FYI.

This story is over 5 years old.

Sexe

Le magazine « Illegal ! » vous apprend à mieux consommer votre drogue

La publication créée par des consommateurs de drogues à destination des consommateurs de drogues.
Max Daly
London, GB

Parler ouvertement des réalités concernant la consommation de drogue est considéré par certains comme l'équivalent moderne de faire lire des romans à des femmes il y a 200 ans : cela devrait être évité à tout prix, pour la bonne et simple raison que ça inciterait des innocents à tomber du côté obscur de la déconne.

C'est ce que certaines personnes n'apprécient pas chez Illegal ! – magazine rempli d'articles et d'illustrations concernant la prise de drogue, vendu à but lucratif par et pour des drogués et disponible dans l'Est londonien depuis la semaine dernière. Ces gens pensent que parler de consommation de drogue et des façons d'éviter d'en mourir légitimerait ladite consommation et encouragerait les gens à se défoncer.

Publicité

Ce qui a surtout agacé les gens bien sous tous rapports, c'est que les rédacteurs ont ouvertement admis que leur équipe allait acheter de la drogue grâce à l'argent récolté par le mag, truisme que la publication Big Issue a pour sa part toujours pris soin de dissimuler (Big Issue ​a dit à la BBC que ses rédacteurs « avaient pour mission d'éloigner [leurs gars] de la dope. » Cette phrase a déclenché une indignation générale parmi les tabloïds britanniques, lesquels ont suggéré qu'Illegal ! devait en effet devenir illégal. La plupart des articles ont présumé, sans vergogne, que le magazine était publié « uniquement pour que les toxicomanes puissent nourrir leur addiction. »

Le rédacteur en chef d'

Illegal!, Michael Lodberg Olson

Il y a bien plus que ça derrière Illegal !. Bien sûr, le rédacteur en chef du magazine Michael Lodberg Olsen, a lancé le trimestriel au Danemark ​en septe​mbre dernier afin d'offrir un revenu aux toxicomanes « au-delà des vols et de la prostitution ». La couverture du deuxième numéro du magazine annonçait tout de go qu'il s'agissait de « la meilleure alternative au fait de sucer des bites dans la rue ».

J'ai rencontré l'éditeur anglais Louis Jensen, un gars de 26 ans originaire d'Hastings, après son passage dans The Wright Stuff sur Channel 5, où il défendait le magazine. Il a expliqué qu'Illegal ! ne serait pas vendu que par des toxicomanes SDF, mais par n'importe quel consommateur de drogues du moment qu'il était partant. Il a ajouté que le principal objectif du magazine était « d'éduquer les gens et d'ouvrir une conversation à propos de la drogue ».

Publicité

Jensen a découvert la version originale danoise du mag  – qui inclut notamment des articles sur les odes poétiques aux narcotrafiquants mexicains, les travailleurs du sexe à Copenhague et la légalisation mondiale du cannabis – alors qu'il tournait un documentaire dans la capitale du Danemark. Il a été impressionné par le magazine et par Olsen, et a donc proposé de participer à la création de la version anglaise. À titre personnel, il explique que la drogue a toujours pris une grande place dans sa vie. Ses parents fument du cannabis, il a longtemps vendu de la coke et l'un de ses meilleurs amis est mort d'une overdose d'héroïne.

« Nous avons besoin de ce genre d'informations en Angleterre. C'est comme l'éducation sexuelle », explique-t-il. « La recherche a démontré que plus les jeunes en savaient sur les réalités du sexe, moins ils avaient de chances de choper une MST. C'est la même chose avec la drogue. Plus les gens sont informés, moins ils ont de chance de se nuire. »

​Illegal ! n'est pas la première publication sur la drogue. À la fin des années 1980, des magazines tels que le Mcdermott's Guide to Cocaine donnaient des conseils à ses lecteurs afin de prendre de la drogue de façon la plus sûre possible. Image publiée avec l'aimable autorisation de Michael Linnell

À Londres, chaque numéro d'Illegal ! est vendu l'équivalent de 4,40 euros, est édité à 2 000 exemplaires et est distribué par l'un des neuf vendeurs en exercice. Le premier numéro contenait notamment un mode d'emploi pour « une consommation de drogue plus sûre et plus plaisante », accompagné d'illustrations originales. Écrit par le Dr Adam Winstock, spécialiste des addictions et figure tutélaire de la drogue en Grande-Bretagne, l'article apporte de nouvelles réponses sur la consommation de cannabis, de cocaïne, d'ecstasy, d'alcool et sur les nouvelles substances psychoactives.

Publicité

Le docteur conseille aux consommateurs de cocaïne de couper leur poudre de la manière la plus fine qui soit afin de « mieux gérer ses doses, limiter le gâchis de coke, de même que les risques de dégâts au niveau de la paroi nasale. » Il recommande aux consommateurs de cannabis de « faire pousser [leur] propre herbe : ceci vous permettra d'éviter au plus les interactions avec les dealers, de cultiver des espèces correspondant à vos goûts, et surtout, de savoir ce que vous fumez. »

Alors, comment le mag, tiré en A5 noir et blanc, a-t-il été accueilli ? « Il a embrouillé les gens », explique Jensen. « Ils ne savent pas s'ils doivent être en accord ou non avec nous. Les gens qui gèrent les points de distribution nous ont dit que la réaction du public avait été de l'ordre du 50/50. Certains ont dit que c'était répugnant, d'autres que c'était une très bonne chose. »

J'ai parlé à Josephine, une ex-consommatrice de crack et d'héroïne de 26 ans, aujourd'hui coiffeuse, qui a commencé à prendre de la drogue à 12 ans et a arrêté à 24. Elle distribue le magazine depuis son lancement. Elle est la vendeuse qui a le plus de succès ; elle en a écoulé 500 exemplaires jusqu'à présent.

« Ce magazine est une bonne idée. Il vaut mieux que les gens vendent des magazines plutôt que leur corps », explique-t-elle. Il lui arrive aussi de vendre Big Issue. Ce travail n'aurait cependant pas influencé sa consommation pour le moment. « J'espère que ces publications permettent aux gens de mieux comprendre les toxicomanes ; ils vous regardent différemment quand ils découvrent que vous êtes accro à l'héroïne. D'un coup, ils vous considèrent comme une ordure. »

Publicité

​Smack in the Eye. Image publiée avec l'aimable autorisation de Michael Linnell

Illegal ! n'est pas la première publication sur les drogues à faire parler d'elle en Grande-Bretagne. En 1987, suite à l'épidémie d'héroïne à Manchester, l'agence Lifeline a lancé Smack in the Eye, une BD où figurait humour noir et langage d'initiés, le tout étant censé délivrer « un message de sécurité » à l'attention des jeunes drogués.

Smack in the Eye ainsi que les autres BD et fanzines de l'agence Lifeline – E by Gum, Better Injecting et le McDermott's Guide to Cocaine – contenaient des conseils très explicites au sujet de la consommation de drogue et différaient énormément des programmes de sensibilisation publiés à l'époque. Michael Linnell, le dessinateur de ces BD, explique que la plupart des encarts portant sur la drogue étaient « écrits par des gens de classe moyenne à destination d'un public de classe moyenne – et n'avaient pas le moindre intérêt pour les consommateurs de drogue auxquels nous nous adressions. »

Une page issue du

McDermott's Guide to Cocaine. Image publiée avec l'aimable autorisation de Michael Linnell

Cependant, Linnell a eu de gros ennuis à cause de ses publications. Il a été menacé d'arrestation sous le coup des lois anti-obscénité pour avoir prétendument « corrompu et débauché des personnes accros à l'héroïne ». Ces détails de sa vie l'amusent toujours. Après la publication d'un prospectus au sujet des rapports sexuels protégés en pleine vague de propagation du sida, le Catholic Herald a exigé qu'on lui interdise de remettre les pieds en Irlande. « Nous avions l'habitude d'avoir une peur bleue des assignations et de notre propre facteur – le simple fait de parler d'héroïne et de sida scandalisait les gens ! » m'a expliqué Linnell.

Publicité

Après être tombé sur un exemplaire de Smack in the Eye, un conseiller du Surrey a rédigé une lettre dans laquelle il décrivait le magazine comme « une merde ignoble » rédigée par des « pervers incapables de fréquenter des personnes décentes ». La lettre continuait ainsi : « Quant aux pourritures que vous prétendez aider, je ne lèverai pas le petit doigt pour leur apporter du réconfort. Au fait, des exemplaires de votre saloperie ont été envoyés au commissariat local et à des membres du Parlement. J'espère que vous brûlerez dans les flammes de l'enfer, bande de dégénérés. »

Les publications de Lifeline ont été le sujet d'un débat à la Chambre des Lords et ont même fait la une du Wall Street Journal. Le Sunday Times n'a pas pu contenir sa colère face à un prospectus en particulier, intitulé Se faire serrer en possession de drogues, et qui rappelait aux moins de 17 ans de « toujours se souvenir que les parents fouillent les chambres et les poches de leurs enfants. »

« Certaines personnes aiment jouer à ce stupide jeu de la moralité, m'a expliqué Linnell. Mais il faut accepter la vie des gens telle qu'elle est. Si vous voulez que les gens utilisent les informations que vous leur donnez, il est important pour eux qu'ils voient que vous êtes de leur côté et que lesdites informations s'appuient sur une expérience vécue. »

Des publications comme Smack in the Eye, Illegal ! et Black Poppy, « le magazine santé et lifestyle des consommateurs de drogues » fournissent une alternative aux mises en garde distribuées par les différentes agences gouvernementales de type Talk To Frank. Cette dernière est la responsable de ridicules campagnes antidrogue de fait raisonnablement ignorée par la jeunesse britannique. Une étude menée sur 500 élèves de Nottingham a démontré que bien que la moitié eût « entendu parler » de Talk To Frank, seuls 2 % d'entre eux étaient allés sur le site, tandis que la moitié d'eux l'avait « trouvée utile ». Une étude de 2011 concernant les effets des campagnes antidrogue dans le monde publiée dans le Journal of Epidemiology and Community Health est arrivée à la conclusion qu'elles n'avaient « pas ou peu eu d'impact sur la consommation ».

Publicité

Toujours est-il que les publications qui traitent de la drogue dans un langage « jeune » finissent systématiquement par être critiquées. Le mois dernier, le conseil d'Édimbourg a été attaqué par les tabloïds pour avoir « expliqué aux enfants comment prendre de la drogue » dans une brochure destinée aux adolescents au sujet de la consommation d'ecstasy. Les rédacteurs y expliquaient de commencer par un demi-comprimé, de s'hydrater à intervalles réguliers et de faire des pauses afin de dissiper un peu le « high » ressenti. Mais ces conseils potentiellement salvateurs ont été condamnés pour avoir envoyé « un message inverse : dire que le fait de prendre de la drogue [était] un excellent passe-temps. »

Jensen a ajouté que le prochain numéro d'Illegal !, prévu pour février 2015, verrait le jour grâce à un financement participatif, et aurait pour thème les femmes et la drogue. Son équipe de distributeurs est en pleine expansion, et Jensen espère ainsi bientôt distribuer Illegal ! à Glasgow, en Écosse.

Illegal ! mène un long et pénible combat pour tenter de modifier l'opinion publique quant à la consommation de drogues. Dans un court sujet de la BBC à propos du magazine, les interlocuteurs interviewés – des gens pris au hasard dans la rue – pensaient tous qu'il s'agissait d'une mauvaise idée. L'un d'eux commentait même : « Je ne crois pas aux drogues et à tous ces trucs. »

Josephine, la vendeuse star d'Illegal !, n'est pas du même avis. Elle ira dépenser son argent durement gagné pour acheter des cadeaux de Noël à sa famille, et à ses deux enfants de 5 et 3 ans.

​@narcomania