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La morve d'anguille is the new black

Au Canada, un groupe de chercheurs de l’Université de Guelph tente de court-circuiter l’industrie textile en confectionnant des fringues à base de morve de poisson.

Photos publiées avec l'aimable autorisation des chercheurs de l'université de Guelph

Timothy Winegard, avec sa récolte de morve de poisson

L’industrie du textile et de l’habillement a brassé en 2012 près de 500 milliards de dollars, en fabriquant toujours plus de tee-shirts et de bermudas bon marché dont la coupe et les couleurs auront foutu le camp après deux lavages. Alors qu’au Bangladesh, des familles décèdent dans les usines textiles, au Canada, un groupe de chercheurs de l’Université de Guelph tente de court-circuiter l’industrie ; ils cherchent à faire des fringues à base de morve de poisson.

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Ce serpent de mer communément nommé myxine a pour caractéristique de se nourrir de poissons morts, en creusant un trou dans leur cadavre puis en les vidant de l’intérieur. Physiquement, cet animal sournois ressemble à une grosse anguille enroulée sur elle-même et munie de moustaches. L’élément particulier de son mucus est qu’il occupe plusieurs centaines de fois son volume initial dès qu’il touche l’eau et que les fibres qui le constituent sont 100 fois moins épaisses qu’un cheveu humain. En gros, il est ultra fin, ultra résistant et avec un milligramme de morve, vous pouvez faire 10 sweats. D’après les chercheurs de Guelph, les fibres extraites de ces fluides muqueux pourraient devenir l’élément de base des futurs gilets pare-balles, mais aussi des vêtements que vous porterez dans dix ans.

J’ai posé quelques questions à Timothy Winegard, l’un des chercheurs de Guelph, histoire de savoir comment il allait faire pour que l’on porte tous de la morve d’anguille en 2020.

Une myxine, vertébré des fonds marins

VICE : Comment vous vous êtes mis à bosser sur les bienfaits de la morve de poisson ?
Timothy Winegard : L’idée est venue du Dr. Doug Fudge à l’époque où il préparait sa thèse à l’Université de British Colombia, à la fin des années 1990. Son idée de thèse était d’étudier les calmars. Par chance, il a commencé ses recherches une année où la tempête El Nino a frappé le continent et l’océan, rendant la population de calmars dont il avait besoin pour ses recherches momentanément indisponible. Son directeur de thèse l’a mis, un peu par hasard, sur la piste des myxines et de leurs sécrétions.

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Quelles sont les qualités de cette matière, comparée aux autres ?
Les filaments extraits des sécrétions de myxine ont évolué au cours du temps et sont devenus considérablement solides et durables. Ils sont composés de protéines appelées Filaments intermédiaires (FI). Les FI se trouvent aussi dans les ongles et les cheveux des mammifères. Leurs propriétés biomécaniques sont proches de celles de textiles haute performance fabriqués par l’homme comme le kevlar – cette matière dont on fait les gilets pare-balles. L’avantage écologique est évident : les FI ne font appel à aucun procédé pétrochimique et sont parfaitement biodégradables.

OK. Pensez-vous que les vêtements garderont une odeur de poisson particulière ?
Si des vêtements étaient produits dès ce jour à partir de filaments de myxine, ils n’auraient aucune odeur. Les fils sont constitués de protéines stables et indolores. Ainsi, ils pourraient être parfumés ou rester inodores comme les autres textiles sur le marché.

Une myxine sourit à l’objectif

Est-ce que cette matière pourrait, à court terme, remplacer la laine ou le coton ?
En réalité, il y a plus de chances que cette matière comble une niche sur le marché, pour le moment en tout cas. La laine est populaire pour ses propriétés isolantes même quand elle est mouillée et le coton fournit un matériau perméable à la lumière. Les fils de myxine seront davantage utilisés dans des situations qui nécessitent des fibres de haute performance ; les gilets pare-balles par exemple ou des vêtements techniques extrêmement solides.

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Est-ce que les vêtements en morve de poisson seront OK d’un point de vue esthétique ? Il sera possible de faire n’importe quel type de vêtements ?
Oui je crois que tous types de vêtements seront réalisables. Nous serions capables de fabriquer des textiles avec n’importe quel motif de tissage, n’importe quelle couleur, etc. Les fibres de myxine, comme je l’ai dit, sont semblables à la soie des araignées ou des vers à soie.

Comment allez-vous convaincre les gens de porter de la morve de poisson ?
Je ne pense pas qu’il soit si difficile que ça de faire porter aux gens des fibres de myxine. Je pense qu’un nom accrocheur comme « soie d’océan » arrivera à faire oublier aux gens qu’il s’agit de morve de poisson. Les gens ne sont généralement pas opposés à porter des fibres qui proviennent de sources étrangères tant qu’elles répondent aux exigences des consommateurs.

Les chercheurs qui travaillent sur les sécrétions de myxine : Atsuko Negishi, Tim Winegard et Douglas Fudge

Les gens ne vont pas avoir peur ?
À mon avis, non. Les fibres sont très proches de celles utilisées pour les vêtements techniques actuellement, les vêtements de sport par exemple. Elles n’ont pas d’odeur ou de caractéristiques qui pourraient les assimiler à quelque chose de repoussant.

Très bien. Ces vêtements techniques seront-ils chers ?
Eh bien, ça dépendra de la manière dont les sécrétions seront extraites. Les glandes d’un seul poisson sont capables de produire à peu près un million de kilomètres de fil. Et bien que ce fil possède un diamètre de 1 à 3 millièmes de millimètre, on peut exploiter une très grande quantité de fil grâce à un seul poisson. Cependant, à Guelph, nous essayons de développer une technique de production où nous n’aurions pas besoin de poisson vivant.

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Comment ça ?
Par exemple, en introduisant les gènes des filaments intermédiaires dans une bactérie, nous pourrons faire produire à cette bactérie les protéines de la myxine pour ensuite les assembler en fibres. En concrétisant des approches comme celles-ci on pourra réduire notre besoin de poissons vivants.

Cool. D’ailleurs, l’exploitation de la morve des myxines peut-elle être considérée comme un mauvais traitement envers les poissons ? Avez-vous peur des associations de protection ?
La récolte des fils de myxines et de leurs sécrétions est un procédé non létal. Ils éjectent leur mucus quand ils se sentent attaqués ou dérangés. On ne leur nuit certainement pas au cours de ce processus de récolte.

Des scientifiques néo-zélandais ont filmé la myxine en train de se battre contre 14 prédateurs, dont plusieurs requins.

En admettant que la morve de poisson devienne le nouveau coton, vous pensez que vous allez gagner de l’argent avec ça ?
C’est difficile à dire. Nous avons déposé des brevets sur les techniques de production des fibres donc ça dépendra de la licence accordée aux potentiels industriels associés d’une part et de la demande de fibres sur le marché de l’autre.

Des marques de vêtements vous ont elles déjà contacté ?
Nous n’avons pas encore été approchés par des marques. Nous sommes intéressés par des collaborations avec des industries professionnelles pour continuer à travailler sur notre sujet. Le faible diamètre des fils de myxines est sans aucun doute un facteur limitant en terme de création de vêtements. De nouveaux appareils vont devoir être créés pour manipuler les fils de myxines et fabriquer des vêtements.

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Vous réfléchissez déjà à d’autres matériaux alternatifs ?
La nature nous offre une vaste gamme de matières premières pour produire tous types de vêtements. Par exemple, les fibres de bambou ont été récemment utilisées pour produire des polos. À l’heure actuelle, inventer de nouvelles sources de matières biodégradables et renouvelables et réduire l’exploitation d’énergies fossiles est de la plus haute importance. J’ai plusieurs idées pour produire de nouveaux matériaux mais pour l’instant, elles doivent rester secrètes.

OK, bon courage Timothy.

Suivez Maxime sur Twitter @ximelelong

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