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Interviews

Le LSD grille autant le cerveau des humains que celui des chats

Dans les années 1970, le docteur Barry Jacobs filait des acides à de gentils matous.

Être sobre est assez pénible. C'est pourquoi les gens consomment – entre autres – de l'acide. Tandis que certains gobent un buvard pour aller à un concours canin ou à une manif, d'autres s'en servent pour arrêter de fumer ou pour faire de l'art. Mais jusqu'aux années 1970, le LSD, acronyme de Lysergic Acid Diethylamine, était considéré comme un composant chimique digne d'études scientifiques sérieuses. C'est pourquoi, pour la science, le Dr Barry Jacobs, professeur au département de neurosciences de l'université de Princeton, a drogué des chats. Ce sujet d'étude semble alambiqué, mais comprenez-le : nous étions en 1976, il avait de l'acide d'un côté et des chats de l'autre. Qui n'aurait pas été tenté par une telle expérience ?

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Jacobs a décrit ses expérimentations dans différents articles publiés dans des revues pharmacologiques. Il y expliquait notamment avoir administré de dix à cinquante microgrammes de LSD à différents chats, et ce pendant plusieurs mois. Ainsi, il a pu observer et étudier leur comportement alors qu'ils étaient sous les effets du produit. À l'époque, refiler de la drogue à des animaux n'était pas une expérience scientifique particulièrement originale. Des singes, des dauphins et même un éléphant nommé Tusko ont eux aussi goûté aux joies de l'acide. Néanmoins, cette étude sur les félins a permis d'émettre une théorie sur le niveau de tolérance associé à cette drogue. Elle a aussi permis la découverte de récepteurs spécifiques à la sérotonine qu'il pense être à l'origine de toute expérience hallucinogène.

Certes, droguer des chats avec une des substances les plus puissantes qui existe sur terre soulève des questions éthiques. Personne ne niera que l'idée de mettre quelques gouttes d'acide dans le bol de lait de votre chaton ne peut germer que dans le cerveau malade d'un tueur en série. Barry Jacobs précise pourtant que tous les animaux utilisés lors de ses expériences ont été traités convenablement et pris en charge par un groupe d'experts qualifiés et très scrupuleux. Pour mieux comprendre les enjeux de ses découvertes, je l'ai appelé à son bureau de Princeton.

VICE : À quoi ressemble un chat défoncé sous acides ? Est-ce qu'il semble apprécier l'expérience ?
Dr Barry Jacobs : Il aurait été plus facile de vous répondre si l'étude avait été effectuée sur des chiens. On les aurait vus remuer leur queue. Tout ce que je peux vous dire, c'est qu'aucun ne semblait flippé. Après avoir travaillé avec des chats pendant des années, j'ai compris que, quand ils étaient effrayés, ils se blottissaient au fond de leur cage. Tous les chats étaient enfermés lors des expériences, mais ces cages étaient adaptées aux félins : elles étaient propres et spacieuses. Ils pouvaient se balader à l'intérieur. Ils étaient bien nourris et de l'eau était toujours à leur disposition. Aucun des chats ne s'est réfugié au fond de sa cage et ne nous a regardés avec des gros yeux sur lesquels on aurait pu lire la peur qui l'habitait. Certains courraient dans tous les sens et sautaient sans raison. Puis-je affirmer qu'ils étaient heureux ? Non, je ne parlerais pas de bonheur. S'ils semblaient bien vivre l'expérience, je ne peux pas dire qu'ils en ont profité. Mais leur comportement n'indiquait en rien qu'ils avaient peur. Beaucoup d'entre eux fixaient le vide pendant des heures.

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Pourquoi avoir spécifiquement utilisé des chats pour ces recherches ?
Étudier le comportement d'une souris ou d'un rat sous acides ne me paraissait pas pertinent. Les chats sont des animaux très expressifs, que ce soit dans leur comportement ou dans leurs émotions. Voilà pourquoi nous avons décidé de nous servir d'eux. Nous avions littéralement des milliers de rats dans nos laboratoires, donc il aurait été plus facile d'utiliser ces rongeurs, mais je n'en voyais pas l'intérêt.

Dans vos articles, vous expliquez qu'en réaction les chats jouaient dans le vide et ne réussissaient pas à faire leur toilette. Que signifient ces comportements ?
J'ai seulement pu interpréter ces mouvements. Je pense que mon interprétation est juste, mais personne ne peut en être scientifiquement sûr. Ces comportements ne sont pas anormaux chez les chats – pour le dire autrement, nous n'avons pas été les premiers témoins de comportements félins qui n'avaient jamais été observés auparavant. Néanmoins, leur occurrence était bien plus élevée qu'à l'ordinaire. Si vous observez un chat pendant douze heures, il agira peut-être de la même façon une fois ou deux. Mais sous LSD, ils le faisaient cent fois par heure. Ces phénomènes étaient donc bien dus à la drogue.

Pourquoi léchaient-ils si souvent leurs pattes ?
Ce n'est qu'une hypothèse, mais la drogue a dû augmenter leur sensibilité. Ils devaient avoir l'impression que quelque chose rampait sur leurs pattes – une sensation très probable lors d'une expérience hallucinogène.

Après la publication de vos recherches, avez-vous eu des réactions négatives de la part des défenseurs de la cause animale ?
Non, ces études ont été menées il y a très longtemps. Mais, dès que nous avons découvert sur quels récepteurs la drogue agissait en premier, je me suis désintéressé de ces expériences. Nous avions décidé de tout arrêter. Et puis les coûts étaient très élevés. Nous louions ces chats à des compagnies pharmaceutiques. Les acheter aurait coûté trop cher. Quand nous menons des recherches, il faut pouvoir conserver les animaux en laboratoire pendant des mois, voire des années.

Personnellement, aimez-vous les chats ?
Pas particulièrement. Je ne suis pas un grand fan des animaux de compagnie. Je ne veux pas me prendre la tête pour des bestioles. Je ne veux pas avoir à sortir un chien, surtout en hiver. Je ne souhaite pas qu'un chat foute le bordel chez moi. Néanmoins, je n'ai rien contre eux. J'aime jouer avec les chiens de mes amis. Peut-être que, quand je serai vieux au point de ne plus pouvoir quitter mon lit, j'apprécierai la compagnie d'un chien.

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