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Interviews

L’homme s’apprête à annihiler le concept de mort, selon le co-fondateur de Doctissimo

Laurent Alexandre nous a expliqué comment l'humain trouverait son salut grâce au transhumanisme.

Extrait du film RoboCop de Paul Verhoeven. Photo via

Il n'y a pas si longtemps, plusieurs magazines ont commencé à titrer sur ce que je prenais à l'époque pour une pseudo-vérité à finalité principalement racoleuse, avec la phrase suivante : « L'homme qui vivra 1000 ans est déjà né ». Une expression toute faite à laquelle il était difficile de trouver à y redire sans avoir passé le premier quart de sa vie à tenter de comprendre le génome humain et ses mystères, ou à avoir étudié La Mort de la Mort, de Laurent Alexandre, le seul bouquin transhumaniste français vraiment pertinent (selon lui, tout du moins). Pourtant, aujourd'hui, la question du transhumanisme – un genre de corps augmenté grâce aux nouvelles technologies – et d'une extra-longévité semble agiter le monde entier.

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Récemment, j'ai rencontré le chirurgien-urologue Laurent Alexandre, accessoirement co-fondateur de Doctissimo – à savoir le site le plus anxiogène que la Terre ait portée. Fidèle à ses thèses transhumanistes, il préside aujourd'hui DNA Vision, l'une des premières entreprises à séquencer le génome humain à grande échelle. Avec ce parcours démoniaque mais tout indiqué, je suis allée lui demander si, à défaut d'identifier clairement les élus millénaires de demain, nous pouvions émettre des hypothèses quant à la société qui nous attendra lorsque quelques pourcents de la population vivront 10 fois plus longtemps que n'importe quel être humain aujourd'hui.

Laurent Alexandre lors d'une conférence à Paris. Photo publiée avec son aimable autorisation

VICE : Pour commencer, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure l'être humain devrait être capable de vivre 1000 ans ?
Laurent Alexandre : Prenons un simple constat. Il y a de moins en moins de maladies mortelles. La variole, la peste ou le choléra sont des maladies que l'on sait parfaitement guérir aujourd'hui. À l'avenir, les maladies restantes, comme le cancer ou le sida, seront très certainement éradiquées. Correctement traité, même le sida n'est déjà presque plus une maladie mortelle. Ce qui veut dire que la dernière des pathologies sera notre propre vieillissement. C'est la dernière maladie vraiment compliquée, puisqu'elle se solde par la mort et qu'elle semble pour le moment inéluctable. Sur quelques décennies, nous sommes en train de passer d'une lutte contre la maladie à une lutte contre la Mort.

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Avec les technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), le vieillissement sera presque inversé. Il suffit d'attendre un peu avant que l'on soit capables d'injecter du numérique dans des unités de plus en plus petites, jusqu'à nos cellules. On ne s'en rend pas compte, mais nous sommes déjà en train de retarder notre vieillissement : à l'heure actuelle, pour chaque année passée (à vieillir, donc), nous ne nous rapprochons de notre mort que de neuf mois. Cela veut dire que notre corps ne vieillit déjà plus tout à fait à la même allure que nous. En outre, le séquençage ADN, qui permet de déterminer de manière définitive notre génome (et ses éventuelles défaillances), nous permet de proposer des traitements parfaitement adaptés à chaque individu.

Extrait du film RoboCop de Paul Verhoeven. Photo via

Mais à quoi va-t-on ressembler à, disons, 600 ans ?
Augmenter l'espérance de vie n'a de sens que si l'on fait régresser le vieillissement. À quoi bon vivre 1000 ans si c'est pour en passer 100 actif et 900 incontinent sous assistance respiratoire ? Je ne sais pas exactement quelle tête nous aurons, mais nous serons en bonne santé et relativement jeunes la majorité de notre millénaire.

Tout cela risque d'être un peu compliqué à financer, non ?
Les grandes firmes, comme Google, n'en ont pas fini d'innover. Pas mal de gens l'ignorent, mais l'une des filiales de Google, Calico, a pour seul et unique but de prolonger l'espérance de vie humaine d'une vingtaine d'années. Ce sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ou d'autres nouveaux challengers de pointe qui prendront le contrôle de nos systèmes de santé d'ici 2050.

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C'est un peu déroutant… Que vont devenir les médecins généralistes ?
La santé physique est en passe de devenir une santé numérique, où les GAFA innovent et dominent largement le marché, tandis que les laboratoires ou les centres de recherche s'écrasent petit à petit en perdant du terrain. Un médecin généraliste ne sera jamais capable d'analyser les milliards de données d'un séquençage ADN sur une consultation de 15 minutes. Google sera en mesure de le faire.

Extrait du film RoboCop de Paul Verhoeven. Photo via

Éradiquer la Mort permettrait-il de régler certains problèmes majeurs de l'humanité ?
Je pense que non. À mon avis, l'être humain n'a pas vocation à vivre loin de ses problèmes existentiels. Il y aura certainement de nouveaux problèmes…

Comme la régulation massive des naissances ?
C'est assez délicat, mais certains transhumanistes, comme l'ex-journaliste et blogueur américain Zoltan Istvan, ont imaginé qu'il existerait des « permis d'enfanter ». Il est vrai que sans ça, la population planétaire risquerait d'atteindre d'étranges sommets.

Que va-t-il advenir de ceux qui n'auront pas accès à ces avancées ?
Ces technologies seront gratuites. C'est une erreur de penser que ces avancées sont élitistes. Elles se démocratiseront aussi vite que le téléphone portable, même si cela prendra forcément plus de temps dans certaines régions moins développées. En 2003, le premier séquençage complet d'ADN humain a coûté près de trois milliards de dollars et a duré 15 ans. Aujourd'hui, il est possible de séquencer de l'ADN pour 1000 dollars, en l'espace de quelques heures. On ne démocratisera certainement pas le week-end sur Mars, trop gourmand en temps et en énergie, mais le séquençage, lui, ne consomme presque rien, ne coûtera presque rien et est applicable à échelle mondiale. Ce sera une nouvelle forme de carte d'identité.

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Avec des vies aussi longues, les États pourraient-ils en venir à « réquisitionner » quelques années des citoyens pour les faire travailler à leur compte ?
Vu l'explosion de la croissance robotique, je ne pense pas que le problème en vienne à se poser de cette façon. 9 emplois actuels sur 10 sont parfaitement robotisables à moyen ou long terme : de la boulangerie à la chirurgie, 90% des métiers seront occupés par des systèmes robotisés bien plus performants que nous. Je suis moi-même chirurgien, mais je sais que je ne pourrai pas rivaliser avec le robot chirurgical de pointe qui viendra me prendre mon job en 2035. Un robot, c'est plus fiable, plus performant, plus constant, et… ça ne picole pas en salle de garde.

1000 ans sans rien faire… C'est la porte ouverte au millénaire des drogues et de l'alcool ?
C'est une possibilité ! Mais j'imagine que d'ici là, de nouveaux métiers auront émergé. Parmi les scénarii possibles, on retrouve les paradis virtuels, la conquête de l'espace, la lutte contre la mort de l'univers, le développement de l'art et de la culture… À notre échelle, le choc technologique est tellement violent que tout est envisageable. Il faut déconstruire ce que l'on connaît et ce que l'on prend pour Vrai pour inventer le futur.

Avez-vous commencé à observer des changements par rapport à la manière dont le transhumanisme est perçu depuis que vous vous exprimez sur le sujet ?
Chez les médecins, pas du tout. On dirait qu'ils sont incapables de se projeter. En revanche, les dirigeants politiques et les grands industriels commencent vraiment à saisir l'ampleur de ce qui est en train d'arriver.

On pourrait presque s'attendre à une guerre qui opposerait les bioconservateurs et les transhumanistes ?
C'est inévitable. La société sera bouleversée dans des proportions que l'on n'imagine même pas. Et quand cela arrivera, politiquement, plus personne n'en aura rien à faire de la droite ou de la gauche. Il faudra choisir son camp d'un point de vue éthique.

J'aurais tendance à parier sur les transhumanistes.
Je pense aussi. Les gens sont prêts à tout pour vivre plus, souffrir peu et vieillir moins. L'Histoire nous l'a déjà démontré.

En fait, la question du transhumanisme, c'est un peu comme essayer de visualiser l'infini. Le cerveau humain ayant besoin de se définir par un système de limites, on finit juste par avoir un peu mal au crâne. Mais peut-être que les futures cellules augmentées de mon cerveau me permettront d'y voir plus clair. Et de percevoir de nouvelles couleurs. Et de communiquer avec les baleines (s'il en reste). Mais le truc, c'est que quand je pense à ce que Keyboard Cat a été capable de faire à Internet en moins d'une minute, je pense parfois qu'il vaudrait peut-être mieux qu'il ne nous reste de manière générale jamais plus d'un gros siècle à vivre.

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