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Musique

La première interview de Chain of Strength en 20 ans

Le 7" est mon format préféré. Attention, pas tous les 45 tours : je parle de ceux avec deux chansons et pas d'artwork.

Le 7" est mon format préféré. Attention, pas tous les 45 tours : je parle de ceux avec deux chansons et pas d'artwork. Quand ils en ont un, ils appellent ça une « picture sleeve » – sérieux, comme si c’était vendeur. Aussi, bien que la majorité des 7" de punk classique soient géniaux, le style idéal pour un 7" est (et restera à jamais) le hardcore. Et c'est normal puisqu'il doit y avoir genre cinq albums de hardcore qui ne soient pas chiants au bout de trois morceaux.

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Quand vous abandonnez le hardcore pour vous mettre au neo-folk – ou autre –, conservez quand même votre carton plein de vinyles pétés parce qu'un jour, vous voudrez ressortir votre EP de Positively Bad pour l'écouter et pas pour les 20€ que vous vous serez fait sur eBay en le revendant.

Ça fait 10 ans que je débats, bourré la plupart du temps, sur la question du meilleur 7" straight edge de tous les temps. L'autre soir, j'ai décidé que c'était le EP True Till Death  de Chain of Strength. Il l'emporte pour plusieurs raisons : la police utilisée sur la cover, la gueule du truc, et parce qu'on voit l'un des membres du groupe arborant une croix sur sa tête rasée. On pourrait aussi discuter de Project X, Gorilla Biscuit ou même de Minor Threat, mais si l'on devait mettre le straight edge dans une capsule pour que des extraterrestres la trouvent et puissent comprendre ce que toute cette merde veut dire, ça serait obligatoirement True Till Death.

J'ai parlé avec Chris Bratton, le batteur de Chain, à propos des origines du straight edge et de toute la controverse au sujet du groupe que MRR avait comparé aux New Kids on the Block.

VICE : D'où est venue l’esthétique straight edge de la fin des années 1980 ?

Chris Bratton : Au début, le hardcore américain était comparable au Oi! britannique. Les mecs de Agnostic Front arboraient le T-shirt « We can do anything » des Cockney Rejects sur leur 7" United Blood et pas la peine d’énoncer les influences évidentes qu'ont eu Blitz et The Business sur Negative Approach, J ou Judge.

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La plus grosse révolution vient du fait que les hools anglais, qui se foutaient complètement de s'habiller punk, portaient des fringues ordinaires ou des habits de sport pour aller aux matchs, péter la gueule aux mecs d'en face, et ils gardaient les mêmes fringues le lendemain avec leur groupe.

Quand j'avais 13 ans, cette idée m'a marquée. On pouvait donc jouer du hardcore – ce nouveau style de punk, plus rapide et agressif – sans avoir à mettre un costume de punk avec le cuir, les piques et la crête. Au lieu de ça, il fallait juste des Nikes, un short, un sweat, et en avoir rien à foutre. Enfin bon, ce style straight edge amateur est vite devenu tout aussi codifié, spécifique, réfléchi et minutieux que les complets Mod que Steve Marriott et Paul Weller trimaient à se faire.

Tout ce qui plus tard a défini le style Youth Crew nous est arrivé via les covers des Bostoniens SS Decontrol et DYS. Je crois qu'on a tous étudié méticuleusement les fringues qu'ils portaient.  Les Nike montantes noires et blanches, les bandeaux de sport, les cranes rasés ou les cheveux courts décolorés, et même les ourlets des jeans trop bien taillés de Jamie, le bassiste de SSD. Je pensais tout le temps à la coupe de mes futes, à tel point que j'ai été dégoûté par le jean que portait John Anasta dans le livret de l'album. Il tombait super mal. Et puis putain, le Saint-Graal du look hardcore : le hoodie.

J'ai toujours halluciné sur l'impact qu'a eu cette musique plus rapide que les Ramones et plus violente que Discharge, jouée par des mecs qui avaient l'air de sportifs ou de soldats. Y avait-il des influences rap, aussi ?

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C'est intéressant, ouais. Dans une vieille interview de Run DMC, Run parlait de cette même révolution vestimentaire dans le hip-hop, en disant qu'eux étaient dégoutés par les trucs glam du funk, le disco-cuir, les paillettes – le look de Grand Master Flash and the Furious Five. Run DMC voulaient avoir le même style, aussi bien dans la rue que sur scène, et cette idée était en adéquation avec les idéaux du Youth Crew et du Oi!.

Pendant l’ère Youth Crew – 1986-1991 – le hip-hop est devenu un univers à part entière et une nouvelle influence sur les groupes de hardcore. C'est ce qui a mené au style Country Club Casual, qui ressemblait un peu au style Hooligan Casual qu'Oasis a popularisé en Angleterre quelques années plus tard.

À l'apogée du truc, à la fin des années 1980, les kids s'habillaient tous en hoodies, T-shirts, et baskets. Leurs marques favorites étaient Le Coq Sportif, Adidas, Nike, et tous ces sweats capuche chauds que sortaient New Balance. Ou les vestes varsity avec le nom des groupes brodés dessus.

Je me rappelle avoir chercher partout un endroit où acheter huit vestes différentes pour le groupe, couleur blanc cassé / vert foncé, pour ensuite pouvoir broder la mention « Chain Crew » à l'arrière.

On en a pris plein la gueule parce qu'on portait ça sur scène, surtout de la part de la génération d'avant nous qui trouvait ce style pas assez « rue » pour un groupe de hardcore.

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La conformité étant devenue inévitable, autour de 1990 les choses ont dû changer – en mal.  Les shorts en jean coupés et le style Soundgarden là… On aurait pu s'en passer.

Chain a vraiment adopté l'esthétique Youth Crew jusqu’à la deuxième moitié de son existence, où certains d'entre nous se sont mis à s'inspirer du style de DC, celui de Chris Bald (Foi, Etreinte, Ignition). C'est le look que porte Al Pain sur les fameuses photos de City Gardens en 1990. En regardant ces photos, on espère vachement qu'Al porte du Z Cavariccis, mais il porte bel et bien un vieux bermuda de l'armée allemande avec des Converse Pachuco Mailman en cuir noir.

True Till Death est un album réussi, mais la production était assez brouillonne je me souviens – on aurait dit Lou Giordano qui produirait un disque chez X-Claim!. La réal du disque a l'air approximative, mais en réalité, tout était super réfléchi.

Meme si Ryan et moi étions déjà des vétérans à cette époque, on s'est simplement pointé chez Spot Recordings avec Age of Quarrel de Cro-Mags et Get it Away de SS Decontrol et on a dit : « On veut que notre disque sonne comme ça ». Ryan s'était mis en tête de mixer les voix à volume égal avec les instruments. Tout le monde sait que les voix doivent être plus forte pour dominer tout ce chaos sonore, et cette nouvelle manière de mixer donnait l'impression que les voix se battaient pour s'échapper du bordel provoqué par la musique. Certains adorent cet effet ; pas moi. Curt est un super chanteur et je préfère entendre toutes les nuances et la rage de ses cris au-dessus des instruments – droit dans tes oreilles et dans ta face, comme d'hab.

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On était restés enfermés si longtemps dans la cave de la « Chain House » à Pomona qu'on connaissait les morceaux par cœur. On était une machine bien rodée. Quand on s'est installés dans le studio, c'était la première fois qu'on jouait en dehors de la cave – peut-être qu'inconsciemment, on a pris cette séance d'enregistrement pour un véritable concert.

L'artwork et le graphisme utilisés pour True Till Death étaient tout à fait réfléchis, intentionnels – et faits avec amour. L'idée était simple : des photos de live avec un graphisme mêlant les trucs X-Claim! et Revelation avec des photos d'inspiration Glen E. Friedman / Philin Flash, et enfin, l'esthétique générale du Meat is Murder des Smiths par dessus.

Il y a toujours eu cette rumeur selon laquelle les photos de True Till Death avaient été prises pendant un faux concert, dans une salle de répet.

Notre premier concert avec Chain of Strength a eu lieu dans un endroit juste en face d'Aladdin Jr. And the Glasshouse, maintenant connu sous le nom de « Yester Years Club ». Ce soir-là y jouaient Youth of Today, Underdog, Soul Side, Bold, Instead, Hardstance, et Chain of Strength. Plus de mille kids s'étaient pointés au concert. On a halluciné.

On a fait le tout premier T-shirt « Chain X of Strength » pour ce concert ; on a tout vendu en moins de vingt minutes. Dans n'importe quelle photo prise ce soir là, on voit des mecs qui le portent. Pendant leur tournée, Soul Side étaient accompagnés par deux roadies. Eli Janney, qui plus tard a joué dans Girls Against Boys, et ce jeune inconnu qu'ils appelaient « Spiv ». Plus tard, on saura que le vrai nom de Spiv était Ian Svenonius.

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On voulait vraiment des photos géniales de ce concert, donc on avait demandé à notre pote de Justice League Crew, Chris Ortiz – qui est aujourd'hui un photographe de skate mondialement connu – de prendre les photos.

Bien entendu, les photos étaient superbes, mais il y a eu un petit problème quand on a revu Chris quelques semaines plus tard. Tous les négatifs portaient de sales griffures, visibles sur le tirage d'essai. On a vu la feuille et on a dit : « Dude, ces photos défoncent ! Tu préfères lesquelles ? », ce à quoi Chris a répondu : « Eh bien, on ne peut en utiliser aucune, tous les négatifs sont rayés. »

La larme à l'œil, j'ai dit au-revoir à ce tirage. Heureusement, Chris n'a pas voulu en rester là et il nous a quand même filé la grosse photo qui est devenue le back de True Till Death. Si tu la regardes de près, tu peux voir toutes les griffures verticales.

On n'avait plus de photos en stock, et plus beaucoup de temps non plus pour sortir l'album. Quelque temps auparavant, j'avais fait un super concert avec No For An Answerdans un studio de répétition, le « Trojan » de Garden Grove. Ryan avait appelé dans tous les sens pour nous trouver un concert déjà booké mais il ne trouvait rien. On a donc décidé de jouer là-bas.

Durant toutes ces années de groupe, j'ai fait plein de concerts dans des salles de répét et ils ont tous été géniaux – sérieux, je ne comprends pas trop pourquoi un concert là-dedans serait un « faux concert ».

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Pour en revenir au mythe, il s'est propagé de plusieurs façons : nos câbles n'étaient soi-disant pas branchés, on aurait fait du play-back, on aurait joué « seulement des reprises de Minor Threat parce qu'on avait pas encore de morceaux à nous », on aurait joué ce concert juste pour faire des photos… Quoique, ça c'est vrai en revanche. Et finalement, l'album n'est sorti qu'au printemps de l'année d’après.

Mon meilleur souvenir de ce concert reste le moment où Curt et Al Pain se sont ramenés avec leurs T-shirts Bold. Il faut comprendre que les gens de ce milieu étaient totalement obsédés par les T-shirts, mais surtout ce putain de T-shirt, qui était le plus cool du pays. J'étais là, « les gars, vous ne pouvez pas porter un T-shirt Bold TOUS LES DEUX en même temps, l'un de vous doit l'enlever ». Ils se sont un peu chamaillés puis j'ai lancé : « Allez, jupes et collants, qui veut être sexy ? »

Ces deux machos ont évidemment refusé, et c'est la raison pour laquelle on voit deux t-shirts Bold sur la cover – et partout dans le livret. 24 ans plus tard, à la semaine près, on est retournés dans ce même studio de répet pour jouer notre premier concert ensemble depuis notre séparation.

Dernière rumeur, parce que balancer est un truc quand même super important ; on a tous besoin de savoir si Curtis était vraiment flic.

Non, Curt n'est jamais devenu flic. Après la séparation (plutôt traumatisante) de Chain, Curt voulait faire des changements dans sa vie – notamment, devenir un flic honnête.Il a donc rejoint la Sheriff's Academy, où il est devenu l'une des meilleures recrues. Il a passé la formation – super brutale – jusqu'à la fin et a obtenu son diplôme avec mention. À la fin de la remise des diplômes, il s'est dit : « Merde, je ne pourrai jamais être comme ces gens là ».

Chain of Strength seront en tête d'affiche pour la célébration du 25ème anniversaire de Revelation Records les 12 et 13 octobre prochain au Irving Plaza, à New-York.