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Culture

Le « docteur » qui greffait des couilles de boucs sur des hommes

Dans le cerveau de John Romulus Brinkley, faux médecin mais vrai taré du Kansas.

Plusieurs documentaires présentés lors du dernier festival de Sundance sont incroyables. Parmi eux, le portrait d' un homme politique érotomane (Weiner) ; une enquête afin de déterminer si « Internet rêve de lui-même » de la part de Werner Herzog (Lo and Behold) ; de même qu'un docu fictif sur la journaliste télé suicidaire Christine Chubbuck ( Kate Plays Christine). Mais sur une échelle de monstruosité, aucun réalisateur n'a su s'élever au niveau de Penny Laneet son « NUTS ! ». Ce documentaire raconte l'histoire de John Romulus Brinkley, pionnier de la radio, pseudo-chirurgien et candidat républicain au poste de gouverneur du Kansas. Surtout, ce brillant manipulateur a réussi à greffer des testicules de boucs sur des hommes impuissants, avançant sans la moindre gêne que cette opération les « guérirait ».

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Était-ce vrai ? Non, bien sûr. Néanmoins, des décennies durant, de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu'au débarquement en Normandie, Brinkley et son imposture médicale n'ont pu être stoppés. Ses opérations, pratiquées dans un hôpital du Kansas – et plus tard, du Texas –, ont laissé derrière elles beaucoup d'hommes mutilés, dans les cas où ils n'étaient pas, tout simplement, morts. L' American Medical Association a essayé de l'arrêter à de nombreuses reprises ; sans succès. En revanche, elle a réussi à lui faire retirer sa licence de médecin et de journaliste radio, mais trop tard, à une époque où il pesait déjà plusieurs millions grâce à ses chirurgies crapuleuses.

Mélangeant animations rudimentaires, interviews et de nombreuses images d'archives afin de dresser le portrait à la fois terrifiant et objectivement hilarant de Brinkley, NUTS ! ne nous donne pas moins envie de croire au charismatique « praticien ». Car, s'il y a bien une qualité qu'on pouvait reconnaître à Brinkley, c'était sa capacité de persuasion – lui qui prétendait être un professionnel de la médecine alors qu'il n'avait jamais suivi la moindre formation.

« C'est mieux de vivre dans un monde où l'histoire qu'il vous raconte est vraie », m'a dit Lane dans sa chambre d'hôtel au cours des heures qui ont précédé l'avant-première de NUTS !. La réalisatrice, âgée de 37 ans et professeure à l'Université de Colgate, avait déjà réalisé Our Nixon en 2013. Elle avait hâte de présenter son film. « Ça m'arrivait souvent d'en parler aux gens. Ils me demandaient si le projet avançait », m'a-t-elle dit.

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Dans NUTS !, on peut apercevoir Brinkley dans plusieurs courts-métrages étranges et faits maison, ou l'entendre au travers de différentes séquences audio ; il parle de la beauté sibylline des fleurs et des tarpons, avant de switcher aussi sec sur le potentiel des crèmes pour la peau « Incan » dans le ralentissement de la perte de la vision chez l'homme. La majeure partie de la narration est accompagnée d'images d'animation. En six chapitres, la réalisatrice dresse un consistant aperçu de la vie de cet homme étrange, capable d'inspirer une loyauté perverse et sans limite à ses proches – avant de mourir dans les années 1980, une quarantaine d'années après lui, sa femme affirmait toujours que sa greffe de testicules de bouc était praticable – mais aussi nombre d'événements tragiques – son fils, à qui Brinkley faisait des longues leçons de morale, s'est finalement suicidé dans les années 1970.

Lane se souvient être tombée sur une biographie de Brinkley à la bibliothèque ; elle a tout de suite voulu en faire un film. « Ça serait facile », Lane se souvient s'être dit, surprise néanmoins qu'une telle histoire n'ait jamais été adaptée à l'écran. Au bout de huit ans, le film est enfin terminé. Lane a finalement décidé de raconter l'histoire en intégrant des images d'animation ; après deux ans de recherches, elle a en effet découvert qu'il n'existait pas assez d'images d'archives de Brinkley pour la narrer telle qu'elle l'imaginait dans un premier temps. « Il est véritablement impossible de bien raconter l'histoire de ce mec en se servant seulement d'images d'archives », m'a avoué Lane.

En s'attardant sur Brinkley, on entrevoit les contours affectifs de ce que l'on appelle aujourd'hui un sociopathe. Il était menteur, vicieux, dénué d'empathie. Originaire de Caroline du Nord, cet antihéros a eu plusieurs vies. Promoteur soucieux de l'image qu'il renvoyait, Brinkley était un populiste fauteur de troubles qui menaçait la classe dominante à une période où les inégalités ne cessaient de croître. KFKB, sa station de radio basée à Geary County, et dont tout le monde parlait, était écoutée partout aux États-Unis (c'est elle qui a rendu célèbre le célèbre programmateur rock Wolfman Jack).

Après avoir perdu le droit d'exercer dans le milieu médical, Brinkley s'est présenté aux élections afin de devenir gouverneur du Kansas ; et il aurait bien pu gagner, si l'on considère que 50 000 bulletins au nom de Brinkley n'ont pas été comptabilisés pour des raisons pour le moins troubles.

En réalité, si l'histoire de Brinkley nous apprend un truc, c'est bien que les hommes sont prêts à faire tout et n'importe quoi pour réparer un pénis dysfonctionnel. Mais NUTS ! met aussi en évidence ce fait : en période de crises, les gens veulent croire en des explications simples afin de résoudre des phénomènes complexes. Les gens adorent conjecturer sur des remèdes miracles. C'est pourquoi les mecs pas trop cons qui promettent de sauver le monde en un coup de baguette magique sont presque toujours écoutés. Comme les politiciens d'extrême droite aujourd'hui, Brinkley était un fin manipulateur, qui excellait dans l'art de revêtir des centaines de masques différents. Il était très doué pour « utiliser des idées populaires sans avoir la moindre chose à en dire », comme me l'a rappelé Lane. En fait, le pire chez Brinkley, c'est qu'il aurait entièrement sa place dans un monde comme celui dans lequel nous vivons aujourd'hui.

Brandon est sur Twitter.