Malgré l'indifférence médiatique, les manifestants ont passé plusieurs heures à brandir de multiples drapeaux à la gloire du Kurdistan, de la paix (dont les couleurs officielles sont les mêmes que celles du drapeau gay), du PKK et de leur chef Abdullah Öcalan, détenu sur une île-prison depuis 1999.

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Les membres du PKK bénéficient d’une réputation ultra badass dans le militantisme terroriste international ; selon les autorités turques, entre 1987 et 2002 le PKK aurait assassiné 5 335 civils turcs et en aurait blessé 10 700. La plupart de leurs actions tournent autour de kidnappings et d'attentats contre leur ennemi principal : la Turquie. Celle-ci, au même titre que l'Irak, l'Iran et la Syrie (les trois autres pays que chevauche le territoire kurde) refuse d'accorder au peuple kurde un territoire reconnu par la communauté internationale. Mais l'histoire tend à prouver que c'est au peuple turc que les Kurdes accordent la plus grande détestation. Le gouvernement turc ne reconnaît même pas l'existence de la région et se contente de nommer le Kurdistan turc « l'est du pays ». Forte de cette connaissance de faits partagés par la matrice Wikipédia, j'ai décidé de partir à leur rencontre et de me forger ma propre opinion sur cette communauté que je connaissais peu.

Dans le métro, j’étais assise en face d’un jeune homme qui se rendait au même endroit que moi ; c’est la conclusion que j’ai tirée en le voyant enroulé dans un drapeau kurde géant, le visage encagoulé dans un keffieh. Une fois sur place, tout semblait calme, malgré les nombreux manifestants – 50 000 selon les organisateurs et cinq fois moins selon la police. La moyenne d’âge des représentants de la jeunesse kurde avoisinait les 50 ans, ce qui laisse à penser que les Kurdes ont une espérance de vie considérablement supérieure à la moyenne mondiale.

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Très peu parlaient français ; j'ai remarqué que beaucoup avaient fait le chemin depuis la Suisse, l’Allemagne et l’Autriche pour dresser le poing en direction du ciel parisien l'espace de quelques heures. Malgré les chiffres avancés par la police, je n’ai croisé sur place aucun représentant des forces de l’ordre. Des Kurdes s’improvisaient agents de sécurité et invitaient chaleureusement les curieux à se joindre à leur cause dans un anglais revisité.

Un jeune Kurde de 60 ans invite les passants à se joindre au rassemblement en brandissant deux drapeaux : celui du Congrès du PKK et celui du KCK (l’Union des communautés du Kurdistan).

La Turquie et le PKK sont en conflit permanent depuis plus de vingt-cinq ans ; si l'on compte les avancées kurdes et les réponses de l'armée turque, plus de 40 000 personnes auraient perdu la vie entre 1984 et 1999 des suites de la guerre civile. Dans les années 2000, les Kurdes ont cependant obtenu le droit de mater la télé en langue kurde via des programmes spécifiques sur plusieurs chaînes satellites du Moyen-Orient. Avant cela, il était encore interdit de parler kurde sur le territoire turc – il y avait une vraie loi à ce propos.

Plus loin, un petit groupe de jeunes s’était formé. Ils dansaient en cercle, dégageant une vibration à la fois comique et menaçante, en chantant devant une large banderole noire sur laquelle on pouvait lire la mention « Intikam PKK ». J’ai demandé à l’un d’entre eux la signification de Intikam. Il m’a d’abord fixée, puis s’est adressé à ses amis en empruntant un ton de dictateur ; c’est là qu’un type s’est approché de moi, a retiré sa cagoule et m’a dit : « Qu’est-ce que tu veux savoir ? »

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Ils étaient très peu à parler français mais nombreux à vouloir établir le dialogue. J’avais beau leur dire que je ne parlais pas kurde, ils insistaient, en parlant plus fort, plus lentement, de manière plus articulée. La plupart du temps, ils illustraient leurs propos d’une gestuelle inefficace. Quand je portais mon appareil photo au visage, ils affluaient tous vers moi, et se tenaient immobiles devant l’objectif, affichant leur plus beau sourire. Je n’ai pas vraiment saisi le message qu’ils essayaient de véhiculer en prônant à la fois la paix et le désir de vengeance, mais ils se sont montrés très avenants.

Trois Kurdes posent devant une banderole sur laquelle on peut lire « Vengeance PKK ». Leur manière de se saper est assez vengeuse elle aussi.

Au moment du triple homicide, la Turquie et le PKK étaient en pleine négociation, vraisemblablement motivée par l'élection présidentielle turque à venir en 2014. Pour les Kurdes, l'assassinat constitue évidemment un coup monté par la Turquie. Cela étant, personne n’était à la manifestation pour dénoncer le peuple turc, mais plutôt pour sommer la France de mener les investigations nécessaires afin de résoudre l'affaire. Aussi, les manifestants tenaient à taire les théories fantasmagoriques à propos d'éventuels « conflits internes au sein du PKK », « coups dirigés par la Turquie », « acte raciste », etc.

Malgré la relation électrique qu’entretiennent la Turquie et le Kurdistan, plusieurs Turcs étaient présents pour manifester leur soutien et leur soif de paix. Je suis aussi tombée sur un groupe de Français avec lesquels j’ai aussi tenté d’établir le dialogue. Ils m’ont dit être « internationalistes » et m’ont collé un prospectus entre les mains avant de me tourner le dos.

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Pour prendre de la hauteur et de meilleures photos, j’ai jugé bon de grimper sur l'un de ces géants et monotones pots de fleurs qui ornent la place de la Gare de l’Est. Après m’être retrouvée à 80 cm au-dessus de tout Paris, un type à côté de moi s’est mis à me parler, très sec, avant de saisir le pot entre ses mains. Je me suis d’abord demandé si c’était à moi qu’il parlait, puis ce qu’il me disait, et ensuite ce qu’il me voulait. J’ai finalement compris qu’il essayait de me stabiliser le temps de mes photos. Le pot était bancal et humide. En descendant je l’ai remercié, ce à quoi il a répondu « dangerous ! »

Le type moustachu qui orne les drapeaux jaunes s'appelle Abdullah Öcalan ; c'est le chef du PKK. D'abord condamné à mort pour trahison, sa peine a depuis été commuée en emprisonnement à perpétuité. 

Il pleuvait de plus en plus et j'avais enfin réussi à interagir avec quelqu’un. Forte de ce succès, j’ai décidé de rejoindre la première bouche de métro venue : même sous terre, Paris était coloré en jaune, vert et rouge. En matant le Net le lendemain, j'ai constaté que les chants et les marches avaient continué deux heures après mon départ ; j'ai bien dû fouiller quelques minutes le site du Monde avant de trouver une brève qui évoquait la manif.

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