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Laurent Alexandre : Prenons un simple constat. Il y a de moins en moins de maladies mortelles. La variole, la peste ou le choléra sont des maladies que l'on sait parfaitement guérir aujourd'hui. À l'avenir, les maladies restantes, comme le cancer ou le sida, seront très certainement éradiquées. Correctement traité, même le sida n'est déjà presque plus une maladie mortelle. Ce qui veut dire que la dernière des pathologies sera notre propre vieillissement. C'est la dernière maladie vraiment compliquée, puisqu'elle se solde par la mort et qu'elle semble pour le moment inéluctable. Sur quelques décennies, nous sommes en train de passer d'une lutte contre la maladie à une lutte contre la Mort.
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Augmenter l'espérance de vie n'a de sens que si l'on fait régresser le vieillissement. À quoi bon vivre 1000 ans si c'est pour en passer 100 actif et 900 incontinent sous assistance respiratoire ? Je ne sais pas exactement quelle tête nous aurons, mais nous serons en bonne santé et relativement jeunes la majorité de notre millénaire.Tout cela risque d'être un peu compliqué à financer, non ?
Les grandes firmes, comme Google, n'en ont pas fini d'innover. Pas mal de gens l'ignorent, mais l'une des filiales de Google, Calico, a pour seul et unique but de prolonger l'espérance de vie humaine d'une vingtaine d'années. Ce sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou d'autres nouveaux challengers de pointe qui prendront le contrôle de nos systèmes de santé d'ici 2050.
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La santé physique est en passe de devenir une santé numérique, où les GAFA innovent et dominent largement le marché, tandis que les laboratoires ou les centres de recherche s'écrasent petit à petit en perdant du terrain. Un médecin généraliste ne sera jamais capable d'analyser les milliards de données d'un séquençage ADN sur une consultation de 15 minutes. Google sera en mesure de le faire.
Je pense que non. À mon avis, l'être humain n'a pas vocation à vivre loin de ses problèmes existentiels. Il y aura certainement de nouveaux problèmes…Comme la régulation massive des naissances ?
C'est assez délicat, mais certains transhumanistes, comme l'ex-journaliste et blogueur américain Zoltan Istvan, ont imaginé qu'il existerait des « permis d'enfanter ». Il est vrai que sans ça, la population planétaire risquerait d'atteindre d'étranges sommets.Que va-t-il advenir de ceux qui n'auront pas accès à ces avancées ?
Ces technologies seront gratuites. C'est une erreur de penser que ces avancées sont élitistes. Elles se démocratiseront aussi vite que le téléphone portable, même si cela prendra forcément plus de temps dans certaines régions moins développées. En 2003, le premier séquençage complet d'ADN humain a coûté près de trois milliards de dollars et a duré 15 ans. Aujourd'hui, il est possible de séquencer de l'ADN pour 1000 dollars, en l'espace de quelques heures. On ne démocratisera certainement pas le week-end sur Mars, trop gourmand en temps et en énergie, mais le séquençage, lui, ne consomme presque rien, ne coûtera presque rien et est applicable à échelle mondiale. Ce sera une nouvelle forme de carte d'identité.
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Vu l'explosion de la croissance robotique, je ne pense pas que le problème en vienne à se poser de cette façon. 9 emplois actuels sur 10 sont parfaitement robotisables à moyen ou long terme : de la boulangerie à la chirurgie, 90% des métiers seront occupés par des systèmes robotisés bien plus performants que nous. Je suis moi-même chirurgien, mais je sais que je ne pourrai pas rivaliser avec le robot chirurgical de pointe qui viendra me prendre mon job en 2035. Un robot, c'est plus fiable, plus performant, plus constant, et… ça ne picole pas en salle de garde.1000 ans sans rien faire… C'est la porte ouverte au millénaire des drogues et de l'alcool ?
C'est une possibilité ! Mais j'imagine que d'ici là, de nouveaux métiers auront émergé. Parmi les scénarii possibles, on retrouve les paradis virtuels, la conquête de l'espace, la lutte contre la mort de l'univers, le développement de l'art et de la culture… À notre échelle, le choc technologique est tellement violent que tout est envisageable. Il faut déconstruire ce que l'on connaît et ce que l'on prend pour Vrai pour inventer le futur.Avez-vous commencé à observer des changements par rapport à la manière dont le transhumanisme est perçu depuis que vous vous exprimez sur le sujet ?
Chez les médecins, pas du tout. On dirait qu'ils sont incapables de se projeter. En revanche, les dirigeants politiques et les grands industriels commencent vraiment à saisir l'ampleur de ce qui est en train d'arriver.On pourrait presque s'attendre à une guerre qui opposerait les bioconservateurs et les transhumanistes ?
C'est inévitable. La société sera bouleversée dans des proportions que l'on n'imagine même pas. Et quand cela arrivera, politiquement, plus personne n'en aura rien à faire de la droite ou de la gauche. Il faudra choisir son camp d'un point de vue éthique.J'aurais tendance à parier sur les transhumanistes.
Je pense aussi. Les gens sont prêts à tout pour vivre plus, souffrir peu et vieillir moins. L'Histoire nous l'a déjà démontré.En fait, la question du transhumanisme, c'est un peu comme essayer de visualiser l'infini. Le cerveau humain ayant besoin de se définir par un système de limites, on finit juste par avoir un peu mal au crâne. Mais peut-être que les futures cellules augmentées de mon cerveau me permettront d'y voir plus clair. Et de percevoir de nouvelles couleurs. Et de communiquer avec les baleines (s'il en reste). Mais le truc, c'est que quand je pense à ce que Keyboard Cat a été capable de faire à Internet en moins d'une minute, je pense parfois qu'il vaudrait peut-être mieux qu'il ne nous reste de manière générale jamais plus d'un gros siècle à vivre.Suivez Laurianne sur Twitter.